Les manifestants se sont mobilisés au nom de valeurs que les Djihadistes récusent.
Entretien avec Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po, conseiller des Affaires étrangères, il a été en poste en Jordanie, en Syrie et en Tunisie, ainsi qu’aux États-Unis.
Mouamar Kadhafi dénonce l’influence d’Al-Qaida dans le soulèvement de la Libye. Que sait-on vraiment de la présence ou non de djihadistes dans ce pays ?
La dénonciation de Ben Laden par M. Khadafi serait dérisoire si elle n’intervenait pas dans un contexte aussi tragique. La Libye a certe été, en mars 1998, le premier Etat à émettre un mandat d’arrêt international contre le chef d’Al-Quaida, à l’heure où peu de service de renseignement avaient pris la mesure de cette menace globale.
Tripoli avait en effet écrasé les maquis djihadistes de Cyrénaïque et les dirigeants des groupes islamiste combattant libyens (GICL) avaient rejoint Oussama Ben Laden en Afghanistan. Le GICL a depuis été absorbé par Al-Quaida et il n’existe plus sur le terrain depuis une quinzaine d’années. Un certain nombre de djihadistes repentis se sont même ralliés dernièrement au régime de Kadhafi, qui agite cet épouvantail pour repousser l’heure de vérité.
Le colonel Kadhafi a été, par le passé, un parrain du terrorisme international, pourquoi cette opposition, aujourd’hui à Al-Qaida ?
Il est le doyen des chefs d’Etat arabes et tous les moyens lui ont été bons pour perpétuer un pouvoie absolu. La confrontation avec l’Occident a longtemps été son fonds de commerce et les sanctions internationales lui ont permis de resserrer le contrôle de la population par les Comités révolutionnaires. Il a ensuite profité de l’effet d’aubaine suscité, après les attentats du 11 septembre, par « la guerre globale contre la terreur ». Il a proposé ses services dans ce cadre et renoué avec les Etats-Unis sur cette base. Il n’a dès lors plus cessé d’exagérer la menace d’AL-Quaida, alors même qu’elle avait disparu en Libye.
Comment Al-Qaida vit-elle ces soulèvement et ces révolutions arabes ?
Al-Qaida est totalement dépassée par le vague de fond qui traverse le monde arabe, car ce mouvement démocratique invalide tout ce qui les djihadistes proposent en termes de programmes et professent en termes d’analyses. Ces soulèvements populaires ont renversé, en peu de temps, des régimes qu’Al-Qaida n’a jamais sérieusement menacé en plus de vingt ans d’existence. Les manifestants se sont mobilisés en masse au nom de valeurs démocratiques que les djihadistes abhorrent et combattent.
Ben Laden et ses acolytes espèrent une contre-révolution violente qui pourrait les remettre en selle. Une fois de plus, Al-Qaida attend son salut de ceux qu’elle présente comme ses pires ennemis et qui, tel Kadhafi, la désigne pour s’accrocher au pouvoir.
Recueillis par Gilles Paris (Le Monde)
Jean-Pierre Filiu est l’auteur de La Véritable histoire d’Al-Qaida (Pluriel, 384 p., 9,50 euros) .
Voir aussi : Rester mesurés face à la menace du terrorisme