Un an après la city zen

Traders en fête !

La crise passée, la place financière retrouve le sourire. Et ce n’est pas une taxe sur les bonus qui viendra inquiéter les traders…

Aux murs, des bustes romains sur fond de velours rouge surplombent des écrans plasma où défilent en continu des clips musicaux. De grands lustres dégoulinant de verroterie pendent au-dessus des tables et des chaises de bois sombre. Kitsch et cosy, Abacus reste l’un des restaurants-bars les plus branchés de la «City», chéri par les jeunes traders. La journée est finie, ils ont tombé la cravate et se retrouvent là, dans Cornhill Street, juste en face de la Banque d’Angleterre, même si bon nombre d’entre eux travaillent désormais à Canary Wharf et dans les autres quartiers émergents de l’Est. On boit, on rit, on drague. Le fric est de nouveau là, comme si la crise n’était déjà plus qu’un mauvais souvenir. «On se gave pour rattraper le plongeon de 2008», sourit Philip. Un an et demi après la plus grave crise économique depuis la Seconde Guerre, la finance se porte comme un charme. Première place boursière européenne, la City est aussi le deuxième marché le plus important au monde pour la gestion d’actifs et la troisième place mondiale pour l’assurance. Les 200 000 personnes qui, dans la capitale britannique, vivent de la finance ou d’un business en rapport avec elle ont à nouveau le moral. «Les crises font partie intégrante de l’histoire du capitalisme et la City a la mémoire courte», souligne Richard Portes, professeur à la très prestigieuse London Business School.

Echafaudages.

Les banques ont été renflouées gratuitement par le gouvernement de Gordon Brown et elles peuvent continuer leurs échafaudages spéculatifs avec un risque zéro, convaincues que les pouvoirs publics seront là pour éponger leurs dettes. L’embellie, bien sûr, varie selon les secteurs. Les produits dérivés fondés sur les actions et les matières premières ont le vent en poupe. «Dans des secteurs très rémunérateurs comme la restructuration de bilan, le négoce d’actions et les augmentations de capital, l’activité fonctionne de nouveau à plein régime et les banques d’affaires veulent recruter ou garder les meilleurs talents», explique un jeune financier qui vient de trouver un nouveau poste dans le conseil, avec une consistante augmentation de salaire et de primes à la clé. Les bonus pleuvent à nouveau. Selon le Center for Economics and Business Research, 7 milliards d’euros ont été distribués en 2009 par les banques britanniques. Presque autant qu’en 2007, année record. «Et on est moins nombreux à se les partager depuis la crise car il y a eu pas mal de dégraissage», souligne Philip.

Leur taxation à 50%, instaurée à titre exceptionnel par Gordon Brown, n’émeut personne. Leur montant est intégré au salaire ou leur paiement est différé pour contourner cette mesure prévue théoriquement pour un an. «Personne ne quittera la place financière de Londres uniquement pour des questions d’augmentation de taxes sur les bonus ou les rémunérations, car il suffit d’avoir de bons avocats», explique Richard Portes de la London Business School. Il ne se fait guère d’illusions sur la possibilité d’introduire une régulation ambitieuse sur les transactions ou sur des normes incitant à réduire la concentration bancaire et la taille d’établissements «trop gros pour qu’on les laisse couler et trop gros pour qu’on puisse réellement les sauver». La crise n’aura-t-elle finalement rien changé ? «On affiche simplement moins son fric», explique un jeune trader français. Fini les grands millésimes coûtant des milliers de livres pour fêter un contrat. Dans l’immobilier, pour les grosses transactions, on préfère traiter de particulier à particulier, ce qui attire moins l’attention.

immobilier sinistré.

Chez les plus jeunes, le traumatisme de la crise est encore bien présent. «Nous avons été formés pour être des décideurs, trancher vite, et nous avons découvert brusquement que notre destin nous échappait», soupire Kurt, un Allemand travaillant dans les produits dérivés liés à l’immobilier, le premier secteur touché par la crise. En moins de deux ans, il s’est retrouvé par trois fois sur le carreau. «On me convoquait, on m’annonçait la réduction de personnel et j’avais une heure pour quitter les lieux», raconte le financier qui, à chaque fois, a réussi à se recaser en trois mois. Son secteur reste sinistré, il vient d’être à nouveau licencié. L’indemnité de chômage se monte à 65 livres par semaine, quel que soit le salaire précédent. Il a des économies et il peut tenir.

En revanche, nombre de ses collègues sont coincés. Et ils bradent ce qu’ils ont, montres de marque, bijoux, voiture de sport… «Ils ont des actifs et pas d’argent, alors ils défilent ici», explique le patron de Nikolas Michael, premier prêteur sur gages installé dans la City depuis un siècle, dans une petite salle en étage sur Bishopgate Street. Il offre un tiers de la valeur de l’objet pour six mois, renouvelables une ou deux fois, puis il le vend. Les affaires continuent de très bien marcher : «Je vois passer autant de gens qu’au début de la crise.»

Reportage de Marc Semo (Libération)

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