Elle a déjoué tous les pronostics. Lydie Salvayre a remporté le prix Goncourt avec Pas pleurer (Seuil), en remportant six voix, alors que la victoire semblait se jouer, depuis deux semaines, entre Charlotte, de David Foenkinos (Gallimard) et Meursault contre-enquête (Actes Sud, quatre voix), de Kamel Daoud. La quatrième finaliste était Pauline Dreyfus, avec Ce sont des choses qui arrivent (Grasset).
Annoncé dans la foulée, au même endroit (le restaurant Drouant qui accueille le Goncourt depuis cent ans), le prix Renaudot est venu récompenser David Foenkinos pour Charlotte (Gallimard).
Durant l’été 1936, quand éclate la guerre civile espagnole, alors qu’il est à Majorque, l’écrivain Georges Bernanos, catholique, monarchiste, compagnon de Maurras, est révulsé par les atrocités de la nuit franquiste, qui lui inspireront Les Grands cimetières sous la lune (1938). Pendant ce même été, Montse, la mère de la narratrice, a 15 ans et vit à Barcelone, l’émerveillement d’une révolution libertaire, elle, la « mauvaise pauvre » jadis montrée du doigt par les notables de son village catalan. Soixante-quinze ans plus tard, Montse raconte cette époque à sa fille, la narratrice, autour d’une anisette.
Lydie Salvayre passe de l’un à l’autre, fait le lien. D’un même mouvement, elle se laisse ventriloquer par la prose envoûtante de Bernanos, dont les admirateurs reconnaîtront ici plus que les accents, et s’abandonne aussi à la langue de sa propre mère, mélange si singulier de français et d’espagnol. Entre ces deux paroles d’exilés qu’à l’origine tout semble opposer, le sexe, la classe, les idées, Lydie Salvayre crée une solidarité vitale. Pour cela, elle s’en remet à cet esprit d’insoumission que Bernanos nommait l’esprit d’enfance. Avec sensibilité et insolence, elle proclame magnifiquement sa fidélité au langage de la jeunesse. Et démontre que cette langue, qui n’a rien à voir avec l’âge, relève d’abord de l’obstination, de l’héroïsme et de la grâce.
Une vingtaine de livres
Née en 1948, d’un couple de républicains espagnols exilés dans le sud de la France, Lydie Salvayre est l’une des romancières françaises les plus reconnues de sa génération – son œuvre, composée d’une vingtaine de livres, est traduite en une vingtaine de langues. Son quatrième ouvrage, En compagnie des spectres (Verticales, 1997), lui avait valu le prix Novembre.