Edition. La baisse constante des lecteurs français « traditionnels » projette le livre de demain sur le terrain de l’édition électronique. La nouvelle enquête sur les pratiques culturelles des Français* entre 1997 et 2008 confirme l’érosion des lecteurs quotidiens de presse et de livre. Dans le cas des livres, la baisse des « forts » et « moyens » lecteurs se poursuit, nous apprend l’étude. Mais cette tendance, bien antérieure à l’arrivée d’Internet, continue à peu près au même rythme que lors de la décennie précédente.
Dans ce baromètre, les Français reconnaissent eux-mêmes que leurs relations avec le monde du livre se sont distendues. 53% d’entre eux déclarent spontanément lire peu ou pas du tout. Cette évolution liée aux changements technologiques et sociétaux s’inscrit dans un mouvement de long terme. Elle n’a rien d’inédit. Ce qui retient davantage l’attention, c’est la différence entre milieux sociaux qui se creuse au cours de la dernière décennie avec un décrochage marqué des milieux populaires. La distinction entre les sexes s’est également accrue de manière significative. 62% des hommes déclarent lire peu ou pas du tout de livres contre 46% des femmes.
La mutation la plus marquante touche l’ensemble des pratiques culturelles. Elle concerne l’essor de la culture numérique et d’Internet. « Cette évolution a définitivement consacré les écrans comme support privilégié de nos rapports à la culture tout en accentuant la porosité entre culture et distraction, entre le monde de l’art et ceux du divertissement et de la communication, » souligne Olivier Donnat, chargé de recherche au ministère de la Culture. Un défi majeur et un chantier gigantesque qui appellent à réinventer l’action publique dans le domaine culturel…
La guerre numérique du livre
Le développement du numérique impacte évidemment la chaîne du livre. L’éditeur français, Hervé de La Martinière, qui vient de faire condamner Google pour contrefaçon de livres, remporte une bataille mais la guerre reste ouverte. Le marché des ouvrages dits « épuisés » suscite beaucoup d’appétit. Et la firme américaine poursuit son programme lancé en 2006 pour numériser des millions de livres à travers le monde.
Outre-Atlantique, l’entreprise de commerce électronique Amazon a outrageusement fait chuter le prix des livres. Cela ne regarde que les Etats-Unis pourrait-on penser car le prix unique, en France, nous préserve de tels abus. Le Président de la République vient néanmoins de se prononcer en faveur d’une TVA réduite dans le domaine du numérique. Mais cette mesure, qui dépend du bon vouloir du gouvernement, n’entrera en vigueur qu’à la condition que les éditeurs parviennent à s’entendre pour la création d’une plate-forme de vente commune.
L’idée également soutenue d’un prix unique du livre numérique dépend, elle, de la Communauté européenne dont l’intention globale est de faciliter l’entrée des industries culturelles sur le marché numérique.
Selon la Commission européenne, les différents cadres nationaux en la matière constituent un frein au passage vers une nouvelle ère dans le domaine du livre numérique. « Le défi sera d’assurer la mise en place d’un cadre réglementaire favorisant un déploiement rapide de services semblables à ceux rendus possibles par l’accord signé par Google aux Etats-Unis », ont souligné dans un communiqué les deux commissaires européens en charge du dossier, Viviane Reding et Charlie McCreevy. Ils devraient présenter leur propositions dans les prochaines semaines au Parlement européen et aux Etats membres. Etant entendu que l’indépendance éditoriale, la rémunération des auteurs et la diversité offerte aux lecteurs ne figurent pas dans leurs préoccupations.
Jean-Marie Dinh
Les pratiques culturelles des Français à l’ère du numérique Editions la Découverte 20 euros.