Selon le premier rapport de l’Observatoire national du suicide, les agriculteurs, employés et ouvriers ont ainsi un risque de décès deux à trois fois plus élevé que celui des cadres.
Le « choix » de mettre fin à ses jours « ne se présente pas de la même manière en haut et en bas de l’échelle sociale », affirme ce rapport rendu public mardi 2 décembre par le ministère de la santé.
Il existe en France des inégalités sociales très marquées face au suicide. « Les agriculteurs, employés et ouvriers ont ainsi un risque de décéder par suicide deux à trois fois plus élevé que celui des cadres », affirme ainsi le premier rapport de l’Observatoire national du suicide, rendu public mardi décembre par la ministre de la santé.
Plus de 10 000 décès chaque année
C’est en septembre 2013 que Marisol Touraine avait mis en place cet organisme afin de mieux connaître la réalité du suicide en France et pouvoir renforcer la prévention. Dans ce tout premier rapport, l’Observatoire relève qu’en 2011, 11 400 décès par suicide ont été recensés en France métropolitaine. Et chaque année, près de 200 000 personnes sont prises en charge par des urgences hospitalières après avoir tenté de mettre fin à leur jours.
Un tiers des suicides chez les plus de 60 ans
Les morts par suicide restent un phénomène masculin ?: on dénombre ainsi 27,7 décès chez les hommes contre 8,1 décès chez les femmes pour 100 000 habitants. « Le taux de décès par suicide augmente fortement avec l’âge, et un tiers de celles et ceux qui se suicident ont plus de 60 ans », note l’Observatoire.
En revanche, la part du suicide dans la mortalité générale est nettement plus élevée chez les jeunes : entre 15 et 24 ans, le suicide représente 16 % du total des décès et constitue la seconde cause de décès après les accidents de la circulation. A partir de 75 ans, le suicide représente moins de 1 % du total des décès.
De fortes inégalités géographiques
Les chiffres mettent aussi en évidence un certain nombre d’inégalités géographiques. Les taux de décès par suicide sont particulièrement élevés en Bretagne, Basse-Normandie, Nord – Pas-de-Calais et Champagne-Ardenne.
Les régions Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes et Alsace enregistrent au contraire les plus bas taux. Chez les hommes, une surmortalité relative significative est constatée dans les secteurs de l’agriculture, sylviculture et pêche, des industries agricoles et alimentaires et des industries des biens intermédiaires.
« Chez les femmes, le secteur de l’industrie et des biens d’équipement présente une surmortalité significative, le secteur de l’agriculture, sylviculture et pêche arrivant en deuxième position », indique le rapport.
Un risque multiplié par trois en cas de recherche d’emploi
Autre constat ?: si le travail joue un « rôle important » dans la production des inégalités face au suicide, le fait d’exercer une activité professionnelle à un effet protecteur vis-à-vis du suicide ou des tentatives de suicide.
L’Observatoire note ainsi que plusieurs études ont montré « qu’être en recherche d’emploi multipliait par trois le risque de mortalité par suicide par rapport aux individus en activité professionnelle ».
Sur le lien entre crise économique, le rapport reste toutefois prudent. Il relève que de nombreuses études portant sur plusieurs pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Italie, Espagne) mettent en évidence une hausse des décès par suicide en 2009 consécutivement à la crise de 2008. Mais ces études présentent « plusieurs limites » définitives selon l’Observatoire.
Les enjeux éthiques face à la prévention du suicide
Le rapport enfin soulève la question des enjeux éthiques associés à la prévention du suicide. « En médecine, l’ensemble des actions de prévention soulèvent d’importantes questions éthiques, et nécessitent de tracer une frontière entre sollicitude et ingérence. Elles peuvent en effet entrer en tension avec le principe d’Hippocrate consistant à ne pas nuire au patient, et en particulier avec le respect de son libre-arbitre », souligne le rapport.
Il relève ainsi que la question de la liberté est « cruciale » dans le cas du suicide qui pourrait être considéré,?par la personne concernée, « comme un acte mûrement réfléchi, qu’il serait illégitime de tenter d’empêcher ».
Un « choix par défaut »
Mais dans la foulée, l’Observatoire prend une position très claire. « La plupart des personnes qui attentent à leur vie le font non parce que la vie en général ne leur semble pas valoir la peine d’être vécue, mais parce qu’ils ne trouvent pas d’autre issue dans leur vie en particulier. Le suicide constitue un choix par défaut, lorsque les autres moyens de soulager la souffrance semblent inaccessibles », indique le rapport.
« Les fortes inégalités sociales de mortalité par suicide montrent que cet espace des choix ne se présente pas de la même manière en haut et en bas de l’échelle sociale.
La société contribue à façonner l’horizon des possibles des existences individuelles, la façon dont ils sont perçus, et la reconnaissance dont peuvent bénéficier ses membres », indique l’Observatoire convaincu que « la société se doit de proposer à ses membres d’autres options que celle qui consiste à mettre fin à ses jours ».
Pierre Bienvault
Source La Croix 03/12/2014
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