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Il flotte une drôle d’ambiance autour de la discussion de ce dernier projet de loi de finances du quinquennat, dont la première partie (les recettes) doit être votée mardi 25 octobre à l’Assemblée nationale. La droite s’est efforcée de démontrer que le gouvernement actuel allait laisser à son successeur « quantité de factures impayées dans son armoire », comme l’a dénoncé le président (LR) de la commission des finances, Gilles Carrez. « La marque de fabrique de ce projet de budget pour 2017 : on gonfle les recettes à encaisser en 2017 et on reporte au maximum les dépenses sur 2018 et au-delà », a-t-il expliqué.
L’attaque était attendue. Ce qui l’était moins, c’est cet étrange climat de déliquescence, ou à tout le moins de désaffection, de la majorité gouvernementale qui a imprégné cette première semaine de débat budgétaire. Et qui a permis à une alliance de l’aile gauche du groupe socialiste, au sens large, de députés écologistes et communistes, à laquelle se sont même parfois mêlées quelques voix de droite, de mettre en minorité sur plusieurs votes le gouvernement et son dernier carré de fidèles, quitte à aggraver le solde budgétaire.
« C’était une semaine très surprenante, confie Karine Berger (PS, Hautes-Alpes), qui a défendu plusieurs amendements adoptés malgré l’avis défavorable du gouvernement. On savait qu’il y aurait des choses qui passeraient, on ne pensait pas que tout ou presque passerait, même si l’affectation du solde budgétaire ne sera pas supérieure à 1 milliard d’euros. » « Nous avons fait voter des mesures de gauche et ça ne s’est pas passé comme prévu », renchérit la rapporteure générale du budget, Valérie Rabault, qui à plusieurs reprises a résisté aux pressions du gouvernement. Ainsi, sur l’amendement défaisant partiellement la fiscalité très avantageuse dont bénéficient les attributions gratuites d’actions depuis la loi Macron de 2015, le gouvernement a essayé de la dissuader de le défendre jusqu’au bout. Elle a refusé.
Etrange passivité
Perte d’autorité du gouvernement, faible mobilisation des députés socialistes dits légitimistes, sentiment répandu dans une partie du groupe d’être allé trop loin dans une orientation sociale-libérale, lassitude de devoir répondre aux accusations de « trahison »… tous les ingrédients se mêlent pour expliquer que les digues aient cédé. S’y ajoute l’effet ravageur des propos tenus par François Hollande dans le livre des journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un président ne devrait pas dire ça… »(Stock). « Ce qu’on sentait déjà implicitement dans le groupe depuis un certain temps s’est accentué avec la sortie du bouquin, relève Pierre-Alain Muet (PS, Rhône). Ce qui s’est passé sur les actions gratuites montre bien que la majorité du groupe ne souhaitait pas, au fond, la loi Macron. »
Il n’est pas inhabituel que, en séance, le gouvernement puisse se retrouver en posture délicate, faute de soutiens en nombre suffisant. Dans ces cas-là, on voit généralement les émissaires du gouvernement et du groupe majoritaire s’exciter pour rameuter au plus vite des troupes supplémentaires. Bizarrement, cette fois, rien de tel, aucune fébrilité, une étrange passivité. Et le président du groupe socialiste lui-même, Bruno Le Roux, s’il a fait acte de présence, notamment dans la soirée de mercredi, n’est jamais intervenu.
« Les difficultés essentielles étaient identifiées, on n’y a pas coupé, analyse M. Le Roux. Les frondeurs étaient en séance, mais moins vindicatifs qu’ils n’ont pu l’être à d’autres moments. Le problème, c’est que la majorité est difficile à faire venir. Je vois bien qu’il y a un effet bouquin. La forme la plus sympathique de mécontentement, c’est “débrouillez-vous”. Pour la première fois, ils n’arrivent pas à trouver des réponses à leurs questionnements. Et on n’y arrive pas plus. »
« Climat de fin de législature »
Ce scénario du désabusement, le ministre de l’économie et des finances, Michel Sapin, le réfute. « Vous avez écrit l’histoire que beaucoup avaient envie d’écrire, assure-t-il au Monde. Le livre [de Gérard Davet et Fabrice Lhomme] a été déflagratoire, le gouvernement n’a plus aucune autorité, il ne contrôle plus rien… Tout ceci est faux. Tous les ans, nous avons un débat sur la taxe sur les transactions financières. Tous les ans, les mêmes se mobilisent sous la pression des ONG. Cette fois-ci, ça passe, on verra ce qu’on en fait mais cela n’a pas grande importance puisque ça ne pourra pas être mis en place au 1er janvier 2017. Quant à la rapporteure générale, chaque année, elle arrive avec ses propositions. Des fois, on arrive à un compromis, d’autres non. Tout ça n’est pas en soi des phénomènes nouveaux. »
« La vérité, c’est que depuis 2013 il y a quarante députés frondeurs qui sont capables de se mobiliser, cela n’a pas changé. Ce qui est nouveau, c’est que les opposants se mobilisent facilement et que les loyalistes qui auraient dû être là mercredi ne l’étaient pas. C’est là que l’ambiance post-livre a pesé », insiste M. Sapin, avant de lâcher dans un soupir : « C’est vrai que l’ambiance globale au groupe n’était pas bonne. » Ce que Dominique Lefebvre, le très vallsiste porte-parole du groupe socialiste à la commission des finances, résume d’une formule : « Un climat de fin de législature. »
De ce dernier projet de loi de finances, le gouvernement souhaitait que l’on retienne prioritairement la mise en œuvre de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés, dernier legs d’une réorientation de sa politique économique pro-entreprise. Ce qui en ressort en définitive, c’est l’égarement d’une majorité qui ne sait plus à qui ni à quoi se raccrocher.
Source Le Monde 25/10/2016
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