Google Facebook. Censure et chaussettes roses

cavalier

L’un, Google, prétend « organiser l’information du monde et la rendre universellement accessible et utile ». L’autre, Facebook, veut « rapprocher le monde » en connectant les gens. Chaque jour, plus d’un milliard de personnes utilisent ces services comme s’ils échappaient aux pesanteurs politiques avec autant d’agilité que leurs maisons mères esquivent leurs obligations fiscales. Générés par de froids algorithmes, les résultats d’une requête ou la sélection du fil d’actualité nous paraissent aller de soi : déformés par la publicité, certes, mais imperméables à l’idéologie. On n’accuserait pas un tuyau de gauchisme ou d’atlantisme. On devrait.

Le 18 novembre dernier, lors d’un forum international sur la sécurité, M. Eric Schmidt, alors président exécutif d’Alphabet, la société qui contrôle Google, répond à un utilisateur allemand indigné de recevoir sur son smartphone trop d’alertes Google en provenance de l’agence publique russe Sputnik : « Nous travaillons sur la détection et le déréférencement de ce genre de sites, je pense à RT et à Sputnik. Nous sommes bien conscients de ce qu’ils font — on en a beaucoup parlé — et nous essayons d’élaborer un système pour empêcher cela . » Avec sa cravate fuchsia et ses chaussettes assorties, M. Schmidt vient tranquillement d’annoncer que le moteur de recherche le plus utilisé dans le monde truquerait désormais ses résultats au détriment de certains médias suspects de véhiculer des fake news fausses nouvelles »). Pas n’importe lesquels : les seuls ouvertement visés figurent dans le collimateur du ministère de la défense américain, dont M. Schmidt est par ailleurs conseiller. Sous pression depuis l’élection présidentielle de 2016, Facebook et Twitter pourchassent les publicités achetées par des comptes associés au Kremlin, tandis que Google s’emploie à renvoyer dans les profondeurs du classement les résultats trop proches des vues de Moscou.

Mais comment séparer automatiquement le bon grain de l’ivraie ? « Dans un communiqué publié le 25 avril, M. Ben Gomes, vice-président de l’ingénierie de Google, a déclaré que la nouvelle version du moteur de recherche rétrograderait les sites “offensants”, et ferait remonter plus de “contenus faisant autorité” », écrivent Andre Damon et David North, du World Socialist Web Site (wsws.org, 2 août 2017). Aidé d’une société d’analyse de référencement, ce site trotskiste a mesuré les effets du nouvel algorithme qui, par défaut, présuppose les médias dominants fiables et la presse alternative louche. « On observe une perte importante de lectorat des sites socialistes, antiguerre et progressistes au cours des trois derniers mois, avec une diminution cumulée de 45 % du trafic en provenance de Google. » Entre mai et juillet 2017, les visites de wsws.org issues de Google ont chuté de 67 %, celles du réseau Alternet.org de 63 %. La plate-forme audiovisuelle Democracynow.org enregistre un plongeon de 36 % ; Counterpunch.org, de 21 % ; et Theintercept.com, de 19 %. « Dans la bataille contre les “fake news”, alerte l’association américaine Fairness and Accuracy in Reporting (FAIR) (1), une grande partie des reportages les plus indépendants et les plus précis sont en train de disparaître des résultats des recherches effectuées dans Google . » Tuer le pluralisme au nom de l’information ?

Pierre Rimbert

(1) Robin Andersen, « Backlash against Russian “fake news” is shutting down debate for real », Fair.org, 29 novembre 2017, dont le présent article reprend plusieurs éléments.

Source : Le Monde Diplomatique Janvier 2018

 

Voir aussi : Rubrique Médias, rubrique International, rubrique Politique,

Neutralité du net : après l’abrogation, quels recours restent possibles ?

Bernie Sanders

Bernie Sanders

Les règles encadrant la neutralité du net ont été abrogées aux États-Unis, à la suite d’un vote du régulateur des télécoms. Cependant, si ce vote est une très mauvaise nouvelle pour les partisans de ce principe, tout n’est pas (encore) perdu.

C’est une nouvelle ère qui s’ouvre désormais aux États-Unis, maintenant que la fin de la neutralité du net a été votée par la Commission fédérale des communications. Mais cette période pourrait en définitive ne pas durer très longtemps. En effet, si le projet de réforme anti-neutralité du net du régulateur des télécoms américain est passé jeudi 14 décembre, des recours existent.

C’est ce qu’a rappelé sur Twitter Bernie Sanders, sénateur des États-Unis pour le Vermont et candidat malheureux lors de la campagne présidentielle américaine de 2016. Très remonté contre la politique de Donald Trump et le vote de la FCC, le parlementaire américain a appelé les défenseurs de la neutralité du net à riposter, en dénonçant « une attaque flagrante contre notre démocratie ».

« La fin de la protection de la neutralité du Net signifie qu’Internet sera à vendre au plus offrant. Lorsque nos institutions démocratiques sont déjà en péril, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher cette décision de prendre effet », a complété l’élu. Mais surtout, l’intéressé a évoqué deux plans de bataille, l’un destiné à être appliqué au niveau du Congrès, l’autre devant les tribunaux.

Au Congrès

La première tactique consiste à mobiliser la Congressional Review Act, ou loi de révision du Congrès. Au Sénat comme à la Chambre des représentants, les élus ont la possibilité de proposer une « résolution conjointe de désapprobation », explique Libération, au lieu de passer par une proposition de loi classique, afin de renverser une mesure critique, ici le vote de la FCC.

Pour exploiter cette disposition, les parlementaires ont une fenêtre d’action de 60 jours. Le sénateur démocrate Edward J. Markey a annoncé le jour même du vote, avec le soutien de 15 collègues, la mise en route de la résolution. « Le Congrès peut corriger la décision mal avisée et partisane de la FCC et laisser Internet entre les mains des gens, pas des grandes sociétés », a-t-il dit. Depuis, ils sont 26 à soutenir sa démarche.

Pour qu’une loi de révision du Congrès passe, il faut la faire voter. Or, il y a un souci : l’équilibre des forces politiques est en défaveur des démocrates. Toutefois, les Républicains, qui sont plutôt contre la neutralité du net, n’ont qu’une voix d’avance au Sénat. Reste qu’il y a encore un obstacle : le président des États-Unis. Celui-ci a le droit de mettre son veto pour empêcher une résolution.

Les chances d’obtenir gain de cause par ce canal-là paraissent minces.

Devant les tribunaux

La seconde solution est de passer par l’ordre judiciaire. « Nous déposerons une plainte pour préserver la protection des New-yorkais et de tous les Américains. Et nous travaillerons d’arrache-pied pour empêcher les dirigeants de la FCC de nuire davantage à Internet et à notre économie », a déclaré Eric Schneiderman, le procureur général de l’État de New York, cité par Techcrunch.

Des actions du même type pourraient venir d’au moins dix-huit autres procureurs, vu la teneur d’un courrier adressé le 12 décembre à la FCC dans lequel ils ont demandé un report du vote en raison de révélations sur des faux commentaires lors du processus de consultation publique. Selon Quartz, plusieurs d’entre eux ont annoncé qu’ils agiront en justice pour renverser la situation ou au moins entraver le processus.

Multiples recours judiciaires sur la rampe de lancement

Des organisations issues de la société civile sont aussi sur la brèche. Reuters indique qu’au moins trois groupes d’intérêt public — Public Knowledge, Common Cause et Free Press — se préparent à aller devant les tribunaux. L’Electronic Frontier Foundation est aussi sur le coup. Par ailleurs,  le lobby des géants du net, Internet Association, a fait savoir qu’il examinait le vote et évaluait  ses options légales.

Ici, les chances de succès semblent plus importantes. « Je pense que cette affaire est condamnée au tribunal », a estimé Tim Wu, un professeur en droit à l’université Columbia à New York. « Ils sont allés trop loin », a ajouté celui qui est considéré comme l’inventeur de l’expression « neutralité du réseau » en 2002.

Source Numérama 22/12/2017

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Internet, rubrique Société, Citoyenneté, Justice rubrique Politique, Société civile, rubrique Education 

Comment devenir un lanceur d’alerte ? Transparency publie un guide pratique

Procédures à suivre, erreurs à ne pas commettre, sanctions possibles: l’ONG Transparency international France a publié jeudi un guide pratique, premier outil de ce type, pour venir en aide aux lanceurs d’alerte et les aider à « se défendre ».

« Il y a un an, la France s’est dotée d’un régime de protection des lanceurs d’alerte parmi les plus avancés en Europe », avec la loi dite Sapin 2, souligne dans un communiqué Transparency, pour expliquer cette publication.

Mais « bien souvent, ne sachant à qui s’adresser », les citoyens « n’ont pas les bons réflexes et s’exposent à des risques majeurs », comme le licenciement ou les poursuites pour diffamation, ou bien « se taisent par peur des représailles », ajoute l’ONG.

Le guide, mis en ligne sur le site de l’organisation, détaille sur une soixantaine de pages la procédure à suivre et les conditions à remplir pour lancer une alerte en bénéficiant des protections garanties par la loi.

Le document propose également un résumé des jurisprudences et des conventions internationales signées par la France, susceptibles d’aider les lanceurs d’alerte « dans la constitution de leur dossier ».

L’objectif, c’est de donner aux citoyens « les clefs pour agir », et leur permettre de révéler en toute sécurité les « failles et dysfonctionnements de nos Etats, de nos économies, de nos systèmes politiques et financiers », assure l’ONG.

Plusieurs lanceurs d’alerte ont été visés ces dernières années par des procédures judiciaires, à l’image d’Antoine Deltour, condamné en appel à six mois de prison avec sursis et à 1.500 euros d’amende par la justice luxembourgeoise dans l’affaire des LuxLeaks.

La loi Sapin 2, adoptée fin 2016, a renforcé la protection des salariés contre les représailles, en leur permettant de bénéficier de l’appui du Défenseur des droits.

A partir du 1er janvier 2018, elle obligera par ailleurs les entreprises de plus de 50 personnes, les communes de plus de 10.000 habitants et l’administration à mettre en place des procédures de recueil des alertes.

Source : AFP 14/12/ 2017

Comment Facebook achète la presse française

c654e4e159d7dcae01f93345c1fd1

TF1, Le Figaro, Le Parisien, Le Monde... Depuis 2016, Facebook verse des millions d’euros à plusieurs grands médias français pour produire des contenus vidéo sur son réseau social. Une pratique qui pose la question de la dépendance des rédactions et ouvre la voie à un système à deux vitesses pénalisant les « petits médias ».

Facebook a gagné. Les médias français sont bel et bien devenus dépendants. Triplement dépendants, en fait : élargissement gratuit de l’audience, utilisation des outils de production et de diffusion et acquisition de revenus complémentaires. L’écosystème de publication du réseau social est devenu un outil vital pour le secteur médiatique.

De l’innocente et ludique chasse aux « likes » des débuts, à la production sur-mesure et rémunérée de formats vidéo aujourd’hui, le dealer d’audience a bien fait son travail. Dose après dose, les éditeurs ont scellé un pacte tacite avec la plateforme, un pacte aux allures de mariage de raison. Il faut dire que le trousseau de la mariée est bien garni avec ses deux milliards d’utilisateurs. Le marié désœuvré ne pouvait espérer mieux.

La stratégie des VIP–VRP

Fin octobre, Facebook a donné un coup de semonce à ceux qui pensaient avoir trouvé une voie directe et gratuite vers une audience captive de masse. En testant la possibilité de créer un fil d’actualité séparé pour les publications non sponsorisées des pages professionnelles (en marge du fil d’actualité classique dédié aux posts des proches, aux contenus sponsorisés et aux publicités), Facebook a clairement lancé un avertissement aux marques, entreprises, institutions, ONG et médias en quête de visibilité : rien n’est gratuit. Cette stratégie intervient alors que les éditeurs n’ont jamais autant travaillé pour le réseau social et jamais autant créé de contenus sur mesure venant alimenter les « timelines » des utilisateurs.

Les volumes d’audience en jeu n’expliquent pas à eux seuls cette productivité spontanée et inégalée. À partir de juin 2016, plusieurs grands médias américains ont été rémunérés pour inonder les fils d’actualité de contenus originaux et servir de laboratoire technique et publicitaire à Facebook. En effet, pour donner envie aux médias, Mark Zuckerberg a mis en place un véritable réseau de représentants VRP capables de faire la démonstration de l’incroyable efficacité des nouveaux formats mis sur le marché.

Le New York Times, CNN, le Huffington Post, Buzzfeed, Vox, Mashable ou encore Condé Nast… le fondateur de Facebook a rassemblé des représentants VIP dans sa « dream team ». Modèles de réussite sur le marché digital, ces médias portent une solide réputation. Ils sont capables de produire à grande échelle et leurs contenus sont lus dans le monde entier.

Pour les convaincre, Facebook a dû se montrer très persuasif. Selon un document révélé par le Wall Street Journal en juin 2016, Mark Zuckerberg a ainsi fait un chèque de 50 millions de dollars répartis en 140 contrats de partenariats avec des médias et des célébrités, dont 17 de plus d’un million de dollars (près de 3 millions pour le New York Times et Buzzfeed, 2,5 millions pour CNN). Une goutte d’eau comparée aux 10 milliards de dollars de recettes trimestrielles de Facebook, soit 47 % de plus qu’au même trimestre de l’année précédente.

Le deal est simple : en échange d’une certaine somme, le partenaire doit produire massivement des contenus à haute valeur ajoutée sur la plateforme : vidéos, « Facebook Live », reportages à 360°, « Instant Articles »… Les grands médias américains ont donc été rémunérés pour inonder les fils d’actualité de contenus originaux et ainsi convaincre l’ensemble des éditeurs d’en faire autant.

Des millions d’euros versés aux principaux médias français

Cette stratégie s’est avérée très efficace puisque la renommée des médias enrôlés, combinée à un puissant soutien des algorithmes, a contribué à imposer de nouveaux formats en moins d’un an et à l’échelle mondiale. Alléchés par la masse de clics, les éditeurs du monde entier se sont lancés dans l’aventure… couronnant de ce fait la stratégie de Facebook.

Un système spécifique aux États-Unis ? Pas du tout. En Europe, les grands médias français participent par exemple à cette manœuvre de séduction à grande échelle. TF1, Le Figaro, Le Parisien ou les titres du groupe Le Monde font également partie des éditeurs qui touchent de l’argent pour produire des contenus vidéo pour Facebook. Et les sommes donnent le tournis, entre 100 000 et 200 000 euros par mois sur des périodes renouvelables de six mois, d’après les diverses sources interrogées. Sachant que la plupart des médias cités (liste non exhaustive) ont déjà reconduit une fois leur partenariat, on parle ici de millions d’euros distribués aux médias hexagonaux par Facebook.

Il va sans dire que dans les rédactions contactées, on est peu disert sur les détails de ces accords confidentiels. Mais si les conditions varient d’un média à l’autre, le principe reste le même : en échange de l’argent versé, chaque média s’engage à produire un volume précis de vidéos et/ou de  « lives » sur une période donnée, d’après les informations que nous avons pu récolter.

À LCI par exemple, la rédaction doit produire 14 heures de direct par mois et chaque « live » doit durer entre 6 et 20 minutes. Un timing précis qu’il vaut mieux respecter car les contrôles sont stricts, explique-t-on en interne. Il faut dire que la chaîne a tout intérêt à garder de bonnes relations avec son mécène. Selon un salarié, l’argent de Facebook versé sur la période aurait financé les deux tiers de la rédaction web. Mais les contributions financières de Facebook ne s’arrêtent pas là. Il a participé au financement d’un studio flambant neuf pour que la chaîne puisse réaliser des « Facebook Live » lors de la campagne présidentielle. Une dépendance financière qui s’ajoute à celle du trafic généré sur le site, via le réseau social, qui représente entre 30 et 40 % des visites.

RTL a également bénéficié des euros de Facebook pour son studio dédié aux lives, au même titre qu’Europe 1 pour installer une « Facebook Room » et un « Story Studio Instagram » dans le bus qui a sillonné la France pendant la campagne électorale.

Enfin, la firme de Menlo Park apporte un soutien aux médias sous la forme de conseils techniques pour exploiter au mieux l’algorithme chargé de hiérarchiser les publications et comprendre les subtilités des statistiques d’audience, notamment avec la mise à disposition de CrowdTangle, une solution propriétaire d’analyse du trafic.

Du côté de Facebook, on assume ces contributions financières, mais on en minimise l’importance : « Voir les collaborations de Facebook uniquement à travers des partenariats rémunérés est réducteur. Notre rôle au quotidien est de travailler conjointement avec les médias au développement d’outils destinés à enrichir leur expérience sur Facebook. Cela passe par beaucoup d’échanges et des phases de tests durant lesquels il a pu nous arriver d’indemniser nos partenaires. Les médias prennent du temps pour utiliser nos nouveaux produits et partager leurs retours avec nous et il nous semble donc normal qu’ils obtiennent une compensation pour cela. Cela s’inscrit toujours dans un cadre temporaire le temps de l’expérimentation », explique Edouard Braud, le directeur des partenariats médias pour l’Europe du sud.

Un système gagnant-gagnant ?

Après des débuts laborieux, une communication maladroite et des cahiers des charges trop contraignants, Facebook a massivement investi dans ses relations avec les médias à partir de 2010. Désormais, la « Media Partnership Team » multiplie les initiatives comme le « Facebook Journalism Project » ou le « Listening Tour », débuté en juin 2017, dans les rédactions.

Alors que la sphère médiatique s’alarme régulièrement de la dépendance aux « actionnaires milliardaires » ou de la proximité avec le pouvoir politique, la dépendance à Facebook ne semble pas émouvoir outre mesure. Au contraire, les partenariats sont vécus comme de belles opportunités pour expérimenter et se rapprocher de l’audience.

À L’Obs, Aurélien Viers, responsable du pôle visuel est très enthousiaste : « Ce partenariat nous permet d’aller plus loin dans nos expérimentations sans bouleverser notre organisation. Grâce aux outils fournis, nous avons pu créer des formats vidéo originaux qui connaissent de beaux succès en ligne. La pratique régulière du « Live social », depuis le terrain, a instauré une nouvelle relation avec l’audience, plus spontanée et plus dynamique. On peut dire que Facebook condense tous les nouveaux défis liés à la vidéo, en termes de storytelling, de créativité et de capacité à se démarquer dans un environnement très concurrentiel. »

Mais en coulisses, dans les médias partenaires, les dents grincent, notamment du côté des régies publicitaires et des services commerciaux impliqués dans une lutte acharnée et vaine contre leur principal concurrent, l’ogre Facebook. « Devant les « valises de billets » apportées par Facebook, les régies n’ont pas leur mot à dire, explique un journaliste en off. Et lorsque Facebook teste ses nouveaux formats publicitaires mid-roll sur nos propres productions, l’exaspération est à son comble. »

L’efficacité de la plateforme désespère les éditeurs englués dans des stratégies trop) complexes de rétention de l’audience, comme l’explique ce cadre en charge du numérique: « Quand un internaute, avant de pouvoir finalement regarder une vidéo sur un site, doit cliquer sur un lien, attendre de longues secondes le chargement de la page puis fermer une ou deux fenêtres de pub pour finalement devoir patienter devant une publicité de trente secondes, le constat est sans appel, on ne peut pas rivaliser. On ne joue pas dans la même division que Facebook et son autoplay instantanée. »

Michaël Szadkowski, rédacteur en chef du site et des réseaux sociaux du Monde, explique n’avoir fait aucune concession éditoriale et garder un contrôle total sur le contenu, une condition sine qua non du partenariat. « L’argent versé n’a pas fondamentalement changé notre façon de travailler. La production de vidéos était déjà une priorité pour nous, avec une équipe de quinze personnes dédiées. On poste plus de contenus qu’avant sur la plateforme, c’est sûr, mais je préfère que Facebook fasse vivre les médias plutôt qu’il se mette à créer et à imposer ses propres contenus. Facebook a changé de dimension, ses dirigeants ont compris qu’on ne pouvait plus demander aux médias de produire gratuitement des contenus et de la valeur, pour ensuite les monétiser auprès des annonceurs. » Un constat valable pour les seuls partenaires et pour une durée limitée.

Guillaume Lacroix, cofondateur de Brut, un média vidéo présent uniquement sur les réseaux sociaux, ne tarit pas d’éloges sur sa collaboration avec Facebook. Il s’agit d’un « partenariat de travail » qui ne comporte aucun volet financier. « Facebook nous donne beaucoup de conseils utiles pour faire décoller l’engagement sur nos vidéos. Il nous informe également sur les formats en vogue dans le monde entier. En septembre, nous avons par exemple été invités à Dublin pour participer à une conférence où étaient réunis 35 médias nés en ligne. Les échanges ont été très enrichissants. Enfin, Facebook met à notre disposition CrowdTangle, un outil très performant qui permet d’analyser l’engagement de l’audience sur les réseaux sociaux. Si on devait payer pour l’utiliser, pas sûr qu’on pourrait se le permettre. »

Comme pour Le Monde et L’Obs, Brut perçoit la collaboration avec Facebook comme un véritable avantage concurrentiel et croit à la pérennité de son modèle : « Cela ne nous fait pas peur d’être Facebook dépendant, pas plus qu’un producteur qui travaille avec une chaîne de télévision. Par ailleurs, il ne nous donne pas d’argent et pourtant Brut sera rentable en 2018, c’est qu’il existe bien un business model sur les réseaux sociaux. »

Edouard Braud l’affirme, Facebook fait tout pour donner le maximum d’autonomie aux médias : « Tous nos produits sont faits de telle sorte qu’ils ne créent pas de dépendance. Nous les concevons pour qu’ils enrichissent l’expérience des médias et les aident à créer de la valeur grâce à Facebook. Cela peut se faire à la fois au sein de notre environnement mais également en dehors. C’est pourquoi nous développons notamment des outils qui permettent de générer de la valeur dans les environnements propriétaires des médias comme sur « Instant Articles » avec les modules d’abonnement aux newsletters, de téléchargement d’applications… »

Un miroir aux alouettes et un danger pour les «petits médias»

En dehors des médias partenaires, rares sont les rédactions disposant des ressources et de la flexibilité nécessaires pour faire face aux exigences de Facebook. En l’absence d’incitation financière ou de revenus récompensant les contenus produits pour le réseau social, les petits médias s’essoufflent à force de vouloir tirer profit de l’audience et des redoutables outils mis à disposition. Résultat, un écosystème à deux vitesses s’est progressivement mis en place, doublé d’une stratégie kamikaze des médias, dont la production vidéo est un exemple éclairant.

Passage en revue des raisons pour lesquelles la plupart des médias n’ont que peu d’intérêts à se lancer dans la production de vidéos sociales :

  • La production de vidéos est complexe, chronophage et coûteuse, surtout pour les titres de presse écrite dont ce n’est pas le métier. Mettre en place un workflow spécifique et former ou embaucher des journalistes capables de tourner et de monter des vidéos sociales représentent un coût considérable. Dans le domaine, la rentabilité reste souvent un concept.
  • La professionnalisation fulgurante des contenus. Les vidéos postées sur le réseau social ressemblent de plus en plus à des productions télévisuelles, ce qui tend à disqualifier les médias incapables de suivre les standards de qualité en vigueur. Aujourd’hui, la majorité des « lives » Facebook est réalisée avec plusieurs caméras, à l’aide d’une régie.
  • La versatilité des formats recommandés. Pendant six mois, Facebook nous incite à produire des vidéos de moins d’une minute consultable sans le son. Le mois suivant, il faut produire des séquences d’une minute trente minimum, sans quoi l’algorithme pourrait bouder nos contenus. Trente petites secondes de plus qui imposent de repenser les formats et réorganiser sa chaîne de production.
  • Le paradoxe de l’engagement. Par expérience, les contenus vidéos postés sur Facebook sont ceux qui apportent le moins de trafic sur les sites. Ils suscitent un fort engagement, mais sont consultés exclusivement dans le fil d’actualité, et peu sur les sites. Pourtant, les médias redoublent d’efforts pour produire des vidéos natives et non rentables. Enfin, comme sur YouTube, l’actualité est loin de faire partie des contenus les plus consultés sur Facebook.
  • La supercherie des données d’audience. Comprendre et analyser les chiffres d’engagement fournis par le réseau social demande de la patience et des compétences solides. Des chiffres dont la fiabilité est sujette à caution. En 2016, Facebook a admis avoir surévalué les statistiques de consultation des vidéos de 60 à 80 %, et ce, pendant deux ans ! Une « erreur technique » a été invoquée. Une excuse grossière qui pourrait faire sourire si elle n’avait pas un impact énorme sur les investissements publicitaires et sur les moyens mis à disposition p
    • ar les médias pour produire des vidéos. Quand on culmine à plusieurs centaines de milliers voire des millions de vues par vidéo, les marges d’erreur n’ont pas de grandes conséquences, mais lorsqu’une stratégie vidéo est évaluée sur la base de quelques milliers de clics, alors dans ce cas, les implications peuvent être sérieuses.
    • Le chantage au « reach » et la tentation du « boost ». La présence de tous les acteurs sur la plateforme engendre une course à l’attention inédite qui aboutit à une saturation des « timelines » et à une baisse de la visibilité des contenus, intelligemment orchestrée par Facebook. Une chute importante de la portée des publications peut contribuer à déstabiliser les fragiles « business model » des médias. Et la tentation de payer pour maintenir sa popularité, généreusement offerte par la plateforme, n’est plus une exception dans les rédactions. Les contenus sponsorisés se multiplient et les médias se transforment en client de la régie publicitaire de Facebook

     

    • Facebook a gagné. Les nombreux paradoxes évoqués ci-dessus en sont les meilleures preuves. La servitude volontaire dont font preuve les médias peut être analysée au prisme de leur situation financière, mais difficile de dire quelles en seront les conséquences à long terme. Des sacrifices nécessaires sur l’autel de la transition numérique ? Peut-être, mais attention, la dépendance n’est pas seulement financière, elle est également technique pour l’accès aux outils de production et de diffusion de l’information, elle pèse aussi sur les contenus et contribue à l’uniformisation des formats à l’échelle mondiale et surtout, elle influence et rythme le quotidien et l’organisation des rédactions.

    • Le paysage médiatique français s’alarme régulièrement du manque d’indépendance des médias face aux actionnaires-industriels-milliardaires. Pourtant, ces mêmes médias permettent l’instauration progressive d’une menace tout aussi toxique pour l’avenir des médias et de la démocratie, celle du soft power, de l’argent et de l’écosystème des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple).

      Nicolas Becquet (Observatoire européen du journalisme)

Voir aussi :  Rubrique Internet, rubrique Médias,, rubrique Education, rubrique Politique, Société civile, rubrique Société, Citoyenneté,

 

De l’art ou de l’amour ? fb censure sans chercher

privacy_uitsnede_1900x900

Privacy de Warme Winkel & Wunderbaum « Dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi.» crédit photo dr

Chronique
Doit-on assimiler la censure du plus grand des réseaux sociaux, sans distinction du message et du contenu, à une atteinte à la liberté d’expression ?

Interdit d’expression durant trois jours sur le réseau privé Facebook pour avoir publier la semaine dernière une image de comédiens où apparaît une paire de seins. Le fait est presque devenu banal ce qui paraît d’autant plus inquiétant. L’accumulation des données accessibles gratuitement – si on ne tient pas compte des données privées revendues à notre insu – confère aux plates-formes numériques un rôle incontournable en matière d’information.

La Revue Réseaux* publie dans son dernier opus un état des lieux édifiant consacré à cette question. Les analyses croisées de différents chercheurs permettent de comprendre comment l’offre de ces plates-formes remet en question la grille éditoriale des journaux et le pluralisme de l’information,  garant d’un fonctionnement de la démocratie.

A dire vrai, en publiant cette image je me doutais que FB allait amputer ma liberté, d’autant que dans la pièce Privacy des néerlandais De Warme Winkel & Wunderbaum donnée au Théâtre Garonne à Toulouse il est justement question de l’exposition de notre vie intime sur les réseaux sociaux. « La vie privée n’est plus la norme sociale », déclarait en 2011 Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook.

La sanction est arrivée sur le champ, moins d’une minute après la publication. La conception de cette censure est plus que discutable. En vertu de la morale puritaine américaine, les images de nu heurtent les modérateurs de fb, alors que des vidéos de viol ou de décapitation peuvent se retrouver en ligne pendant plusieurs jours. Mais comme le démontre une enquête menée  au cœur de la machine à modérer fb par le quotidien britannique The Guardian, « Dans le système Facebook, seul le juge connaît la loi.»

Problème de qualité de l’information
Ce n’est pas la première fois que je suis sanctionné (puni ?), la dernière fois, cela concernait une photo des femen. Libre à chacun d’avoir un regard critique sur ce mouvement féministe radical internationalement reconnu qui s’implique pour la démocratie, contre la corruption, la prostitution et l’influence des religions dans la société, mais comment ignorer l’impact de la censure du plus grand réseau social mondial, qui compte deux milliards d’utilisateurs actifs par mois, à l’encontre des femen ? Facebook aime le féministe tant que cela contribue à faire tourner la boutique mais il ne faut pas qu’elles soient provocatrices. Rien à voir avec ces jeunes filles qui vous invitent sur le même réseau à passer du bon temps avec elles sans montrer leur seins…

Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) mettent en œuvre des modes de contrôles de l’information, de conditionnement des opinions, et introduisent un problème de qualité de l’information à l’échelle mondiale qui posent bien des questions. Comme les autres géants, Facebook  impose son offre aux internautes qui veulent accéder aux services et biens informationnels en les verrouillant sur son application, et impose ensuite ses conditions aux fournisseurs de contenus.

Pour éviter cette atteinte à la liberté d’expression dans la sphère domestique et contribuer à une action plus vaste, le pire est sans doute d’avoir recours à l’autocensure. Résister individuellement et massivement peut infléchir la loi d’airain de cette nouvelle oligarchie, on l’a vu, quitte à se faire bannir et à consacrer le temps gagné à inventer de nouveaux outils collaboratifs.

JMDH

Revue Réseau sep/oct 2017 Modèles économiques, usages et pluralisme de l’information en ligne, éditions La Découverte, 25 euros.

Source : La Marseillaise 30/12/2017

Voir aussi :  Rubrique Internet, rubrique Médias,, rubrique Education, rubrique Politique, Société civile, rubrique Société, Citoyenneté,