Création. Jacques Allaire s’inspire du roman de J. Rudefoucaud Le dernier contingent.
Le Dernier Contingent, un roman d’aujourd’hui empreint de vie, la vraie, s’incarne corporellement pour devenir théâtre sous la main inspirée de Jacques Allaire qui le redessine : « Je détruis tout et reconstruit avec les morceaux en miettes. » Des cendres floconneuses du Phénix, le récit de Julien Rudefoucauld renaît sur le plateau, par les corps qui disent l’intérieur des choses. Les corps de ces jeunes comédiens dont on partage la fabuleuse expérience artistique d’un processus harassant qui laisse la narration et la psychologie au vestiaire du XXe siècle.
Ce qui est recherché et demande beaucoup de travail – moins peut-être pour des acteurs qui sortent tout juste des écoles – c’est l’évidence de l’émotion, la croissance des sensations qui surgissent dans le découpage de la pièce comme un geste politique.
La traversée d’un monde qui bascule au point de dévorer ses propres enfants que décrit Julien Rudefoucauld au moyen du roman s’active sous nos yeux. On plonge en eau profonde dans un spectacle parlant et silencieux qui débute par un morceau de pop musique interprété par un musicien perché sur une grande cage compartimentée. La douceur d’un monde ouvert aux possibles côtoie l’autre réalité qui s’impose impitoyablement.
En-dessous, dans la cage, sont parqués six adolescents qui font tache dans le paysage organisé de la civilisation de l’offre et de la demande. Le récit de leur vie s’enchaîne se chevauchant comme les recueils de nouvelles de Carver. Des parcours simples, touchants, qui diffèrent mais sont tous contraints à l’obéissance sans pouvoir concevoir leur désir. L’angoisse subit des adultes et l’absence d’amour apparaissent comme une impossibilité à produire le monde de demain.
Le spectacle stimule l’intelligence. Dans la démarche de Jacques Allaire, l’émotion brute se met au service d’une esthétique qui entre en résistance, s’édifie, face à l’uniformisation dans une société où le néolibéralisme écrit nos vies et les contrôles. Loin du cynisme de la violence surexposée la présence puissante sincère et dramatique des acteurs sort le spectateur de son apathie.
Jean-Marie Dinh
Source : La Marseillaise 07/12/2015
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