Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants…

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Tous les chats sont gris
Chronométrés, programmés à la seconde près jusqu’à parfois manquer de spontanéité, mais toujours désarmants de bonheur, les mariages restent l’un des derniers survivants de la nuit libanaise, lorsque cette dernière touche le fond…es couples se séparent, les familles se recomposent, les enfants grandissent en alternance : c’est la noria des ex et des demis, l’institution matrimoniale version 1.0 qui vieillit mal et s’en prend plein la figure.
C’est ainsi et il faut arrêter de s’en désoler. Cela dit, en cette ère où s’ouvrent comme jamais les gouffres salés des divorces dévorants, une question nous taraude : comment les Libanais trouvent-ils encore l’envie et surtout le courage de se jurer amour éternel ? Comment ont-ils foi en des épousailles de fer à l’heure des séparations de coton et des recompositions de cocon ? Comment osent-ils s’unir devant Dieu ou la loi, alors que la bague au doigt étrangle désormais comme une corde au cou ? Et que les mariages pluvieux ne présagent (presque) même plus des jours heureux ? Car ni le taux élevé de mariages brisés, encore moins le marasme du pays n’ont réussi à refroidir les Libanais qui ont, cet été plus que jamais, fait honneur à la wedding season, toujours au centre des polémiques.

Devoirs et émotions
Au Liban plus qu’ailleurs, là où les arbres généalogiques ont des tentacules s’épanchant du Nord au Sud, avec cap sur le Brésil et le Canada, les jours de noces sont ces retrouvailles qui sortent de la naphtaline les tendresses faisandées comme les griefs abusifs. Mais aussi, les complicités secrètes des passés composites et encore les mélancolies mauves de se voir vieillir ensemble…

Avec toujours, en toile fond, une obsession des obligations, même en ce jour initialement consacré à la fête. Devoir inviter le cousin par alliance de troisième degré, devoir être toute de blanc vêtue, devoir faire acte de présence face à un patriarche ou un cheikh, devoir désigner comme témoin la cousine bedonnée, devoir se coltiner le tapage d’une dabké ou l’invasion d’une armée de riz sur une chevelure bien montée. Mais, avec un peu de recul, c’est cette douce répétition des mêmes attentions, des mêmes détentions qui nous font aimer ce moment presque énervant de gaîté.

Alors, oui, militons pour ce rituel made in notre petit pays. Pour la robe surbrodée, surdentelée, sur-swarovskiée de la maman, cousue à la main tout l’hiver durant ou louée pour un soir, comme une Cendrillon senior. Pour le mascara waterproof qui lâche lorsque la mariée sort de sa chambre de jeune fille, sous le regard intact de ses ours en polystyrène et de sa grand-mère un peu hagarde, qui ne sait plus qui d’elle, de sa fille ou de sa petite fille va passer la bague au doigt.

Pour les demoiselles d’honneur, ces véritables anges, princesses avant le temps. Pour la seule et unique version de la zaffé, cette chanson kitsch et élimée qui arracherait une larme au plus endurci des Vikings du jurd. Surtout pour le jus d’ananas et les bonnes vieilles dragées casseuses de dents, parce qu’on nous a assez cassé les pieds avec les buffets de traiteurs branchés et autres gâteaux sans gluten.

Évidemment pour la zalghouta de la nounou centenaire qui déguisait la 3arouss en princesse, du haut de ses trois ans. On est même pour la meringue de la mariée en cinq dimensions, oui, pour sa tignasse honnête qui fait souvent rappel au bouquet offert par son prétendant, merci de nous sortir de la fadeur de ces modeuses mordues de haute couture. Pour l’immeuble qu’on orne en entier, les chaises en plastique qui débordent jusqu’à l’entrée et les voisins qui s’y mettent aussi. Pour la voiture couleur crème qu’on emprunte pour l’occasion, et le convoi qui laisse traîner les vagues d’un voile blanc alors que ce qui fume autour n’est que buées noires et vapeurs grises.

 

Comme une horloge bien réglée
Sauf que dernièrement, les jours de noces s’apparentent davantage à un bonheur artificiellement téléguidé qu’à une pétarade de joie partie en vrille, lorsque l’enchaînement est programmé à la minute près par des wedding planneurs, depuis l’arrivée des convives jusqu’au cadeau de retour. Alors contre les mariages minutés comme des parades de l’armée, parce qu’une toile inachevée est toujours plus touchante qu’un tableau parfait.

Contre les hôtesses venues en renfort nous arracher nos verres lors du welcome drink, nous traînant de force vers les tables d’où l’on se toise comme des chiens de faïence. Contre les zones Mykonos, Santorini et Poros car la féodalité est révolue et que ces noms d’îles grecques n’ont pas leur place sur cette colline du Kesrouan.

Contre les entrées du jeune couple en grande pompe, parachutées d’une montgolfière, jaillies d’un coquillage en marbre ou conduites par un carrosse car la réalité devient trop artificielle et rien ne vaut un retour à l’essentiel. Contre les discours guimauves qui réveillent des vieux démons, et les présentations power point pleines de photos que le jeune marié n’avait pas l’intention de revoir de sitôt.

Contre la first dance en version rap ou hip hop car rien n’égale des mots murmurés à l’oreille, une tête reposant sur l’épaule, une main au creux des reins, et des hanches en avant façon Maria Schneider dans Last Tango in Paris. Contre enfin le manque de surprise, ces mêmes cracheurs de feu, cette même band sud-américaine qu’on doit se farcir tout l’été et cette même pièce montée qui aurait mieux fait d’être en sucre qu’en carton blanc.

 

Pour, quand même
Mais parce que les parents se sont saignés afin que ce jour soit le plus marquant de la vie de leurs enfants, et que dépenser de telles sommes dans un pays qui tient à un fil de soie est un acte indiscutablement courageux : pour ces mariages libanais. Pour ces 3a2bélak à la pelle qui finissent par faire sourire, pour l’alcool qui coule à flots et la mariée qui se retrouve en tongs, pour les expats qui ont enfin une bonne occasion de rentrer au bercail, et ce sentiment rassurant de grandir avec les mêmes visages. Pour ces soirées qui nous redonnent goût à la fête, à l’été et à l’amour. Pour se dire « OUI » et s’aimer donc, envers et contre tout.

| OLJ
Source ; L’Orient du Jour 29/08/2015
Voir aussi : Rubrique Mediterranée, Liban, rubrique Société,