« On voudrait une colère, mais polie, bien élevée »

A Paris, le 1er décembre. Photo Alain Jocard. AFP

A Paris, le 1er décembre. Photo Alain Jocard. AFP

Pour le philosophe Frédéric Gros, les élites sont sidérées par le caractère hétéroclite et inédit de la mobilisation des gilets jaunes. Selon lui, il faut admettre l’existence d’un certain registre de violence.

Dans son dernier livre, Désobéir (Albin Michel, 2017), il cherchait les raisons de notre passivité face à un monde toujours plus inégalitaire. Aujourd’hui, une partie de la population s’insurge et Frédéric Gros, philosophe et professeur à Sciences-Po, analyse l’expression inédite de la colère des gilets jaunes.

Salariés ou retraités, les gilets jaunes font parfois preuve de violence dans leurs propos ou dans leurs gestes. Comment l’expliquez-vous ?

Déjà, il y a la part de violences émanant d’une minorité de casseurs ou de groupuscules venant pour «en découdre». Elle est incontestable, mais il faut comprendre à quel point, en même temps, elle suscite un effroi émotionnel et un soulagement intellectuel. On demeure en terrain connu. Le vrai problème, c’est qu’elle est minoritaire. Elle est l’écume sombre d’une vague de colère transversale, immense et populaire. On ne cesse d’entendre de la part des «responsables» politiques le même discours : «La colère est légitime, nous l’entendons ; mais rien ne peut justifier la violence.» On voudrait une colère, mais polie, bien élevée, qui remette une liste des doléances, en remerciant bien bas que le monde politique veuille bien prendre le temps de la consulter. On voudrait une colère détachée de son expression. Il faut admettre l’existence d’un certain registre de violences qui ne procède plus d’un choix ni d’un calcul, auquel il est impossible même d’appliquer le critère légitime vs. illégitime parce qu’il est l’expression pure d’une exaspération. Cette révolte-là est celle du «trop, c’est trop», du ras-le-bol. Tout gouvernement a la violence qu’il mérite.

Ce qui semble violent, n’est-ce pas aussi le fait que ce mouvement ne suive pas les formes de contestations habituelles ?

Le caractère hétéroclite, disparate de la mobilisation produit un malaise : il rend impossible la stigmatisation d’un groupe et le confort d’un discours manichéen. Il a produit une sidération de la part des «élites» intellectuelles ou politiques. Non seulement elles n’y comprennent rien mais, surtout, elles se trouvent contestées dans leur capacité de représentation, dans la certitude confortable de leur légitimité. Leur seule porte de sortie, au lieu d’interroger leur responsabilité, consiste pour le moment à diaboliser ce mouvement, à dénoncer son crypto-fascisme. Cela leur permet de prendre la posture de défenseur de la démocratie en péril, de rempart contre la barbarie et de s’héroïser une nouvelle fois.

Cette forme de désobéissance, cette violente remise en cause des corps intermédiaires et de la démocratie représentative constituent-elles un danger ?

Les risques sont grands et ce spontanéisme représente un réel danger social et politique. Mais on ne va quand même pas rendre responsables de la crise de la représentation démocratique les perdants de politiques orientées toutes dans le même sens depuis trente ans. Nous payons la destruction systématique du commun durant ces «Trente Calamiteuses» : violence des plans sociaux, absence d’avenir pour les nouvelles générations, poursuite folle d’une «modernisation» qui s’est traduite par le déclassement des classes moyennes. La seule chose dont on puisse être malheureusement certain, c’est du fait que les victimes des débordements ou des retours de bâton seront les plus fragiles.

Vous avez travaillé sur la notion de sécurité (1), que pensez-vous de la réponse de l’Etat après les manifestations et les dégradations ?

De la part, cette fois, des forces de l’ordre, on entend le même discours : «Cette violence est totalement inédite, on n’avait jamais vu ça, un tel déferlement, une telle brutalité.» Il ne faudrait pas que cette mise en avant de la «nouveauté» ne serve d’écran à une augmentation de la répression.

Dans votre récent livre, Désobéir, vous analysiez les racines de notre «passivité». Que s’est-il passé pour que les gilets jaunes sortent du «confort» du conformisme ?

Notre obéissance politique se nourrit pour l’essentiel de la conviction de l’inutilité d’une révolte : «à quoi bon ?» Et puis vient le moment, imprévisible, incalculable, de la taxe «de trop», de la mesure inacceptable. Ces moments de sursaut sont trop profondément historiques pour pouvoir être prévisibles. Ce sont des moments de renversement des peurs. S’y inventent de nouvelles solidarités, s’y expérimentent des joies politiques dont on avait perdu le goût et la découverte qu’on peut désobéir ensemble. C’est une promesse fragile qui peut se retourner en son contraire. Mais on ne fait pas la leçon à celui qui, avec son corps, avec son temps, avec ses cris, proclame qu’une autre politique est possible.

Sommes-nous dans un grand moment de désobéissance collective ?

Oui, une désobéissance qui a comme repère sûr sa propre exaspération. On a tout fait depuis trente ans pour dépolitiser les masses, pour acheter les corps intermédiaires, pour décourager la réflexion critique, et on s’étonne aujourd’hui d’avoir un mouvement sans direction politique nette et qui refuse tout leadership. Cette désobéissance témoigne profondément de notre époque. Il faut en priorité en interroger les acteurs.

Sonya Faure

(1) Le Principe sécurité, Gallimard, 2012.

Source :  Libération 06/12/2018

Finance Europe : les quatorze banques à surveiller de près

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Pour le vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) Luis de Guindos, une douzaine de banques de la zone euro ne seraient pas suffisamment capables de soutenir une crise d’importance. Elles représentent « une zone de vulnérabilité » et vont faire l’objet d’une surveillance attentive. Il faut y ajouter deux banques britanniques pour obtenir le panorama des établissements européens qui posent problème selon les critères des régulateurs.

S’il y avait une nouvelle crise

Le commentaire de Luis de Guindos fait suite à la publication début novembre par l’Autorité bancaire européenne (EBA) des résultats de ses derniers « stress tests ». Comme n’importe quelle entreprise, les banques en difficulté épongent leurs pertes grâce à leur capital, ce que leur apportent leurs actionnaires.

L’EBA cherche donc à tester si en cas de situation de stress, soit une récession forte accompagnée de turbulences sur les marchés financiers, les banques auraient assez de capital pour faire face.

Or, pour douze établissements de la zone euro, plus deux britanniques, le niveau actuel de leur capital apparaît insuffisant.

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Trois éléments d’inquiétude

Ce résultat est inquiétant à plusieurs titres. Les banques en question sont réparties dans sept pays européens (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Irlande, Italie, Royaume-Uni), multipliant ainsi les points de fragilité.

De plus, selon la dernière liste établie mi-novembre par le Conseil de stabilité financière, en charge de la coordination de la régulation financière au niveau mondial, sur les quatorze établissements, quatre sont considérés comme « systémiques », c’est-à-dire dont les déboires individuels sont susceptibles de provoquer une crise nationale ou mondiale, Ainsi, BNP Paribas, Deutsche Bank, Barclays et Société générale, respectivement, deuxième, quatrième, sixième et septième plus grosses banques européennes ne disposent pas, selon les calculs de l’EBA, d’un niveau de capitalisation suffisant pour leur permettre d’absorber les pertes issues d’une crise sévère tout en conservant la confiance des investisseurs. Dans une telle situation, leur niveau de capital actuel ne garantit pas leur survie.

Enfin, on peut s’interroger sur le niveau de risque tel qu’il a été énoncé par Luis de Guindos. Ce dernier pointe en position délicate des établissements qui, du fait d’une crise, se retrouveraient avec un capital inférieur à 9 % des activités de la banque – pondérées par le niveau de risque de chaque activité –, signe que leur niveau de capital initial, avant la crise, était insuffisant. Mais que signifie « insuffisant » ?

Etats-Unis L’abrogation de la neutralité du Net fait sentir ses premiers effets

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Quelques mois après l’abrogation aux Etats-Unis d’un des principes fondamentaux d’Internet, la neutralité du Net, les internautes américains ont pu en constater les premières conséquences. Selon une étude des universités de Northeastern et du Massachusetts, les opérateurs ont réduit le débit de plusieurs plates-formes. La neutralité du Net obligeait les opérateurs à traiter de la même manière tous les contenus passant dans leurs « tuyaux » et de ne pas en favoriser ou discriminer un, ni demander aux internautes de payer davantage pour avoir un très bon débit.

Après l’abrogation de ce principe, les opérateurs ont donc sanctionné les gros consommateurs de trafic, au premier rang desquels les plates-formes vidéos telles que Youtube, Netflix, Amazon Prime Vidéo ou encore NBC Sports. Ces services n’ont pas été indisponibles pour les internautes, mais ont vu la qualité de la vidéo dégradée par moments.

Google à la manœuvre

Du fait du poids de la vidéo et de leur large audience, ces sites sont en effet très gourmands en bande passante. Netflix et Youtube représentent à eux seuls, plus de la moitié du trafic aux Etats-Unis. Risque donc de s’ouvrir un conflit entre d’une part ces géants du net, de Google (propriétaire de Youtube) à Amazon en passant par Netflix, et d’autre part les fournisseurs d’accès à Internet.

Ces derniers pourraient soit demander à ces plates-formes de payer davantage pour ne pas être discriminées ou alors proposer des abonnements à des prix plus élevés aux internautes pour avoir un accès garanti et de qualité à ces plates-formes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’étude qui révèle que ces plates-formes ont été ralenties a été réalisée grâce à un outil financé par Google, et également par l’Arcep, le gendarme français des télécoms.

Une décision contestée

Par ailleurs, l’abrogation de la neutralité du Net ne passe pas comme une lettre à la poste et de nombreux acteurs essaient de remettre en cause cette décision. Des organisations comme Mozilla, qui est derrière le navigateur Firefox, ou Vimeo ont lancé une procédure pour contester l’abrogation, décidée par la Commission fédérale des communications (FCC), le gendarme américain des télécoms, en décembre 2017.

Quelque 22 Etats américains ont quant à eux saisi la justice pour demander le rétablissement de la neutralité du Net. Parmi eux, la Californie, qui abrite la Silicon Valley et donc la plupart des géants du numérique, est montée d’un cran et a voté une loi rétablissant la neutralité du net. Ce texte, voté en juin par le sénat californien, a été signé par le gouverneur démocrate de l’Etat Jerry Brown le 30 septembre dernier. Le ministère américain de la Justice a immédiatement répliqué en déposant plainte contre la Californie, reprochant à l’Etat de « détourner l’approche de déréglementation du gouvernement fédéral en imposant des réglementations étatiques lourdes sur l’Internet gratuit, ce qui est illégal et anti-consommateur ». Le début d’un combat judiciaire, dont l’issue sera déterminante pour l’évolution du Net.

Source Alternatives Economiques

La livre turque en chute libre

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La dégringolade du cours de la livre turque se poursuit depuis vendredi ; au plus fort de cette chute, un euro valait déjà jusqu’à plus de huit livres. Depuis le début de l’année, la devise turque a déjà perdu 40 pour cent de sa valeur par rapport à l’euro. Une tendance renforcée par les droits de douane et les sanctions instaurées par les Etats-Unis. Quelles seront les conséquences de cette crise pour la Turquie et l’Europe ?

Pour Erdogan, la chute de la livre est le résultat d’un « complot »

Le président turc a déclaré que le pays ripostera en cherchant « de nouveaux marchés et alliés », alors que ses relations avec les Etats-Unis sont en crise.

Source Les Echos 12/08/2018

 

Un risque considérable de contagion

Une crise en Turquie aurait des conséquences désastreuses au-delà des frontières du pays, souligne Financial Times :

«Un effondrement de l’économie turque serait dangereux pour d’autres régions d’Asie et d’Europe. Des régions dans lesquelles les cours des banques créancières de la Turquie ont fortement chuté vendredi. La chute de la livre affecte déjà les devises de plusieurs pays émergents. Les risques géostratégiques de la crise, dont Erdo?an rend responsable les ‘comploteurs occidentaux’, ne sont pas moins négligeables. La Turquie, qui abrite des millions de réfugiés syriens, préserve en effet la stabilité politique de l’Europe.»

Un air de déjà-vu

Cela risque de rappeler de mauvais souvenirs à Erdogan, commente le quotidien suisse Tages-Anzeiger :

«La grande promesse d’Erdogan, c’était que les Turcs connaîtraient la prospérité tant qu’ils seraient assidus et qu’ils le laisseraient gouverner. Une promesse qu’il a longtemps honorée – les salaires n’ont cessé d’augmenter. Mais la spirale est désormais descendante, et l’on commence à songer à 2001. A l’époque, le taux d’inflation avait atteint jusqu’à 70 pour cent. On n’en est pas encore là. Mais si la crise de 2001 avait des causes économiques, elle était surtout liée à l’échec d’un système politique. C’est cet échec qui avait porté Erdogan au pouvoir. C’est pourquoi ce souvenir ne devrait pas lui plaire.»

 

Quand le pouvoir d’achat bride le pouvoir

Cette crise a aussi du bon, estime Frankfurter Allgemeine Zeitung :

«Les dirigeants autocratiques et leurs suppôts ne peuvent occulter durablement les problèmes économiques. … La logique économique rabroue considérablement l’homme fort d’Ankara, qui aime se présenter en sultan. Les discours confus d’Erdogan, qui dépeignent une Turquie en guerre économique, n’ont fait qu’attiser la crise. Et au lieu de changer leurs euros et dollars en livres et de les déposer à la banque, comme le souhaite Erdogan, les Turcs se hâtent de changer leurs devises en dollars ou en euros. Le pouvoir d’achat des gens passe avant le pouvoir des autocrates.»

Retraites: Bruxelles pousse la France à faire des milliards d’euros d’économies

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. AFP Emmanuel Durand

Le siège de la Commission européenne à Bruxelles. AFP Emmanuel Durand

EXCLUSIF La Commission européenne s’appuie sur une étude du think tank libéral Ifrap pour inciter la France à réduire ses dépenses de retraite. Plus de 5 milliards d’euros pourraient être dégagés sur les régimes des fonctionnaires en 2022.

Et si Emmanuel Macron profitait de la grande réforme des retraites à points de 2019 pour revoir à la baisse les dépenses de pension ? C’est en tout cas ce que lui suggère la Commission européenne. La France doit « uniformiser progressivement les règles des différents régimes de retraite pour renforcer l’équité et la soutenabilité de ces régimes », écrit-elle dans une récente « Recommandation » qui doit être validée le 22 juin par les ministres des Finances européens réunis à Luxembourg.

« Si les réformes des retraites déjà adoptées devraient réduire le ratio des dépenses publiques de retraite à long terme, relève-t-elle, un système de retraites plus simple et plus efficient générerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. »

Pour appuyer sa requête, la Commission européenne cite une « étude récente » qui estime qu’un alignement des régimes de retraite des fonctionnaires sur ceux du privé « réduirait de plus de 5 milliards d’euros les dépenses publiques à l’horizon 2022 ». Une mention qui a surpris nombre de spécialistes des retraites à Matignon et Bercy. « J’ai cherché mais je ne vois absolument pas de quelle étude il s’agit, confie un haut fonctionnaire. Il est d’ailleurs étonnant que Bruxelles ne cite pas sa source. » En 2015, les statisticiens du Conseil d’orientation des retraites avaient conclu, eux, que « les règles du privé s’avéreraient plus avantageuses que celles du public pour un peu plus de la moitié des fonctionnaires nés en 1958 et moins avantageuses pour l’autre moitié ».

Laurent Fargues

Source : Challenges 20/06/2018

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