Les rescapés meurtris de la mondialisation

romances_carlotteCe récit théâtral emprunte un peu à l’esthétisme du roman photo pour le plaisir de l’image et la curiosité naturelle et profane qui s’éveille au contact de l’expérience intime. La comparaison s’arrête là. Pour le contenu, on ne trouve en effet aucune correspondance avec la futilité des propos qui constitue un ingrédient incontournable du genre, bien au contraire…

Romances est le fruit d’un travail de la toute jeune compagnie Moebius issue de l’école d’art dramatique de Montpellier. Dans le cadre de la dernière année de formation, les dix comédiens ont travaillé avec Cyril Teste du collectif parisien MxM qui explore les nouvelles voix du théâtre et de la vidéo en temps réel. Programmée dans le cadre du Festival Hybrides début avril, la pièce est toujours à l’affiche au Conservatoire d’art dramatique de Montpellier.

La construction morcelée de Romances s’articule autour de plusieurs scénarios de vie. Des histoires de couples, d’individus, de personnes portées disparues… en souffrance ou en manque.

L’attaque est frontale et la partition violente. Happé par l’énergie des comédiens, on éprouve d’entrée la sensation de suivre un cheval au galop. Comme si à partir de différents points de départ, tout fonçait très vite vers un point convergent. A l’instar du monde d’aujourd’hui, on peine à comprendre lequel. Le service symbolique des urgences hospitalières et sociales émerge dans la seconde partie comme unité de lieu. Endroit où aboutissent les actions et inactions de ces jeunes adultes nés dans le contexte de la mondialisation. Espace déserté par l’État providence où l’infirmière en chef répare, aide, surveille, protége, et soigne en déployant des trésors de compétence que personne ne reconnaît.

C’est sous cette toile de fond socio-économique que Cyril Teste appréhende, sans mode d’emploi, la société du XXIème. Au cœur du propos, l’angoisse qui naît de la surconsommation constitue une atmosphère moralement pesante autant qu’elle interroge sur la dignité de l’homme. Romances intercepte le vécu profondément anxiogène d’une jeunesse dont l’isolement subi laisse paradoxalement peu de place pour le souci de l’autre.

La partition de l’espace en trois plateaux permet une distribution des scènes rythmée. De part et d’autre du plateau central, le public se fait face, entrant alternativement dans l’action des scènes jouées ou filmées sur les côtés. A travers le destin croisé des personnages et celui des espaces de jeu, la recherche narrative se révèle dans une interaction de situations, permettant au public une synthèse intuitive entre propos, plateaux et images. Dans ce nouveau langage, la place du comédien et la notion de direct demeurent centrales. Le jeu intense d’acteur où l’exclusivité émotionnelle se heurte au vide, renforce la notion de travail d’équipe. Vivante et dramatique la force des énergies individuelles qui se conjuguent sur scène transporte cette romance sur une ligne à haute tension !

Jean-Marie Dinh