Electricité, gaz, téléphone: des tarifs sociaux bien planqués

Et voilà, les prix du gaz augmentent encore, de 5,2% cette fois. Soit une hausse de plus de 20% en un an. Quant aux tarifs de l’électricité, ce n’est pas vraiment mieux. Selon Les Echos, EDF réclame une hausse de 30% d’ici 2015. «Dans l’ensemble, depuis cinq ans, on constate une augmentation des prix des services essentiels, dont on ne peut pas se passer. Que ce soit le gaz, l’électricité  mais aussi le fioul, l’essence, l’ADSL, les assurances…», énumère Thierry Saniez de l’association de consommateurs CLCV (Consommation, logement et cadre de vie).

Comme pansement social à ces hausses, les politiques, de droite comme de gauche, brandissent les tarifs sociaux, censés alléger les factures des plus démunis. Ils existent déjà pour l’électricité, le gaz et le téléphone fixe. Le Premier ministre, François Fillon, en a promis un (il y a plus d’un an) pour faciliter l’accès à Internet. Le Parlement vient de voter une loi instaurant un tarif social de l’eau. Quant à Yves Cochet (Verts), il veut dupliquer l’idée pour les prix des carburants. Efficace? L’idée est bonne mais en pratique le fonctionnement n’est pas satisfaisant. Revue des principaux problèmes. Et pistes de solutions.

La galère pour y accéder

Prenez le tarif première nécessité (TPN), mis sur pied par EDF en 2004 et le tarif spécial de solidarité (TSS) valable pour le gaz. Pour en bénéficier, il faut être éligible à la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C). Sauf que cela n’a rien d’automatique. La caisse primaire d’assurance maladie envoie un formulaire aux personnes concernées. Complexe, comme tous les formulaires, avec une mention spéciale sur le nombre de chiffres à recopier. «Cela multiplie les risques d’erreur, sans compter les documents qui se perdent, ceux qui ne sont pas envoyés à la bonne adresse… Et tous ceux qui n’ont pas de factures en leur nom, qu’ils vivent chez des proches ou en concubinage», explique Stéphane Mialot, directeur des services du médiateur de l’énergie.

Pour le téléphone fixe, France Télécom propose depuis plus de dix ans une réduction sur l’abonnement de base. Sont éligibles cette fois les personnes touchant le RSA (revenu de solidarité active), l’allocation adulte handicapé ou l’allocation de solidarité spécifique (pour les chômeurs en fin de droits). Aucun courrier n’est envoyé pour informer les bénéficiaires potentiels. Ceux qui par chance sont au courant doivent demander un formulaire au Pôle emploi.

C’est l’un des gros points noirs de ces tarifs sociaux, ils sont peu connus. «Il faut dire que les entreprises ne communiquent pas beaucoup sur le sujet. On avait mené l’enquête il y a quelques années sur les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz, peu de travailleurs sociaux en avaient connaissance», rapporte Pierre Mazet, de l’observatoire du non recours aux droits et services.

Très peu de personnes en bénéficient

L’écart entre les bénéficiaires potentiels et réels est important. Pire, il se creuse. L’année dernière, le nombre de ménages profitant du TPN (électricité) a chuté, et pas qu’un peu. Ils étaient 940.000 fin décembre 2009 et seulement 625.000 (-33%) en 2010. Comment expliquer cette baisse? EDF plaide la bonne foi, disant ne pas avoir d’explication. La nécessité de refaire chaque année la demande (et donc la paperasse) serait un élément d’explication.

Quoi qu’il en soit, ces chiffres sont le signe du mauvais fonctionnement de ces tarifs sociaux. On estime à deux millions le nombre de personnes éligibles au TPN et à un million pour le tarif spécial du gaz (contre 300.000 dans les faits).

Concernant le téléphone, même constat. Quelque 330.000 clients bénéficient de la réduction sur l’abonnement à la ligne fixe. «Leur nombre baisse mais c’est normal, il suit l’évolution des abonnements de ligne fixe. Les gens préfèrent le portable», assure-t-on chez France Télécom qui se targue de proposer depuis un an et demi — «avant nos concurrents et avant que le gouvernement nous le demande» — un forfait mobile spécial RSA. Sauf que là, encore, ils sont très peu à en bénéficier, à peine 4.500.

Pas du tout à la hauteur des factures

Dans le cas du forfait mobile d’Orange, c’est 10 euros par mois pour 40 minutes de communication et 40 SMS. Sachant qu’une fois le temps épuisé, il faut racheter des recharges au prix fort. Quand on sait que les premiers forfaits classiques commencent à 15 euros par mois… On comprend mieux que peu de personnes fassent les démarches.

Pour l’électricité, c’est encore pire. «Le tarif première nécessité ne couvre pas du tout les frais de chauffage. Il a été pensé pour garantir le minimum de lumière et le fonctionnement du frigo», indique Stéphane Mialot. Le TPN n’offre qu’une réduction sur l’abonnement et sur les 100 premiers kWh consommés chaque mois. C’est très peu. Cela revient à une économie d’environ 88 euros par an! C’est rien du tout quand on sait que la facture moyenne d’électricité est de 600 euros par an, et monte facilement à 1000 euros quand on utilise un chauffage électrique. «Or, souvent les personnes dans le besoin vivent dans des appartements mal isolés avec des radiateurs électriques», rappelle comme une évidence Stéphane Mialot.

Comment améliorer

Première idée, valable pour le gaz et l’électricité: automatiser l’application des tarifs sociaux pour éviter la case paperasse. «Cela fait des années que cette mesure de bon sens est imminente, on attend toujours», ironise Pierre Mazet. «Concrètement, on voit mal comment cela va fonctionner, estime Stéphane Mialot. Encore faudrait-il que les fichiers des adresses soient à jour… Et cela ne résout pas tout : quand la personne n’a pas de facture à son nom, elle n’a pas droit à l’aide.»

L’association de consommateur CLCV milite pour une solution plus radicale : «Repenser le système, réfléchir à un dispositif global plutôt que de multiplier comme ça les tarifs sociaux pour colmater les trous, juge Thierry Saniez. On a fait des propositions, elles sont sur la table. Maintenant, cela relève d’un choix politique. Veut-on, oui ou non, garantir l’accès pour tous aux services essentiels ? »

Marie Piquemal (Libération)

 

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