Stéphane
Comment avez-vous décidé de réaliser ce sujet ?
« Au début, il devait être réalisé en banlieue parisienne, mais je craignais qu’il ne soit focalisé sur l’insécurité. Je voulais aussi montrer qu’en province les problématiques sont les mêmes. Mon intention était de laisser la parole aux habitants, ce que font peu de médias. J’étais fatigué de toujours entendre parler de la même manière des banlieues : soit on évoquait l’insécurité, soit on faisait un portrait du rappeur du coin. J’ai rencontré énormément de gens. J’ai voulu donner de la chair à leurs histoires d’intimité, d’amour, de repli, de violence, j’ai rencontré des gens qui rêvent, des gens qui étaient venus chercher quelque chose et ne l’ont pas trouvé…
Comment avez-vous été accueilli par les habitants ?
Au début la parole ne se livre pas facilement. Pour rentrer dans un appartement, c’est extrêmement difficile, surtout en tant que journaliste. C’était aussi assez délicat de se promener la nuit dans les sous-quartiers, notamment gitan. Quinze fois on m’a pris pour un flic. On m’a questionné et regardé de près, surtout les jeunes, mais finalement ils se sont révélés très accueillants.
Quel est leur regard sur la politique ?
Aujourd’hui il n’y a quasiment plus de militants sur le quartier, et chez l’habitant, j’ai rarement entendu parler de politique. Par contre la religion est une réelle préoccupation. La dépolitisation générale est peut-être liée à la population à 80% marocaine, pas très politique et facilement instrumentalisée par des associations communautaires. Par exemple, Nora, que l’on entend dans le reportage, a commencé à porter le voile pour aller au marché car elle subissait des vexations. Petit à petit elle se fait influencer par les groupes de femmes. C’est le poids social de la religion.
A quoi attribuez-vous ce durcissement de la religion ?
Le premier problème est celui de l’exclusion et du chômage qui sous-tendent les problèmes y compris religieux. La Paillade est desservi par le tramway, compte deux cents associations et tous les services publics, mais ça ne suffit pas. C’est un véritable ghetto avec peu de diversité. Dans la tour d’Assas, tous les habitants viennent de Ouarzazate ou Rachidia. Ensemble, ils se sentent en sécurité et reproduisent les traditions. De nombreux clandestins vivent à six ou sept par appartement, les marchands de sommeil leur louent 500 euros des studios sans chauffage. Pourtant, malgré la misère, les gens gardent leur dignité.
Comment les habitants vivent-ils ce quartier ?
Certains y sont bien, d’autres veulent vraiment partir, mais ne peuvent pas. Une chose m’a choqué : on ne voit les femmes que le matin au marché et à la sortie des écoles, c’est tout. C’est pire qu’au bled. Pour les jeunes, aller en ville est une respiration. S’ils sortent en bandes, c’est principalement parce qu’ils ont peur. Nombre d’entre eux sont en échec scolaire et à 16 ans, ils sont déjà fatalistes. Je ne pensais pas que la situation était aussi grave. »
Recueilli par Hélène Gosselin
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