« Le vote blanc : de l’anti-vote à l’alter-vote ? »

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Par Jérémie Moualek

Au lendemain du 1er tour de l’élection présidentielle de 1969, Georges Pompidou – alors premier ministre et candidat en tête – prend une mesure destinée à freiner l’abstention annoncée importante, en avançant d’une semaine l’ouverture de la pêche prévue initialement la veille du second tour ! Sans même évoquer l’inanité évidente de cette décision, c’était aussi sans compter sur les électeurs qui choisirent de voter blanc et nul : 1 303 798. Depuis lors, l’ampleur de ce phénomène électoral n’a jamais été démentie (901 301 voix au 1er tour des régionales ; 4,6% des votants en moyenne entre 1992 et 2015), ni même sa perpétuelle négation institutionnelle. Comptés mais non comptabilisés dans les suffrages exprimés, ces « votes sans voix » n’ont aucun poids dans la balance électorale (depuis la loi électorale du 15 mars 1849).

Au lendemain des régionales, le sujet « vote blanc » est revenu à la table des débats médiatico-politiques. Et ce, en raison de la présence du Front national (FN) qui bouleverse l’offre politique. Dans plusieurs régions, l’électeur (dit de « gauche », notamment) n’aurait plus l’embarras du choix mais le choix de l’embarras. Et, ce n’est pas la loi du 21 février 2014 « visant à reconnaître le vote blanc » qui va lui simplifier la tâche.

Appliquée la première fois lors des dernières élections européennes, cette loi, adoptée suite à un accord transpartisan, répondait à une « demande » ancienne qui se faisait de plus en plus intense (des 61 propositions de loi déposées depuis 1880, 43 l’ont été après 1993). Certains scrutins – rimant avec des pourcentages conséquents de votes blancs et nuls (seconds tours des présidentielles 1969 et 2012 ; législatives 1993 et 1997 ; référendum 2000) ou une configuration « extraordinaire » (2nd tour de la présidentielle 2002) – ont semble-t-il été des moments propices à la multiplication des initiatives parlementaires. Après la présidentielle de 2002, 11 propositions de loi ont ainsi été émises, notamment dans le but d’ « enrayer » la hausse de l’abstention et des partis dits « extrêmes ».

Le non-choix volontaire

Passé d’anti-vote – étant vu, depuis près d’un siècle et demi, comme contraire à la définition légitime du vote – à antidote – à l’abstention, à la montée des « extrêmes »,…-, le « vote blanc » s’est donc affirmé depuis les années 1990 comme une alternative électorale de plus en plus légitime. D’abord mis en évidence dans le seul cadre d’une offre politique trop restreinte (candidat ou liste unique, référendum), celui-ci tend à devenir l’expression plus générale du non-choix volontaire, voire de la neutralité (une opinion « blanche »). Et ce, au point que la loi lui a octroyé le statut de catégorie électorale autonome en le distinguant – dans le décompte des voix et la présentation des résultats – du « vote nul ».

En résumé, pour le législateur, soit l’électeur refuse ou est en incapacité de choisir (vote blanc), soit il est incapable de voter « normalement », c’est-à-dire en suivant les règles prescrites (vote nul). Cette binarité presque manichéenne – mettant dos à dos un acte « positif » et un acte « négatif » – et cette hiérarchisation des voix non exprimées est factice : voter blanc ou nul demeure encore un vote « à blanc », sans conséquence sur l’issue d’un scrutin.

Surtout, la loi se méprend sur les réalités sociologiques des électeurs et sur leurs pratiques de vote. Car, ce qui est devenu commun d’appeler aujourd’hui « vote blanc » correspond pourtant, toujours, à un usage pluriel du bulletin de vote. En quoi, par exemple, une profession de foi, un papier avec un texte revendicatif ou encore un mouchoir blanc – tous considérés légalement comme des « votes nuls » – ne pourraient-ils pas chacun être des « vote blancs » aux yeux de l’électeur ?

Tant que des bulletins blancs officiels ne seront pas mis à disposition et que le « vote blanc » n’est pas reconnu dans les suffrages exprimés, il semblera hasardeux d’analyser celui-ci distinctement du « vote nul ».

Ils choisissent de « crier »

Beaucoup de ceux qui souhaiteraient voter blanc continuent en effet de céder à la tentation de livrer des « bulletins blancs à message » : à force de ne pas être pris en compte, ils choisissent de « crier » (en ornant leur bulletin d’inscriptions diverses et en le rendant, de fait, nul) plutôt que de « se taire » en livrant une enveloppe vide. Par ailleurs, cette dernière – seule modalité fiable pour voter blanc car un papier vierge est considéré comme nul s’il n’est pas aux mêmes dimensions qu’un bulletin officiel – rebute un bon nombre d’électeurs qui craignent que la légèreté (matérielle) de leur vote ne les trahisse auprès des assesseurs capables alors de deviner la nature de celui-ci. Dès lors, la distinction effectuée avec le « vote nul » ne provoque qu’une nouvelle euphémisation de la portée chiffrée du phénomène, en divisant le pourcentage, autrefois obtenu, en deux.

À l’heure où de plus en plus d’électeurs ne trouvent pas « bulletins à leur urne » ou les désertent (52,8 des inscrits au 1er tour des régionales, sans compter les 3 millions de non-inscrits), l’ambiguïté du code électorale et sa faiblesse (puisque la loi n’est pas vouée à s’appliquer pour les référendums et, surtout, pour la présidentielle) sont à déplorer. Car, tout en étant un refus de choisir dans l’offre politique proposée, le vote blanc et nul est aussi un refus citoyen de renoncer à voter. Il s’avère être un droit de choisir de ne pas choisir : un « alter-vote » qui fait parfois du bulletin bien davantage qu’un instrument destiné à désigner un gagnant. Et, même s’il peut être parfois synonyme d’indifférence, ce geste électoral est plus souvent un moyen d’exprimer une forme d’exigence démocratique à travers l’émission de « bulletins porte-voix ».

Jérémie Moualek est chercheur en sociologie politique, à l’Université d’Évry (Centre Pierre Naville). Il poursuit actuellement une thèse de doctorat sur le vote blanc et nul

Source : La Monde 14/12/2015

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