Théâtre.
Sans image, ni cri de victimes, le metteur en scène suisse Milo Rau conçoit avec Hate radio une installation théâtrale qui donne à entendre la puissance performative de la voix. Les paroles nous font toucher le réel. Elles se sont manifestées lors des appels au génocide au Rwanda via les transmissions radio de station Radio-Télévision libre des Milles collines. Du mois d’avril au mois de juin 1994, la RTLM a préparé et facilité le génocide dont le bilan s’élève à près d’un million de morts dans la minorité Tutsi et des milliers de Hutus modérés assassinés.
Ce n’est pas par frilosité que la mise en scène délaisse le choc des images violentes. C’est tout au contraire pour se centrer sur les effets bien plus dévastateurs de la violence invisible issue de la manipulation psychologique. Le décor se constitue d’une réplique du studio de RTLM à l’identique. On pénètre dans l’ambiance du studio après les témoignages poignants d’humanité de quelques victimes et témoins du génocide.
Dans la phase préparative, Milo Rau et son équipe se sont rendus au Rwanda à la rencontre des bourreaux et des victimes. Ils ont collecté plus de 1 000 heures d’émissions, réalisé près de 50 interviews, pour les condenser en une émission imaginaire, en réduisant les animateurs au nombre de quatre personnages. En ce sens, il ne s’agit pas à proprement parler de théâtre documentaire mais d’une dramatisation d’une réalité qui pointe un cynisme indescriptible. Aux platines, on mixe les tubes congolais et internationaux du moment en les entrecoupant de messages subliminaux. On incruste des appels aux meurtres au coeur de reportages sportifs ou de pamphlets politiques et historiques. On encourage la délation pour « écraser les cafards ». On vante l’efficacité des massacres comme on le ferait pour une marque de lessive.
Equipé d’un casque, chaque spectateur gère individuellement la propagande qui passe entre ses oreilles, le pouvoir des mots, du médium et leurs horribles conséquences. La liberté d’expression trouve ici ses limites.
JMDH
« Hate Radio » produit par International institute of political murder (IIPM). Photo dr
Source : La Marseillaise 19/02/2016