Du Vieux-Port aux cités, le parler marseillais plus vivant que jamais

 

Certains regrettent son âge d’or, associé au temps de Pagnol; pourtant, de l’avis des spécialistes interrogés par l’AFP, le parler marseillais n’a jamais été aussi vivant qu’aujourd’hui, et participe à la construction d’un fort sentiment identitaire.

Preuve de ce dynamisme, l’entrée cette année au Robert illustré de la « cagole » (fille vulgaire), qui devrait bientôt avoir aussi les honneurs du Larousse, où son pendant masculin, le « cacou », est déjà répertorié.

Jean Jaque, qui a popularisé ces archétypes des frimeurs marseillais dans une série d’ouvrages, se félicite de la « reconnaissance » d’un parler caractérisé par le verbe haut, « la galéjade en permanence, un côté imagé et inventif », outre un vocabulaire et une mélodie spécifiques.

En exemple, il cite « les yeux bordés d’anchois » (marqués par la fatigue), ou encore une expression récemment entendue chez un ami très bavard (une « bazarette ») à qui l’épouse avait lancé: « Toi, tu donnerais mal à la tête à un cachet d’aspirine ».

« Certains disent: +le parler marseillais fout le camp+. Pour moi, il ne s’est jamais aussi bien porté parce qu’il change, il évolue », observe Médéric Gasquet-Cyrus, chercheur sociolinguiste au laboratoire aixois Parole et langage (CNRS), auteur de nombreuses publications sur le sujet dont le « Dictionnaire du marseillais » et bientôt « Le marseillais pour les nuls ».

« C’est dans les années 1980 qu’émerge une forte identité marseillaise, en même temps que l’OM de Tapie », souligne-t-il, à travers une abondante production littéraire (« polars aïoli » d’Izzo ou Carrese), musicale (le rap d’IAM, le rock du groupe Quartiers Nord, le ragga de Massilia Sound System), cinématographique (Robert Guédiguian) et humoristique (Patrick Bosso).

Un engouement qui s’est traduit par la publication d’une trentaine de lexiques, glossaires ou dictionnaires.

« Avant, les gens n’étaient pas forcément fiers » de cette variante locale du français, « confinée à l’oralité et considérée comme +fautive+ sinon honteuse », relève M. Gasquet-Cyrus.

A la même époque, apparaît l’accent dit « quartiers Nord » (QN), faisant éclater l’opposition traditionnelle entre le « vrai » accent marseillais, assimilé à un âgé d’or pagnolesque situé autour des années 1930 et que parleraient encore les pêcheurs du Vieux-Port ou les joueurs de pétanque, et l’accent « bourgeois » des quartiers chics, de ceux qui tentent (sans y parvenir vraiment) de gommer des intonations jugées trop populaires.

Associé au départ à un espace urbain précis, l’accent QN, marqué par une forte « affrication » (tch’es fou, ti’as rien capté…) et l’utilisation de termes empruntés à diverses langues (comme « rhéné » pour ringard ou « payot » pour bourgeois), s’est diffusé vers d’autres quartiers, dans différents milieux sociaux, mais aussi chez des jeunes des villes avoisinantes.

Si certains le stigmatisent, le réduisant à un accent des cités avec des connotations parfois racistes, il est bel et bien devenu emblématique de l’accent marseillais nouvelle génération.

« Les jeunes, parfois sans en avoir conscience d’ailleurs, se réfèrent à un fonds commun marseillais, avec son lot de termes d’origine provençale, italienne… » et un système phonétique similaire, détaille Nathalie Binisti, qui a longtemps travaillé sur le sujet.

Souvent supporters de l’OM, ils « ressentent un fort sentiment identitaire vis-à-vis de la ville », par opposition aux gens du Nord et surtout aux « Parisiens ». Ils sont « très admiratifs des vrais Marseillais », confirme le chercheur aixois, qui rapporte une conversation entre jeunes d’une cité: « moi, les boulistes, j’aime trop les écouter, ou les mecs dans les bars, les Jeannot, entre un coup de pastis et les cacahuètes, tu t’assois, tu es mort de rire ». Parole de mia…

Anne Beade AFP

Voir aussi : Rubrique Sciences humaines,

Le corps conçoit la place l’image

Le réseau Cocos, union de cinq créateurs performers, ouvre Jours de Spectacles avec la pièce Breeding, brain & beauty donnée au Centre chorégraphique.

Le dispositif présenté joue sur l’interpénétration de deux langages. Il pourrait être question d’associer dans une tension les forces contraires du cinéma et de la danse. Cette chorégraphie expérimentale s’articule autour de quelques composantes fondamentales comme le mouvement, la projection, la narration et le montage.

Casque sur les oreilles, le spectateur est plongé dans l’univers sonore hitchcockien des années 40, qu’il perçoit en décalage avec ce qu’il se passe sur le plateau. Dans la première scène, on suit le mouvement des images à travers la distribution de la lumière assurée par les danseurs. L’absence d’image venant certifier l’appropriation des codes du cinéma. Le corps apparaît un peu plus loin dans la chronologie sonore de Rébecca. Dans une ambiance gothique à l’écoute du bruissement, les danseurs renvoient des images ambivalentes qui sans échappée possible, se figent parfois dans le figuratif. Dans ce brouillage assumé on ne sait plus très bien s’il est question de double langage ou de langage du double.

Plus un travail de recherche qu’un véritable spectacle, l’exploration à laquelle est invitée le spectateur suppose une acuité qui a pu dérouter le spectateur non averti comme l’amateur éclairé. Mais nul ne se lance impunément dans une quête d’écriture nouvelle. La question est alors de savoir ce qu’on veut découvrir et donner à voir d’une recherche. Et peut-être, sur un terrain plus polémique, de s’interroger sur l’émotion que l’on met en jeu de part et d’autre du plateau.

Jean-marie Dinh