« Salves » de Maguy Marin

L’espace noir élargit l’imaginaire. Photo D Grappe

Dans la lumière blanche, un périmètre invisible se dessine avec du fil de pêche. On suit ce fil tendu par Maguy Marin. Il est comme un lien transparent qui appelle à la mobilisation. Les danseurs s’en saisissent. De la salle, ils montent sur la scène.

Noir. On est entré en plongée dans l’esthétique de Salves. L’histoire se joue dans un entre-temps où le noir n’est pas tout à fait noir, où les bobines des vieux magnétos à bandes se mettent à tourner, à s’arrêter pour reprendre dans un autre sens. Le langage chorégraphique aspire comme les grandes vagues de l’océan. Maguy Marin nous retourne, flirtant par moment avec l’expression cinématographique entre White Material de Claire Denis et The Very black Show de Spike Lee.

Sur cette scène à quatre entrées, une mutation sociale inédite accélère le cours des choses. Dans une métrie du temps et de la lumière, l’histoire défile en diagonale. Les tableaux apparaissent et  s’éteignent. Ce noir qui occupe la majeure partie de l’espace, élargit l’imaginaire. L’édifice scénique se construit et se déconstruit à mains d’hommes et de femmes. La cadence est rapide, on ressent la tension de la mécanique en ne percevant que des segments. Les corps se soulèvent de la nuit.

Le danger est palpable. Il est même permanent comme un trou d’air gigantesque. Une culture  hors sol où tout le monde est devenu clandestin. On s’efforce de recoller les morceaux précieux de l’identité collective. Mais il y a des pertes. Des assiettes se cassent, des corps s’effondrent, s’enfouissent, disparaissent. Les danseurs résistent collectivement pour ne pas être balayés.

Résistance

Maguy Marin sait jouir de sa liberté et elle est généreuse. Ce qui lui donne une force sans beaucoup d’équivalent sur la scène de la danse contemporaine française. Depuis vingt ans, elle répond à une exigence artistique débridée. L’artiste n’a jamais tourné le dos à l’absurde, mais sa critique moqueuse a toujours du sens. Salves affirme une prédilection pour le monde nocturne. Les humains agissent dans le noir. Un langage s’invente, fait de rythmes et de mouvements. Il traduit l’ébranlement de la cohésion sociale fondée sur des siècles d’Histoire et de valeurs.

C’est du moins la piste de travail initiale. L’œuvre qui en sort au final la dépasse. L’excellent travail sur la lumière, privilégiant le cadrage serré fait songer aux peintures de La Tour. Les préparatifs somptueux du banquet dénotent un dérèglement comme si la consommation des symboles n’avait plus le même goût. Salves, n’est pas une pièce noire, c’est une pièce qui transporte l’aura de Walter Benjamin, pour qui le déclin n’est pas disparition. Une fois de plus Maguy Marin s’attaque au temps et prend la tendance générale à contre pied . Pour elle le corps est une arme qui pense un dernier espace de liberté…

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Danse,