L’ancien Premier ministre Ibrahim Boubacar Keïta (surnommé « IBK ») est le nouveau Président du Mali. Sous l’étiquette « Rassemblement pour le Mali », il a battu au second tour son adversaire Soumaïla Cissé. Dans un premier temps, ce dernier a contesté la victoire. Finalement, ce lundi soir, Cissé est allé rendre visite au nouveau Président avec épouse et enfants.
Son élection, après deux échecs successifs en 2002 et 2007, met fin à la plus grande crise de l’histoire du Mali.
Celle-ci a débuté en janvier 2012, par une offensive de rebelles touareg dans le nord du pays, suivie en mars 2012 par un coup d’Etat qui a renversé le Président élu, Amadou Toumani Touré. Des groupes criminels et des djihadistes ont ensuite pris le pouvoir au nord du pays. Ils ont été chassés en 2013 par une intervention militaire internationale, lancée par la France, toujours en cours.
IBK doit maintenant redresser le pays.
1 « L’homme qui n’a qu’une parole »
Né le 29 janvier 1945 à Koutiala (sud), Ibrahim Boubacar Keïta a fait des études de sciences humaines au Mali, au Sénégal et en France. Au début des années 80, il est un conseiller du Fonds européen de développement (FED), puis chef d’un projet de développement dans le nord du Mali.
En 1992, Alpha Oumar Konaré, premier Président de l’ère démocratique, lui confie plusieurs postes à responsabilités : conseiller, ambassadeur en Côte d’Ivoire, ministre des Affaires étrangères (1993-1994), puis Premier ministre de 1994 à 2000.
Comme chef du gouvernement, Ibrahim Boubacar Keïta doit gérer une crise scolaire et des grèves qui paralysent le Mali. Il fait durement réprimer les grévistes, et fermer les écoles, décrétant une « année blanche » pour la période scolaire 1993-1994. Il ferraille également contre les opposants au régime de Konaré, resté dix ans au pouvoir, de 1992 à 2002.
Pendant ces années, il s’est construit une image de fermeté (malgré la rondeur de son tempérament), qualité que les Maliens estiment nécessaire pour restaurer l’Etat de droit.
Ses partisans le surnomment « Kankeletigui », l’homme qui n’a qu’une parole.
Au Mali – une république laïque –, l’islam est traditionnellement de rite malékite, ouvert. Mais à mesure que les structures de l’Etat se sont délitées, des courants religieux plus radicaux ont grandi. Durant la campagne présidentielle au Mali (en plein ramadan), le nouveau Président a joué la carte de l’islam dans un pays musulman à 95%.
IBK ne commence jamais ses meetings sans déclamer quelques versets du Coran, et ponctue ses discours d’« inch’Allah » repris par la foule. Cela lui vaut le surnom (un énième), « Ladji » – pour El Hadj, ceux qui ont fait le pèlerinage à La Mecque.
IBK a aussi reçu le soutien du Haut conseil islamique, une institution représentative des organisations musulmanes au Mali, conservatrice et de plus en plus influente sur la scène politique.
Certains de ses adversaires sourient. Le positionnement leur semble opportuniste chez cet homme de 68 ans, décrit par ses proches comme un amateur de bonne chère et de vins délicats.
Dans un entretien vendredi à l’AFP et à la Radio télévision suisse romande (RTS), IBK a déclaré que quand « on veut le bonheur des Maliens, il faut soi-même être imprégné du bonheur et croquer la vie à pleines dents ».
Le candidat imite souvent la façon de parler du général qu’il admire. Il dit par exemple, dans un style gaullien, qu’il a « une certaine idée du Mali » et qu’il veut restaurer « l’honneur » du pays.
IBK a aussi fait campagne sur des thèmes perçus comme gaullistes par la presse française :
« Etat fort, exacerbation du sentiment national, mépris affiché des intérêts partisans. »
La comparaison entre le nouveau Président et le général de Gaulle est devenue un marronnier.
Durant sa campagne pour la présidentielle, IBK avait affirmé que son objectif prioritaire était la « réconciliation » d’un Mali profondément divisé. Il n’a pas particulièrement fait une campagne de terrain, mais il a été le premier des candidats à se rendre à Kidal, chef-lieu de région à plus de 1 500 km au nord-est de Bamako, considérée comme le berceau des Touaregs. Un coup politique. Dans ses meetings, il a martelé :
« Je ramènerai la paix et la sécurité. Je renouerai le dialogue entre tous les fils de notre nation. »
« Le représentant du monde de l’argent »
L’urgence sera notamment de conclure un accord avec les rebelles touareg du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), qui souhaite obtenir une autonomie sur une partie du Nord-Mali.
En comparaison, l’adversaire d’IBK est apparu comme le candidat de la finance. Dans L’Humanité, Aminata Traoré, ex-ministre de la Culture :
« Soumaïla Cissé, c’est pour nous le symbole, l’incarnation de la finance. Il en a été le ministre, il a dirigé l’Union économique et monétaire ouest-africaine, qui n’est rien d’autre qu’un instrument du système.
L’étalage de moyens financiers colossaux, durant sa campagne, a cruellement contrasté avec le chômage massif et l’extrême pauvreté. Il est apparu comme le représentant du monde de l’argent. »
A Paris, on a pris bien soin de ne pas afficher de préférence durant l’élection, mais la victoire d’IBK est bien vue.
Les responsables français connaissent bien Keïta et l’apprécient (Manuel Valls, Laurent Fabius ou Ségolène Royal seraient de son côté). Mais IBK a fait attention de ne pas apparaître comme le « candidat de la France ».
Keïta, membre de l’International socialiste, est très proche de la France où il a vécu 26 ans. Il a fait ses études à Paris, au lycée Janson-de-Sailly et à la Sorbonne. Il est titulaire d’une maîtrise d’histoire et d’un DEA en politique et relations internationales.
Après ses études, il est chargé de recherche au CNRS et enseigne les systèmes politiques du tiers-monde à l’université de Paris Tolbiac. De ses années parisiennes, il garde une réputation de noceur.
La France avait imposé un calendrier serré, elle est soulagée : le peuple malien s’est fortement mobilisé (même si le scrutin ne s’est pas déroulé parfaitement en France, par exemple) et aucun acte de violence n’est venu perturber l’élection. Fabius se rendra à Bamako pour l’investiture du Président malien. En retour, selon Le Parisien, celui-ci devrait choisir Paris pour son premier déplacement officiel, au cœur de l’été.
Keïta est resté très discret au moment du coup d’Etat du 22 mars 2012 qui a renversé le président Amadou Toumani Touré, contrairement à Soumaïla Cissé qui avait fermement condamné ce putsch.
Fin tacticien, il avait pris soin de ne pas condamner le putsch militaire du capitaine Sanogo et de la junte, sans pour autant le cautionner.
Selon la presse malienne, le capitane Sanogo et ses co-auteurs estiment qu’ils « ont des chances d’être ménagés ou même d’être recasés ».
Mais dans Libération, fin juin, IBK disait :
« Je veux une transition solide, pas avec des politiciens à la petite semaine ni avec des putschistes […]. Sanogo ? On a voulu me faire passer pour un proche. Mais je ne suis pas stupide pour me laisser compromettre avec les militaires putschistes ! »
Ou au Monde et à la troisième personne :
« Je ne suis pas soutenu par les militaires, je suis soutenu par l’armée malienne dans son intégralité […] IBK est fier de ce soutien des forces armées et des forces de sécurité du Mali, tous corps confondus. »
Sa campagne de communication a été orchestrée par Havas et Voodoo, l’agence qui a accompagné Alassane Ouattara au cours de l’élection en Côte d’Ivoire en 2010.
Il était partout. Ses affiches de campagne le montraient soit en costume occidental, soit en gentil grand-père câlin vêtu de l’habit traditionnel (il a quatre enfants). Le slogan écrit en capitales :
Pourtant, le candidat au boubou bleu ciel n’a rien d’un papy gâteau… IBK sait, par exemple, très bien utiliser les réseaux de sa femme, Keïta Aminata Maïga, connue pour son engagement pour l’environnement et qui préside la Fondation agir. Fille d’un ancien ministre des Finances, elle lui sert d’interface avec plusieurs mouvements de jeunes et de femmes.
En 2007, l’épouse du Président a été remerciée par la République et a été décorée par l’ambassadeur de France au Mali.
« IBK. Le Mali d’abord. »
Source : Rue 89 13/08/2013