COP 23: à Bonn, l’Afrique met de nouveau le financement climat sur la table

Un homme dans les rues inondées de Regent, près de la capitale de la Sierra Leone, Freetown le 14 août 2017  © STR / SOCIETY 4 CLIMATE CHANGE COMMUNICATION SIERRA LEONE / AFP

Un homme dans les rues inondées de Regent, près de la capitale de la Sierra Leone, Freetown le 14 août 2017 © STR / SOCIETY 4 CLIMATE CHANGE COMMUNICATION SIERRA LEONE / AFP

L’euphorie de Paris, où les pays sont arrivés à un consensus pour lutter contre le changement climatique, s’est un peu émoussée. Deux ans après, à Bonn, les pays africains plaideront de nouveau pour que les nations riches tiennent leurs promesses de les aider à s’adapter au réchauffement. Un soutien qui doit devenir une réalité avant même l’entrée en vigueur de l’accord climat de Paris en 2020.

Pour les pays africains, l’un des principaux défis de la COP 23 (Conférence des Nations unies sur le changement climatique), qui a démarré le 6 novembre 2017 à Bonn (Allemagne) sous la présidence des îles Fidji, sera notamment de «clarifier» la question du financement de l’atténuation (réduction des émissions) et de l’adaptation au changement climatique.

Partout sur la planète, les catastrophes naturelles se multiplient, rappelle Aissatou Diouf de l’ONG sénégalaise Enda Energie, l’une des structures coordinatrices du Réseau Climat & Développement (RC&D). «L’Afrique de l’Est et l’Afrique australe font face à de longs cycles de sécheresse (…), des pluies inattendues ont causé des inondations mortelles et des glissements de terrain en Sierra Leone et en République démocratique du Congo (RDC).»

Dans tous les pays, poursuit la militante, les conséquences de ces catastrophes aggravent les inégalites sociales. «Avec l’accord de Paris, les gouvernements ont promis de combattre le changement climatique. Maintenant, il est temps de donner corps à cette promesse». Et Bonn pourrait être une étape décisive dans la bonne direction si les principales attentes des pays africains trouvaient satisfaction.

«Les gouvernements africains peuvent et s’engagent dans des stratégies d’atténuation et d’adaptation, et nous, la société civile, les obligerons à rendre des comptes quant à leur application, précise Aissatou Diouf. Cependant, pour mener à bien tous ces programmes, nous avons besoin que les pays riches tiennent leurs promesses. L’engagement de réunir 100 milliards de dollars par an pour financer l’adaptation et l’atténuation doit être concrétisé.»

Penser au pré-2020
Des revendications qui sont aussi celles du monde en développement. «Nous avons besoin que la COP 23 soit celle du financement et du soutien. Les PMA (Pays les moins avancés) appellent les pays développés à accélérer la mise en œuvre de leurs obligations en matière de financement climatique et à combler le fossé financier toujours croissant avant qu’il ne devienne trop important», plaide la présidence du groupe des PMA (qui regroupe 47 pays dont la majorité sont africains) assurée par l’Ethiopien Gebru Jember Endalew.

«Les besoins financiers ne sont pas en adéquation avec les moyens mis a disposition pour l’instant (…)», note son prédécesseur et actuel négociateur de la RDC, Tosi Mpanu-Mpanu. «Il commence bien évidemment à y avoir des solutions grâce aux différents fonds climatiques existant et dont les pays en developpement ne maîtrisent d’ailleurs pas toujours les mécanismes.» Mais les Etats africains financent la plupart de leurs besoins climatiques, notamment après des catastrophes climatiques.

«Pour nous, cette COP, contrairement à ce que certains en disent, est une COP à enjeux». A Bonn, «on pourrait prendre une décision qui est double pour l’Afrique. Elle porte à la fois sur le financement et l’adaptation. Aujourd’hui, le fond dédié au financement de l’adaptation dépend du protocole de Kyoto. Nous voudrions que la Conférence des parties puisse adopter le principe selon lequel le fonds d’adaptation puisse servir l’accord de Paris qui est aujourd’hui la référence.» 

En outre, «l’accord de Paris va définir la gouvernance climatique à partir de 2020 mais il y a le pré-2020. Et dans le pré-2020, il faut réfléchir à la façon de relever le niveau d’ambition, ajoute Tosi Mpanu-Mpanu. Dans cette optique, les pays africains «attendent de la clarté sur la façon dont nous atteindrons les 100 milliards de dollars par à partir de 2020. Certains pays (riches), en utilisant une comptabilité peu créative (…), estiment que 64 milliards de dollars ont déjà été mobilisés sur la période 2015-2016 pour le financement climatique. C’est un calcul que nous ne comprenons pas (…). Nous demandons donc plus de transparence et de convergence.»

«Les pays doivent avoir l’assurance que le financement international prendra le relais»
La question du financement est cruciale dans la lutte engagée par les pays africains contre le changement climatique. «Dans les contributions déterminées au niveau national (CND), beaucoup de pays Africains ont conditionné une partie de leurs actions, explique Tosi Mpanu-Mpanu. A l’instar de mon pays, la RDC». L’état congolais «prévoit de réduire ses émissions de 17% entre 2020 et 2030», à condition que «21 milliards de dollars lui soient mis à disposition (9 milliards pour l’adaptation et 12 milliards pour l’atténuation).

De même, «nous avons besoin d’un soutien financier, technologique et de renforcement des capacités dans la planification, l’élaboration et la mise en oeuvre de nos plans nationaux d’adaptation (PNA)». Pour beaucoup de pays africains, ces plans sont envisagés comme le volet adaptation de leurs contributions nationales. Le fonds vert, dont Tosi Mpanu-Mpanu est l’un des administrateurs, a décidé «de mettre à disposition 3 millions de dollars par pays pour faire leurs plans. Pour certains pays, ce sera suffisant, pour d’autres non.» Alors même qu’une épée de Damoclès plane sur les ressources du fond.

«Les pays ont pris des engagements à hauteur de 10,2 milliards de dollars en ce qui concerne le fonds vert», affirme Tosi Mpanu-Mpanu. Les États-Unis, à eux seuls, avaient promis se contribuer à hauteur de 3 milliards. Et l’administration Obama a déjà versé un milliard. Aujourd’hui, après l’annonce du président Donald Trump qui souhaite que son pays quitte l’accord de Paris, le reliquat de deux milliards ne devrait pas arriver de si tôt.

«Le manque de certitude a propos de ce financement peut miner la dynamique, le cercle vertueux auquel les pays en développement veulent se joindre. Il faut donc qu’on ait un signal fort que d’autres pays vont prendre le relais. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui». «Il n’y a pas péril dans la demeure (plus d’une cinquantaine de projets ont été approuvés pour une valeur de 2,5 milliards de dollars)», assure Tosi Mpanu-Mpanu. Cependant, ajoute-t-il, la question du refinancement du fonds vert pourrait poser problème. .

A Bonn, résume Tosi Mpanu-Mpanu, il faudra «continuer à encourager les pays, à leur montrer qu’ils peuvent continuer à faire des efforts avec leurs petits deniers tout en sachant que le financement international prendra le relais. Les Etats africains doivent avoir l’assurance que l’argent sera disponible.»

  Falila Gbadamassi

Source Géopolis 06/11/2017

Voir aussi: Actualité internationale, rubrique Ecologie, COP21. Réaction d’Attac France à l’Accord de Paris, rubrique Politique, Politique internationaleSociété civile, rubrique Afrique, rubrique Société, Citoyenneté,

Frédéric Worms : « La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Frédéric Worms : « L’esprit a besoin de confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre »

Invité des Chapiteaux du livre de Béziers, le philosophe Frédéric Worms donne ce soir au Théâtre sortieOuest, une conférence sur le thème « Les maladies chroniques de la démocratie ».

Frédéric Worms est philosophe, professeur de philosophie contemporaine, membre du Comité consultatif national d’éthique et depuis septembre 2015, directeur-adjoint de l’École normale supérieure. Frédéric Worms s’intéresse à l’histoire de la philosophie. Il est considéré comme un spécialiste de l’œuvre de Bergson.

Dans votre dernier ouvrage*, vous vous portez au chevet de la démocratie en crise pour poser un diagnostic. Pourquoi avoir user des termes de maladie chronique à propos de la démocratie ?
Pour deux raisons : la thèse de maladie chronique permet de la distinguer de la maladie aiguë. Elle soutient  que les problèmes de la démocratie sont structurels à la démocratie elle-même. La crise correspond à une inflation de problèmes structurels qui  doivent être contenus. Il nous incombe de les conjurer, de les affronter pour qu’ils ne débordent pas du cadre. Par ailleurs, l’usage du mot maladie, implique que la démocratie peut être plus ou moins en bonne santé et qu’elle fait partie de la vie.

Votre approche s’applique-t-elle  à la crise de manière globale ?  Relève-t-on par exemple, les mêmes symptômes de Rangoun à Damas ou de la Floride à la Meuse ?
Non, on distingue des seuils. Aucun pays n’est une démocratie parfaite. La France remplit un certain nombre de critères qui restent inexistants dans d’autres pays.

Vous soulignez l’état d’une partie grandissante de l’opinion qui pense que la démocratie est terminée, pour avoir gagné un statut incontournable ou parce qu’elle est perdue. Ce qui dans les deux cas revient à éluder les questions…
Exactement, ce sont deux erreurs qui se nourrissent l’une l’autre, la démocratie ce n’est justement pas tout ou rien. Ce raisonnement peut conduire à faire la guerre au nom de la démocratie. Je me prononce plutôt en faveur des tribunaux internationaux,  que pour les interventions militaires. Parce que la guerre contribue à renverser tous les principes moraux et politiques de la démocratie. Aucune démocratie n’est complète, elle doit toujours être pensée, programmée. La démocratie fait émerger des problèmes à résoudre, elle n’a pas vocation à les faire disparaître.

Votre démarche ne se limite pas au mode de gouvernance cependant, peut-on considérer que le régime politique français est tempéré d’une part de monarchie voire d’aristocratie  ?
Je ne le pense pas. Ceux qui évoquent une monarchie constitutionnelle, liée au présidentialisme font planer l’idée que nous ne serions plus dans une République, hors, c’est faux ! Cette posture présente le risque de leurrer les citoyens. C’est une forme rhétorique permettant d’exporter les principes pour finalement abandonner la défense de ces principes. Cela n’empêche pas pour autant de critiquer la 5e République mais il faut formuler des critiques avec des exigences précises. Le  système français n’est pas parfait mais il permet de peser sur le gouvernement.

Dans votre interprétation de la crise, vous soulevez la convergence de trois dangers que sont le soupçon, le racisme et l’ultralibéralisme. En quoi le cynisme contemporain repose-t il sur un déni de démocratie ?
L’esprit a besoin d’une confiance pour pénétrer la démocratie et la faire vivre. Lorsqu’on vous dit : on vous ment  ou tous pourris, on sape cette confiance.  Si certains médecins acceptent les cadeaux des laboratoires, cela ne signifie pas  que tous les médecins sont corrompus. On a le droit de critiquer mais on ne doit pas saper la démocratie au nom de la démocratie. Tout citoyen se conforme à des principes, le peuple n’a pas tous les droits. La démocratie appelle aussi à une auto-limitation.

Le racisme vous apparaît comme une maladie de la représentation de soi-même ?
Le racisme, c’est l’illusion de penser qu’il y a eux et nous. Le racisme, c’est une idée de l’autre mais aussi de soi-même qui sous-tend que nous n’avons pas de problème. C’est un piège. Un peuple fort et démocratique assume cette discussion. Il se reconnaît par ses institutions et reconnaît les différences.

Bergson définit les principes moraux comme une nécessité pour la société de régler la liberté humaine. N’est-ce pas tout le contraire que prône aujourd’hui l’Occident ultra libéral sous couvert d’assurer notre sécurité  ?
Même les libertés peuvent devenir des idéologies si on ne voit pas qu’il faut les construire à travers les institutions. L’erreur du libéralisme est d’avoir opposé la liberté à la loi. La liberté c’est bien, mais il faut apprendre que l’on a besoin des autres. Pour les bébés ou les vieillards, c’est une évidence. Les catastrophes qui sont terribles nous le rappellent parfois.

Face à la convergence des dangers, vous prônez la résistance, sous quelle forme de lutte ?
Dans un pays comme la France, des luttes peuvent s’organiser dans le cadre des institutions, de l’université, de la presse …  Nous vivons dans une démocratie mûre, épanouie et solide qui dispose de cadre pour sa propre critique. Nous avons les moyens de lutter sans se cacher, sans avoir peur.

Pour reprendre la question d’Adorno : peut-on mener une vie bonne dans une société mauvaise ?
C’est la vraie question philosophique. J’espère que oui. Cette vie bonne peut être heureuse, mais il faut être critique. Les gens qui critiquent la démocratie sont des gens heureux. Et ce sont souvent  ceux qui sont heureux qui font progresser les choses.

Ce travail intérieur aux relations humaines vous situe dans un esprit rousseauiste, comme votre présence au sein du Comité national d’éthique. Quels sont les dossiers importants qui arrivent sur la table ?
Le dossier de la PMA, et ceux liés aux nouveaux progrès scientifiques dans le domaine  de la biomédecine, du génome, ou encore de l’intelligence artificielle, de la nouvelle médecine connectée. Dans dix ans la médecine sera transformée. Nous serons soignés à distance avec nos téléphones. Comment cela restera-t-il éthique  ? Comment cela restera-t-il  un soin  ? Comment avoir le sentiment d’être soigné par quelqu’un  dans ce cadre ? Que fera-t-on des données médicales fournies ?  Tout cela pose des problèmes relatifs à la démocratie…

« La convergence n’est pas à inventer puisqu’elle nous fait déjà vivre et avancer », votre conclusion porte à l’espérance. Est-ce un appel à l’introspection  ?
C’est un appel à l’endurance lucide, regarder ce qui nous fait vivre, nous permet de comprendre…

Réalisé par Jean-Marie Dinh

*Les maladies chroniques de la Démocratie, éditions Desclée de Brouwer, 18,90 euros.

Source La Marseillaise.23/09/2017

Voir aussi : Rubrique RencontreJean- Claude Milner, rubrique Philosophie, rubrique Livre, Essais,

 

 

 

Le chômage tue plus que les accidents de la route en France

Une étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) estime qu’entre 10000 et 14000 décès par an sont imputables au chômage. Un chiffre alarmant, véritable enjeu de santé publique, qu’il convient d’analyser.

« C’est un problème de santé publique » déclarait en Mai 2016, Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm, dans le journal Libération. Une cause de mortalité majeure dont le chiffre nous fait osciller entre la nausée et le vertige : 10000 à 14000 décès par an. À titre de comparaison, les accidents de la route emportent 3500 personnes chaque année. On aurait presque tendance à l’oublier, tant elle est analysée et commentée, mais derrière la courbe du chômage se cache une réalité, celle de millions de personnes en détresse.

Des maladies cardiovasculaires.

Les raisons de ce taux de mortalité élevé sont multifactorielles et concernent autant la santé mentale que la santé physique. En effet, le rapport souligne que le non-emploi accentue certaines habitudes de vie et de consommation : depuis le tabagisme à l’alcool, une mauvaise alimentation (par manque de moyens), la sédentarité, le tout accroissant le risque de contraction de maladies cardiovasculaires. Les chercheurs ont également constaté un risque important de rechute de cancer en situation de chômage et invitent les médecins généralistes à considérer les patients en situation de non-emploi comme une population à risque. « Pour les personnes en situation de chômage, le risque d’accident vasculaire cérébral et d’infarctus est augmenté de 80% au regard des actifs, pour les hommes comme pour les femmes » déclare les chercheurs d’une étude du CESE (Conseil économique social et environnementale).

Le suicide et le chômage, un rapport de cause à effet méconnu

Longtemps perçu, sous le prisme du romantisme, comme l’acte individuel par excellence, le suicide entre dans le champ du fait social à la suite de l’étude sociologique d’Emile Durkheim, en 1897. Au terme de ses recherches, Durkheim constate en effet que : « Le taux de suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie l’individu ».

Un siècle plus tard, la crise économique de 2008 entraîne un grand nombre de licenciements, dans un même temps, on constate également une augmentation du taux de suicide. Une autre étude de l’Inserm est, à ce propos, très parlante et permet de se faire une idée précise de cette triste corrélation. Dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire du 6 janvier 2015, les chercheurs en arrivent à cette conclusion : quand le taux de chômage grimpe de 10 %, celui du suicide, lui, augmente de 1,5 %. L’Inserm estime donc que la hausse du chômage, relative à la crise qui a frappé la France de 2008 à 2010, a entraîné au moins 500 suicides. L’institut de recherche explique que : « Par ailleurs, le contexte plus global de crise économique, caractérisé entre autre par une morosité et des perspectives à la baisse sur le marché du travail peut aussi être à l’origine de craintes de pertes d’emploi et donc de crises psychiques à l’origine de suicides ».

La stigmatisation, au cœur de ce fléau

C’est un leitmotiv aussi récurrent que délétère, « le chômeur serait un assisté qui profite de la providence de la France », cet État candidement magnanime. Résultat de cette désinformation politique, le chômeur est montré du doigt, considéré comme seul responsable de sa situation en dépit d’un chômage avant tout structurel. Pour Gilles de Labarre, président de Solidarités nouvelles, cette stigmatisation des chômeurs est « une double peine » infligée à ces personnes souffrant déjà d’une situation économique difficile, mais qui, non content de devoir compter leurs sous au centime près, se voient juger sans concessions sur la place publique.

Ginette Herman, psychologue spécialisée dans la psychologie sociale, analyse dans son ouvrage Travail, chômage et stigmatisation, les conséquences de ce procès d’intention. Elle y affirme que le non-emploi entraîne de l’anxiété, une baisse de l’estime de soi et de la satisfaction. Elle met également en lien ces troubles psychiques avec le regard d’autrui. La psychologue belge estime ainsi que la stigmatisation du groupe sur l’individu se répercute sur l’image que l’individu se constitue de lui-même, faisant naître alors un sentiment d’auto-stigmatisation. De plus, l’accès à un travail confère un certain statut social à l’individu. Un statut donc est privé le demandeur d’emploi.

Un effet pervers

On reproche régulièrement aux personnes sans emploi de ne pas faire les efforts nécessaires pour améliorer leurs situations, mais le problème réside justement dans cette situation de non-emploi. Avec tous les troubles psychologiques qu’elle entraîne, la situation de non-emploi prolongée diminue les possibilités pour l’individu de retrouver un travail. En effet, différentes études soulignent que le chômage, en longue durée, ébranle la motivation et l’envie d’entreprendre. Le chercheur d’emploi rencontrera de plus en plus des difficultés à adopter l’attitude adéquate face à un employeur. En résumé, plus une personne est au chômage, plus elle souffre psychologiquement (consciemment ou non) et plus cette souffrance psychologique est vive, plus les chances de retrouver un emploi s’amoindrissent. Pour certains d’entre eux, au bout de ce labyrinthe sans issue, il y a le suicide.

A la lumière de ces éléments, il sera important de suivre avec attention la future réforme du chômage prévu par le gouvernement pour le mois de septembre. Le chômage n’est pas qu’un sujet de plus visant à alimenter les débats de coin de table, il est un fait de société causant souffrance, divorces, destruction familiale, précarité et parfois la mort. Espérons que cette réalité, aussi sordide soit-elle, vienne influencer les technocrates du gouvernement lorsque l’heure viendra pour eux d’apposer leurs seings au bas d’une loi qui déterminera le sors de six millions de personnes car nous pouvons l’affirmer sans trembler des jambes : là où il passe, le chômage tue.

T.B.

Source Mr Mondialisation 07/09/2017

Jean- Claude Milner « La démocratie est jugée parfaite du coup on n’y réfléchit pas »

Jean-Claude Milner. "

Jean-Claude Milner. « 

A propos de son dernier livre et de la leçon inaugurale donnée à Montpellier dans le cadre des Rencontres Pétrarque, le philosophe et linguiste Jean-Claude Milner évoque la notion de révolution et son évolution.

L’invitation à la relecture que vous faites de la Révolution française, et à travers elle les autres, s’inscrit dans un présent politique atone. Vous dites vous même n’avoir pas songé un instant à la Révolution, devant votre écran le 11 septembre 2001…

A l’échelle internationale, je ne crois pas qu’on puisse parler d’atonie. La question des formes politiques est posée presque partout. La grande exception, ce sont les pays où la question est supposée résolue. Je pense au lac Atlantique Nord et à l’Europe occidentale. La démocratie élective y est jugée parfaite et même naturelle. Mais du coup on n’y réfléchit pas. Précisément parce qu’elle fait des droits naturels une solution, la Révolution française
doit commencer par les poser en problème. Elle contribue du même coup à revivifier la politique.

Pourquoi la Révolution française a-t-elle été considérée comme la mère des révolutions ?

On peut considérer que la monarchie française avait construit l’une des plus grandes puissances du monde, sinon la plus grande. En tant que forme politique, elle passait pour la plus solidement établie. Que ce soit justement là que la révolution se soit produite, et notamment l’abolition de la monarchie, ce fut la preuve que la révolution était possible au centre même du pouvoir et non pas aux marges, comme dans le cas des Etats-Unis ou, au XXe siècle, de la Russie et de la Chine.

En quoi les droits de l’homme et du citoyen qui fondent la singularité de la Révolution française sont-ils novateurs ?

Je me concentrerai sur un point. L’idée que les hommes naissent libres va contre l’un des dogmes majeurs du christianisme : les hommes naissent esclaves du péché. Rompre principiellement avec le christianisme, c’est aller plus loin encore que n’avait fait Luther, rompant avec le catholicisme. Tout le tissu de la réalité sociale se révèle, en un instant, contraire au droit. Mais aujourd’hui, la rupture n’est pas moindre.

Croyez-vous que de nos jours, on admette vraiment la liberté innée de chacun ?

Je pourrais commenter de la même manière les propositions « les hommes demeurent libres », « les hommes naissent égaux en droits » etc. Quant aux droits du citoyen, ils peuvent se ramener à un pouvoir : est citoyen celui qui a le droit d’opposer les droits de l’homme à toute décision d’un pouvoir légitime. Que les droits de l’homme existent, c’est une nouveauté, mais qu’ils soient reconnus comme opposables, c’en est une autre, non moins importante.

La violence qui succède à 1787 en Amérique, n’est pas de même portée, ni de même nature, expliquez-vous, que celle engendrée par la Révolution de 1789. Qu’est-il important de distinguer ici ?

Les événements succédant à 1787, n’ont de sens que par le siècle qui a suivi et qui a vu l’extension desdits États à un sous-continent. Cette histoire est faite de guerres et de massacres. Elle est surtout faite de conquêtes. L’histoire de la Révolution française est plus courte ; certains l’arrêtent en 1815, d’autres en 1799. Les violences dites révolutionnaires ne naissent pas de la conquête et de l’expansion ; au contraire, elles naissent de la défense du territoire. Qui plus est, elles ne relèvent pas de l’action militaire, mais de l’action politique.

La Grande Terreur, en particulier, dépend de la conviction que l’ennemi principal est intérieur à la politique révolutionnaire elle-même.

Concernant les systèmes politiques vous remontez aux théories de Polybe. Quel regard porterait ce penseur grec sur l’avènement du président Macron, auto-proclamé « antisystème » ?

Je pense qu’il relirait l’une de ses sources, l’historien Thucydide, et méditerait sur l’analyse que ce dernier fait du système de Périclès. Athènes était une démocratie, où le pouvoir, par rotation annuelle et tirage au sort, revenait à chaque citoyen ; une magistrature faisait exception : on pouvait être stratège sur la longue durée. Cela permit à Périclès d’établir son régime : une démocratie tempérée par la supériorité intellectuelle, morale, etc. , d’un seul. Polybe ajouterait que la Constitution de 1958 instaure un régime mixte ; elle contient, comme celle des États-Unis, un élément monarchique, tempéré par l’élection et la limitation chronologique du mandat présidentiel. Elle contient aussi un élément aristocratique : le gouvernement-des-meilleurs.

Or, qui sont ces meilleurs ? Longtemps, on les a trouvés chez les notables locaux et dans la haute fonction publique. Apparemment, Macron les cherche ailleurs, dans ce qu’il appelle la société civile. Mais on perçoit un déplacement : il n’y a plus de critère objectif du
meilleur, mais plutôt un critère circonstanciel : est meilleur celui ou celle que le Président définit comme tel, dans une circonstance donnée.

A Montpellier, lors de votre Leçon inaugurale des Rencontres Pétrarque, vous
compariez l’émergence de la société civile au Tiers-Etats, comment les tenants de ce vaste ensemble peuvent-ils construire leur légitimité, et être associés à la gouvernance ?

La grande découverte que fit la Révolution française, c’est que le Tiers-État n’existait pas. C’était une construction imaginaire. Elle avait joué un rôle essentiel pour accéder à la gouvernance, mais dès que le but fut atteint, les divisions réelles se firent jour. Après tout
l’opposition entre Montagnards et Girondins est interne au Tiers-État.

De même, la société civile est une entité imaginaire. Dès que la question de la gouvernance sera posée, des groupes et des individus apparaîtront. Cela commence.

Vous avez aussi évoqué cette possibilité (apanage du XXIe siècle) de parler de révolution sans contrôle. La révolution numérique, ou la révolution macroniste, telles qu’on les qualifie aujourd’hui, vous paraissent-elles ouvrir des perspectives émancipatrices révolutionnaires ?

L’émancipation résulte de décisions. La révolution numérique modifie les conditions matérielles de la décision, mais elle ne détermine pas la décision. La révolution macroniste, selon moi, repose sur la fluidification des rapports sociaux. Selon le macronisme, cette fluidification constitue par elle-même une émancipation ; je ne le crois pas. Condition nécessaire peut-être, mais sûrement pas suffisante.

Réalisé par Jean-Marie Dinh

«Relire la Révolution ». Éditions Verdier 16 euros

Source : La Marseillaise 29/07/2017

 

Voir aussi : Rubrique livre, Essai, rubrique Histoire, rubrique Philosophie, Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique, Société civile, Politique économique, rubrique Rencontre Jean-Claude Milner. Les institutions est centrale dans la République, Michela Marzano, Daniel Bensaïd, Bernard Noël, Patrick Boucheron,

« Macron et le ventre des femmes africaines, une idéologie misogyne et paternaliste »

fv_livre1-551365Désigner la fécondité des femmes africaines comme une entrave au développement du continent, c’est leur faire porter la responsabilité de la misère et du sous-développement, pour absoudre l’Occident, estime la politologue Françoise Vergès*. 

Lorsqu’Emmanuel Macron désigne la fécondité des femmes africaines comme une entrave au développement du continent, dans quelle tradition idéologique s’inscrit-il ? 

Disons déjà que les États ont toujours voulu contrôler la fécondité des femmes. Mais la déclaration selon laquelle le développement du continent africain serait freiné parce que les femmes africaines feraient trop d’enfants est directement liée à l’idéologie occidentale d’après-guerre qui attribue aux femmes du Tiers monde la responsabilité de la misère et du sous-développement, ce qui évidemment absout l’Occident. Traite et colonialisme – travail forcé, déplacement de populations, guerres, massacres – n’auraient donc eu aucune conséquence.

Dès les années 1950, cette idéologie, dans laquelle les États Unis jouent un grand rôle, va devenir vérité et autoriser de vastes campagnes antinatalistes (stérilisation forcée, contraception sans consentement) visant minorités, peuples autochtones, peuples sous domination. Notons que des États du Tiers monde vont adopter cette idéologie. Parmi les arguments de cette idéologie, il y a aussi la menace que ferait peser cette fécondité sur la sécurité – les enfants devenus adultes seraient tentés par la migration vers les pays riches ou par la révolution. Dans les congrès sur la population mondiale, des hommes, religieux, hommes d’Etat, experts en tous genres, dissertent sur le ventre des femmes, elles-mêmes étant en général absentes des débats.

C’est une idéologie misogyne – les femmes seraient irresponsables – et paternaliste – les femmes seraient des victimes – à laquelle se mêle une idée de la supériorité de l’Occident (les femmes en Europe qui ont eu à une époque pas si lointaine beaucoup d’enfants n’auraient elles jamais entravé le développement).

Si l’Afrique connaît un taux de croissance démographique important, il faut savoir que le continent a longtemps été sous-peuplé, et que ce continent comparé à certains pays (Inde, Chine) a eu un taux de croissance démographique très bas. Il faut, aussi, reconnaitre que le taux de fécondité n’est pas le même d’un pays à l’autre, qu’il est assez faible dans certains pays, l’Afrique n’est pas « un pays ». Enfin, les femmes africaines, dès qu’elles ont le choix,  font moins d’enfants. 43% des naissances ne sont pas désirées, l’accès à la contraception étant difficile.

Quelles authentiques entraves ce discours sur la fécondité des femmes africaines passe-t-il sous silence ? 

L’Afrique a été pillée, elle continue à être pillée avec la complicité de gouvernements africains, on le sait. Elle n’est pas à l’abri du capitalisme mondial qui repose sur l’économie d’extraction et le productivisme. Cela fait longtemps que des Africaines et Africains ont fait la critique de l’idéologie du développement à l’occidentale, que de jeunes intellectuels, artistes, économistes, philosophes, sociologues, partant de l’analyse des contradictions locales, régionales et transnationales, font des propositions. Cela fait longtemps que tout une jeunesse ne se tourne plus vers l’Occident.

Il y a de formidables énergies sur le continent, des groupes, des associations, des entrepreneurs qui cherchent des voies de développement à partir des ressources et des savoirs du continent, dans le respect de l’environnement et de la dignité de chaque personne, loin des idéologies occidentales de développement basées sur le PIB.

L’Europe veut continuer à croire qu’elle est indispensable, mais elle est de plus en plus seule à le croire.

En soi, la croissance démographique freine-t-elle mécaniquement la possibilité d’un développement durable, respectueux des êtres humains et de l’environnement ? 

Les femmes, il faut le dire et le répéter, font moins d’enfants dès qu’elles en ont le choix. C’est d’abord à elles qu’il faut penser, aucune femme n’a envie d’avoir des grossesses successives qui l’épuisent et n’assurent pas aux enfants qu’elles ont de vivre pleinement.

Quel mépris de parler des femmes de cette manière ! Le respect des êtres humains et de l’environnement n’est pas d’abord menacé par le nombre d’enfants mais par un système économique et politique qui ne cherche pas à améliorer la vie de chaque être humain mais à continuer à distinguer entre des vies qui comptent et des vies qui ne comptent pas. Quand les vies qui ne comptent pas sont si nombreuses, c’est là qu’est le danger.

Il y a péril en la demeure mais les dirigeants continuent à pérorer sur de vieilles idées, à rivaliser entre eux en adoptant des postures plus insignifiantes les unes que les autres. Que des dirigeants multiplient les obstacles au contrôle des femmes sur leur fertilité, qu’ils les encouragent à faire des enfants mais sans offrir services de santé et d’éducation, ou qu’ils les accusent de favoriser la misère, dans tous les cas, ils instrumentalisent le ventre des femmes.

Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, Françoise Vergès, Albin Michel, 2017.

Entretien réalisé par Rosa Moussaoui
Source :  l’Humanité . le 17 juillet 2017
Voir aussi : Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Afrique,  rubrique Société, Droit des femmes, rubrique Livre Chamoiseau : Cette idée de « race supérieure »,