Has been, le Medef ?

 Le 3 juillet, l'organisation patronale se choisira un nouveau président. afp.com/JACQUES DEMARTHON


Le 3 juillet, l’organisation patronale se choisira un nouveau président.
afp.com/JACQUES DEMARTHON

A une semaine de l’élection du successeur de Pierre Gattaz à la tête du Medef, l’organisation s’interroge sur son avenir.

Tenir. Tenir encore quelques jours avant de s’envoler à Bruxelles pour prendre la tête de Business Europe, un think tank patronal européen. Tenir surtout pour défendre son bilan à la tête du Medef. Dans une poignée de jours, le 3 juillet, Pierre Gattaz rendra son tablier de « président de combat » de l’organisation patronale. Dans son bureau, au dernier étage d’un immeuble chic de l’avenue Bosquet, avec cette vue imprenable sur la tour Eiffel, il n’a pas encore commencé ses cartons. « Je crois que je vais tout laisser, sauf quelques babioles et la photo avec Obama. »Un pincement au coeur ? Non. Dès le départ, je savais que je ne rempilerai pas. » Des regrets ? « Aucun. » Pas le genre du bonhomme. Même pas son pin’s jaune au slogan ravageur « 1 million d’emplois » qu’il a accroché au revers de ses costumes sombres pendant des mois. « Je l’agraferai à nouveau dans quelques semaines quand j’aurai réussi mon pari. » Il assume tout, Pierre Gattaz. Ses sorties de route, sa brutalité dans les négociations, le dos voûté, les épaules en avant, tel un boxeur prêt à décrocher un uppercut.

Pourtant, lors de sa dernière conférence de presse, le patron des patrons s’est un peu laissé aller : « Le prochain président devra vraiment plancher sur la réforme de notre mouvement », lance-t-il avant même de parler d’aides aux entreprises, de réforme des retraites et de baisse des dépenses publiques. Une petite phrase banale en apparence, mais qui masque un questionnement plus profond. Au fond, ça sert à quoi le Medef aujourd’hui ?

Evidemment, au siège de l’organisation, personne n’ose parler de crise existentielle, même si tout le monde y pense. On s’enflamme pour le combat qui oppose Geoffroy Roux de Bézieux, le libéral, serial entrepreneur, chantre de l’économie numérique, à Alexandre Saubot, le « Monsieur social », héraut de l’industrie soutenu par la très puissante Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Quel que soit le nom qui sortira des urnes, le chantier du futur président s’annonce titanesque. « Le Medef est une organisation zombie, éloignée de sa base, sans réflexion de fond, à la communication maladroite et à l’image vieillissante », dézingue l’économiste Olivier Babeau, président de l’institut Sapiens.

Le Medef, victime de la vague du dégagisme

Ces attaques violentes, on les entendait déjà dans les années 1990 à l’endroit du CNPF. Comme si l’histoire bégayait. « A l’époque, après la première vague de libéralisation et la fin du contrôle des prix et des changes, tout le monde s’interrogeait sur la finalité du syndicat patronal », raconte Michel Offerlé, professeur de sociologie politique à l’ENS. La réponse avait été donnée – illusoirement – en rebaptisant la vieille organisation née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en Mouvement des entreprises de France (Medef). En réalité, le problème est resté entier. « Avec toutes ses pesanteurs, il a pris de plein fouet la vague du dégagisme », assène Bernard Spitz, un des piliers de l’organisation et également président de la Fédération française des assurances.

Comme pour la plupart des syndicats de salariés, la question de sa représentativité se pose. Le Medef, combien de divisions ? Une enquête sur la mesure de l’audience des organisations patronales diligentée par le ministère du Travail l’an passé a évalué le nombre d’adhérents à 123 387, très loin des 750 000 à 800 000 proclamés depuis des décennies. Au fil des années, de plus en plus éloigné de sa base, le syndicat patronal a copié la méthode CGT. « En clair, un maximum de revendications et une pression sur les politiques pour en satisfaire une petite partie », décrypte Stéphane Sirot, chercheur et spécialiste de l’histoire du syndicalisme.

Sauf qu’aujourd’hui, cette stratégie patine, attaquée par l’ouragan Macron. « A quoi peut bien servir le Medef si la plupart de ses revendications portées depuis des décennies sont anticipées par le pouvoir politique ? » rajoute Michel Offerlé. La disparition de l’ISF, c’est fait. La baisse des charges sociales, c’est fait. Le gros toilettage du code du travail, la suppression d’une partie des seuils sociaux, la simplification administrative, la diminution de l’impôt sur les sociétés, c’est aussi fait. Quant à la réforme des retraites, elle est en route pour 2019.

Surtout, c’est la vision du dialogue social à la papa, avec le théâtre des grandes conférences sociales comme les affectionnait François Hollande, qui a du plomb dans l’aile. La loi El Khomri et les ordonnances Pénicaud ont rendu caduque une partie des accords interprofessionnels en décentralisant la négociation sociale au niveau des branches et surtout des entreprises. « Si on ne reprend pas la main sur l’agenda social, on sera comme la balle de ping-pong ballottée entre Macron et l’opinion publique », confesse, en privé, Alexandre Saubot.

Quand Macron dédaigne les partenaires sociaux

Mais ce sont des attaques du président de la République contre le paritarisme – c’est-à-dire la cogestion de certains organismes de sécurité sociale par les syndicats de salariés et le patronat – qui font le plus de mal. « Oui, on a cafouillé sur la gestion de l’assurance chômage mais l’Etat aurait-il fait mieux ? » s’agace Patrick Martin, président du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, qui après s’être porté candidat a rallié le camp Roux de Bézieux. La décision, au printemps, de laisser les syndicats continuer de gérer l’Unedic mais sous un cadre désormais fixé par l’Etat est lourde de conséquences.

« Macron n’est pas contre les corps intermédiaires : il ne les combat pas, il les ignore », décrypte Bernard Vivier, le directeur de l’Institut supérieur du travail. Exemple avec la récente réforme de la formation professionnelle. Le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de se mettre d’accord. Sauf que le texte conclu ne convenait pas à l’Elysée. Au final, la loi s’écarte sensiblement de l’accord initial. Rebelote avec le compte personnel de formation avec la décision de monétiser les droits acquis contre l’avis des partenaires sociaux. « Le problème, c’est que les syndicats de salariés et patronaux auront désormais beaucoup de mal à signer des accords s’ils savent que le gouvernement peut tout biffer d’un coup de crayon », décortique Raymond Soubie, président de la société de conseil Alixio. Et cet ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy, qui vient d’embaucher Jean-Claude Mailly, l’ex-icône de FO, de donner quelques trucs au futur président pour redorer l’image du syndicat : « Faire entendre une petite musique pour montrer que le Medef voit haut et loin. Bref, produire de la réflexion et ne pas être seulement une organisation de lobbying. » Y’a plus qu’à…

Béatrice Mathieu

Source L’Expresse l’Expansion 26/06/2018