Cinéma et sida, la guerre de la représentation

 Zero Patience  (1993 de  John Greyson.

Zero Patience (1993 de John Greyson.

Arts et sida
A l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le sida du 1er décembre, Montpellier Danse libère la parole à l’occasion de deux soirées débat suivies de projections. La première qui s’est tenue mardi  a évoqué l’impact de cette maladie sur le 7e art.

Montpellier Danse s’inscrit de longue date comme un vecteur de réflexion sur l’influence du sida sur la danse et plus largement sur le monde de l’art. La danse contemporaine a été très tôt sensibilisée à la problématique. « Conséquence de la libération des corps en 1968, l’explosion de la nouvelle danse, portée par la jeune génération, est court-circuitée par le VIH qui fait son apparition en 1985 », rappelle le journaliste spécialisé montpelliérain Gérard Mayen qui animait le débat. Parmi les victimes du virus le danseur, chorégraphe, Dominique Bagouet, fondateur du CCN de Montpellier et du Festival Montpellier Danse succombe à l’épidémie le 9 décembre 1992.

En raison d’un imprévu la critique d’art Elisabeth Lebovici auteure  de Ce que le sida m’a fait – Art et activisme à la fin du XXe siècle, (Les presses du réel 2017) n’a pu honorer l’invitation. Dans cet ouvrage très documenté, elle revisite, avec sa mémoire de témoin, les liens entre art et activisme durant les « années sida » en France et aux États-Unis. Elisabeth Lebovici rend compte d’une créativité artistique et activiste née de l’urgence de vivre et du combat pour la reconnaissance de tous·tes avec un point de vue féministe assumée. A ses yeux, « l’homophobie est une forme déplacée de la misogynie», souligne Gérard Mayen.

Élaborer ses propres images
Dans Le sida face à la caméra, (collection Images d’ErosOnyx 2017), le journaliste critique de cinéma Didier Roth-Bettoni s’intéresse au corpus cinématographique ayant trait au sida.

Comme le mouvement gay dans les années 70, le sida génère un cinéma spécifique qui élabore ses propres images dont l’auteur scrute avec pertinence et sensibilité les enjeux. Il démontre comment  ce « cinéma de l’intérieur» a participé à la construction de la communauté LGBT mais aussi à la manière dont le reste de la société l’a regardée.

Dans le large éventail des films étudiés, l’auteur distingue sans jugement les films compassionnels comme Philadelphia « qui appelle à la tolérance, avec des limites dans les représentations…» et les films plus engagés, à l’instar de Zero Patience  (1993), du canadien John Greyson. Un ovni sulfureux et hilarant qui pose les vraies questions. Projeté à l’issue de la conférence à Montpellier, le film est offert  avec l’achat du livre.

« L’objectif de ce courant cinématographique est double, indique Didier Roth-Bettoni : représenter d’une part, des familles alternatives, et un environnement plus chaleureux et joyeux face à une société qui est dans le déni , et évoquer, d’autre part, la représentation de corps vivants, luttant contre le virus mais aussi contre les structures sociales.» L’auteur entend ainsi faire oeuvre d’historien auprès des nouvelles générations pour que  «tout ne soit pas à recommencer de zéro

JMDH

Prochaine soirée le 7 dec à 17h30 à l’Agora sur le thème La recherche contre le VIH et le sida :  un point sur les nouvelles avancées à Montpellier.

Source La Marseillaise 30 /11/2017

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Incarcéré depuis 4 mois suite au G20 de Hambourg, Fabio 19 ans, tient tête à la justice

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« Moi, madame la juge, j’ai beaucoup pensé avant de venir à Hambourg. »

Arrêté lors des journées d’émeutes qui ont secoué le G20 de Hambourg les 7 et 8 juillet 2017, Fabio est accusé de jet de projectile et de rébellion. Il est incarcéré depuis 4 mois à la prison de Billwerder et comparaissait le 7 novembre dernier devant le tribunal pour mineur d’Altona à Hambourg. Nous reproduisons ici la déclaration qu’il a faite ce jour-là devant ses juges et qui contient plus de vérité, de sincérité et de justesse que tous les solipsismes inconséquents de procureurs.

Les prochaines audiences de son procès auront lieu les 27 novembre et 7 décembre prochain.

Madame la juge, messieurs les jurés, madame le procureur, monsieur l’assistant du tribunal pour mineurs.

Vous, aujourd’hui, vous êtes appelés à juger un homme. Vous l’avez appelé un « criminel agressif » et « irrespectueux de la dignité humaine ». Personnellement je ne prête aucune attention aux appellations que vous m’attribuez. Moi, je suis seulement un garçon de bonne volonté.

Avant tout je voudrais dire que probablement ces messieurs les politiciens, ces messieurs les commissaires de police et ces messieurs les magistrats pensent qu’en incarcérant et arrêtant quelques jeunes cela puisse arrêter la contestation dans les rues. Probablement ces messieurs pensent que les prisons suffisent à éteindre les voix rebelles qui s’élèvent de partout. Probablement ces messieurs pensent que la répression arrêtera notre soif de liberté, notre volonté de construire un monde meilleur.

Et bien ces messieurs se trompent. Et c’est l’Histoire qui leur donne tort.

Parce qu’un nombre incalculable de garçons et de filles sont passés, comme moi, devant un tribunal comme celui-ci.

En effet aujourd’hui c’est à Hambourg, hier à Gênes et encore avant à Seattle.

Vous, vous essayez d’empêcher la propagation des voix de la révolte qui s’élèvent partout par n’importe quel moyen « légal », par n’importe quel moyen « procédurier ».

Quoiqu’il arrive, peu importe la décision qui sera prise par ce tribunal, elle n’aura aucune influence sur notre protestation. Il y aura encore tout autant de garçons et de filles qui, portés par les mêmes idéaux descendront dans les rues d’Europe. Se préoccupant guère de ces prisons que dans un essoufflement, vous vous efforcez de remplir de prisonniers politiques.

Mais venons-en donc à l’essentiel, madame la juge, messieurs les jurés, madame le procureur, monsieur l’assistant du tribunal pour mineur.

Venons-en donc à l’essentiel.

Comme vous pouvez l’imaginer, je veux user de mon droit de ne pas faire de déclarations en rapport avec le fait spécifique pour lequel vous me poursuivez. Toutefois je voudrais porter l’attention sur les motivations qui poussent un jeune ouvrier d’une petite ville reculée des Pré-alpes orientales à venir à Hambourg.

Pour manifester son propre désaccord avec le sommet du G20.

G20. Rien que le nom a déjà en soi, quelque chose de pervers.

Vingt hommes et femmes représentants des vingt pays les plus riches et les plus industrialisés du globe, s’asseyent autour d’une table. Ils s’asseyent tous ensemble pour décider de notre futur. Oui, j’ai bien dit ceci : le notre. Le mien, ainsi que celui de toutes les personnes assises aujourd’hui dans cette salle, tout comme celui des sept milliards de personnes qui habitent cette belle planète Terre.

Vingt hommes décident de notre vie et de notre mort.

Évidemment, la population n’est pas invitée à ce joli banquet. Nous, nous ne sommes que le stupide troupeau des puissants de la Terre. Spectateurs totalement soumis de ce théâtre où une poignée de personnes tiennent entre leurs mains l’humanité toute entière.

Moi, madame la juge, j’ai beaucoup pensé avant de venir à Hambourg.

J’ai pensé à monsieur Trump et à ses États-Unis d’Amérique qui sous le drapeau de la démocratie et de la liberté s’érigent comme les gendarmes du monde entier. J’ai pensé aux nombreux conflits déclenchés par le géant américain aux quatre coins de la planète. Du Moyen-Orient à l’Afrique. Tout ceci pour s’accaparer du contrôle de telle ou telle ressource énergétique. Peu importe si ceux qui meurent, ce sont toujours les mêmes : civils, femmes et enfants.

J’ai pensé aussi à monsieur Poutine. Nouveau tsar de Russie, qui dans son pays viole systématiquement les droits de l’Homme et se moque de toute opposition.

J’ai pensé aux Saoudiens et à leurs régimes fondés sur la terreur avec qui nous, les occidentaux nous faisons des affaires en or.

J’ai pensé à Erdogan qui torture, tue et emprisonne ses opposants.

J’ai pensé aussi à mon pays, où à coup de lois-décret chaque gouvernement supprime sans trêve les droits des étudiants et des travailleurs.

En bref, les voici les protagonistes du somptueux banquet qui s’est tenu à Hambourg en juillet dernier. Les plus grands va-t’en-guerre et assassins que le monde contemporain connaisse.

Avant de venir à Hambourg j’ai pensé aussi à l’inégalité qui frappe, aujourd’hui, de plein fouet notre planète. Cela me semble presque évident de répéter qu’en effet 1% de la population la plus riche du monde possède la même richesse que les 99% le plus pauvre. Cela me semble presque évident de répéter que les quatre-vingt cinq hommes les plus riches du monde possède la même richesse que 50% de la population la plus pauvre. Quatre-vingt cinq hommes contre trois milliards et demi. Ces quelques chiffres suffisent à donner une idée.

Ensuite, madame la juge, messieurs les jurés, madame le procureur, monsieur l’assistant du tribunal pour mineurs, avant de venir à Hambourg j’ai pensé à ma terre : à Feltre. Le lieu où je suis né, où j’ai grandi et où je veux vivre. La citadelle médiévale qui est sertie comme une gemme dans les Pré-alpes orientales. J’ai pensé aux montagnes qui, au crépuscule, se teignent de rose. Aux magnifiques paysages que j’ai la chance de voir depuis ma fenêtre. A la beauté qui traverse ce lieu.

Puis, j’ai pensé aux fleuves de ma belle vallée, violés par les entrepreneurs qui veulent les concessions pour y construire des centrales électriques, sans se préoccuper des dommages pour la population et pour l’écosystème.

J’ai pensé aux montagnes, frappées par le tourisme de masse ou devenues lieu d’entraînements militaires.

J’ai pensé à ce magnifique endroit où je vis, qui est en passe d’être bradé à des hommes d’affaires sans scrupules, exactement comme d’autres vallées à chaque coin de la planète, où la beauté est détruite au nom du progrès.

Dans la lignée de toutes ces pensées, j’ai donc décidé de venir manifester à Hambourg. Pour moi, venir ici était un devoir avant d’être un droit.

J’ai trouvé cela juste de m’opposer à ces politiques scélérates qui sont en train de pousser le monde vers le gouffre.

J’ai trouvé cela juste de me battre pour que quelque chose soit au moins un peu plus humain, digne et équitable.

J’ai trouvé cela juste d’aller dans la rue pour répéter que la population n’est pas un troupeau et qu’elle doit être consultée dans les choix.

Le choix de venir à Hambourg a été celui d’une prise de parti. Le choix d’être du côté de ceux qui demandent des droits et contre ceux qui veulent leurs en enlever. Le choix d’être du côté de tous les oppressés du monde et contre les oppresseurs. Le choix de combattre les puissants, grands et petits, qui utilisent le monde comme si c’était leur jouet et qui ne se soucient pas du fait que c’est toujours la population qui en fait les frais.

J’ai fait mon choix et je n’ai pas peur s’il doit y avoir un prix à payer injustement.

Néanmoins il y a autre chose que je voudrais vous dire, que vous me croyiez ou non : je n’aime pas la violence. Mais j’ai des idéaux et pour ceux-ci j’ai décidé de me battre.

Je n’ai pas fini.

Dans une époque historique où partout dans le monde s’érigent de nouvelles frontières, se déroule du nouveau fil barbelé, se dressent de nouveaux murs des Alpes à la Méditerranée, je trouve cela merveilleux que des milliers de jeunes, de chaque coin de l’Europe, soient disposés à descendre ensemble dans les rues d’une seule et même ville pour leur propre futur. Contre chaque frontière. Avec comme seule intention commune, le fait de rendre le monde meilleur par rapport à comment nous l’avons trouvé.

Parce que madame la juge, messieurs les jurés, madame le procureur, monsieur l’assistant du tribunal pour mineurs, parce que nous ne sommes pas le troupeau de ces vingt seigneurs. Nous sommes des femmes et des hommes qui voulons avoir le droit de disposer de notre propre vie.

Et pour cela nous combattons et nous combattrons.

Fabio, tribunal pénal de Altona à Hambourg, le 7 novembre 2017.

Source : lundimatin#124,  27/11/2017

James Baldwin et l’invention du « Nègre »

I Am Not Your Negro, de James Baldwin et Raoul Peck, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Furlan, Robert Laffont/Velvet Film, 144 p., 17 €.

I Am Not Your Negro, de James Baldwin et Raoul Peck, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Furlan, Robert Laffont/Velvet Film, 144 p., 17 €.

Le verbe de l’écrivain américain, mort il y a trente ans, se déploie dans « I Am Not Your Negro », issu du film de Raoul Peck. Christiane Taubira l’a entendu.

ls sont six autour d’un journaliste et d’une table ronde : trois Afro-Américains et trois Américains blancs. Symétrie fortuite ou délibérée. L’écrivaine Toni Morrison observera plus tard que « dans ce pays, Américain signifie Blanc, toute autre personne a besoin d’un trait d’union » (par exemple : Afro-Américain, Sino-Américain, Italo-Américain, etc.). Ce soir-là, aux côtés de James Baldwin (1924-1987) se tiennent Marlon Brando, Joseph Mankiewicz, Harry Belafonte, Sydney Poitier et… Charlton Heston. Nous sommes le 28 août 1963, cent ans après la Proclamation d’émancipation des esclaves, publiée au mitan de la guerre de Sécession. Les grandes figures de résistance à l’esclavage et de la Civil War, Harriet Tubman, Crispus Attucks, Edward Hector, Austin Dabney, Lemuel Haynes… sont encore peu connues.

Ce mois d’août 1963 est fébrile. Plusieurs organisations ont appelé à marcher sur Washington pour l’emploi et la liberté, « jobs and freedom. NOW ! ». Martin Luther King en est le leader incontesté. Trois ans plus tôt, Abbey Lincoln et Max Roach ont maçonné cet album de jazz crissant, We Insist ! Freedom Now Suite. Aux premiers rangs de la foule immense et ardente qui ondule sur le mall du Lincoln Memorial, ces six-là, de Belafonte à Brando, désignés avec ou sans trait d’union, solidaires, ont choisi de croire au rêve que, dans une fulgurance clairvoyante et généreuse, Mahalia Jackson a demandé au pasteur King de partager avec cet essaim vibrant. « I have a dream. » Mais ils insistent, c’est « NOW ! » L’émission, qui a tourné autour de « Negro question, Negro problem », touche à sa fin. Baldwin est invité à conclure. « I’m not a Negro. I never called myself one. » (« Je ne suis pas un Nègre,…

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Source Le Monde des livres 29/11/2017

Histoire Le long combat pour la représentation du personnel

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Donner une voix aux salariés au sein de l’entreprise fut un combat permanent tout au long du XXe siècle. Les récentes réformes fragilisent plutôt les acquis de ces luttes.

En France, la démocratie peine à franchir les portes des entreprises. Il a fallu tout d’abord attendre 1884 pour que les syndicats soient autorisés. A l’époque, seuls quelques patrons chrétiens sociaux ou, plus rares encore, d’inspiration socialiste (comme Jean-Baptiste Godin, à Guise), soucieux de s’attacher un noyau d’ouvriers, organisent une représentation du personnel, pour instaurer ce qu’on appelle aujourd’hui un « dialogue social ». Jusqu’en 1936 néanmoins, des canaux d’expression des travailleurs sont peu à peu élaborés au niveau national. Patronat et gouvernement cherchent en effet alors à éteindre et prévenir les nombreux conflits sociaux qui émaillent la période.

Une élaboration laborieuse

Tout commence dans les mines, et plus spécifiquement dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité au travail. La loi du 8 juillet 1890 y institue des délégués de sécurité « dans le but exclusif [d’]examiner les conditions de sécurité pour le personnel (…) et, d’autre part, en cas d’accident, les conditions dans lesquelles cet accident se sera produit ». Le secteur connaît en effet de graves accidents à répétition, souvent mortels. Par ailleurs, la dépression économique alors à l’oeuvre fait prendre conscience de l’importance de la « question sociale ». Dans les syndicats, les modérés sont souvent dépassés par des militants plus radicaux.

Il faudra cependant attendre 1917 pour qu’apparaissent les premiers délégués du personnel élus par atelier dans 350 établissements, travaillant dans leur grande majorité pour la défense nationale. Le but est d’éviter les conflits dans des activités stratégiques, à un moment où le pays connaît de nombreuses grèves et une montée du refus de la guerre. Après-guerre, ces délégués ne subsisteront cependant que dans une minorité d’entreprises.

C’est, enfin, à la suite du grand mouvement de grèves de mai-juin 1936 et des accords dits de Matignon qu’une loi institue des délégués du personnel dans les entreprises de plus de dix salariés. Ces derniers « ont qualité pour présenter à la direction les réclamations individuelles qui n’auraient pas été directement satisfaites, visant l’application des lois, décrets, règlements du code du travail, des tarifs de salaires et des mesures d’hygiène et de sécurité« . Les travailleurs vont s’emparer de cette opportunité en élisant massivement des délégués contestataires, qui animeront les luttes pour réévaluer les bas salaires et peser sur les conventions collectives alors en discussion. Le statut de ces délégués sera modifié par plusieurs décrets en 1938-1939 pour amoindrir le poids d’une CGT exécrée par le patronat.

Mais sous le régime de Vichy, pendant la Seconde Guerre mondiale, les syndicats et les délégués sont supprimés. La Charte du travail (1941) institue à la place des « comités sociaux » rassemblant des représentants de toutes les catégories de salariés (élus ou désignés, selon le choix du patron), animés par des cadres qui trouvent là un nouveau rôle social. Ce fut un succès, lié à leur réelle utilité : baptisés souvent « comités patates », ils centrèrent en effet le plus souvent leur activité sur le ravitaillement (cantine, groupement d’achats, jardins ouvriers), question cruciale en ces temps de pénurie aiguë.

Du consensus productiviste à la crise

A la Libération, syndicats et délégués du personnel sont rétablis dans leurs droits. Des comités d’entreprise sont créés dans les établissements de plus de 50 salariés (loi de 1946). Inspirés en partie des « comités sociaux » vichystes en ce qui concerne la gestion des « oeuvres sociales » de l’entreprise (cantine, colonies de vacances, etc.) en y ajoutant quelques avancées démocratiques. Les élus le sont sur des listes syndicales et doivent être informés des réalités économiques de l’entreprise. Le but étant, certes, de modérer leurs revendications, dans une période où un large accord règne alors entre le patronat, l’Etat et les syndicats (y compris la CGT) pour reconstruire le pays.

Un consensus productiviste qui se prolonge pendant toutes la période dite des Trente Glorieuses : une partie des gains de productivité se traduit par des hausses de salaires et des primes. En 1947, des comités d’hygiène et de sécurité (CHS), émanation du comité d’entreprise (CE), sont aussi créés, pour veiller à l’application de la loi et des consignes en ces domaines.

Les années 1970-90 voient éclater ce consensus. Les conditions de travail dans les usines taylorisées, où opère une majorité d’ouvriers spécialisés (OS), se sont aggravées. Le mécontentement grandit. Il explose en mai-juin 1968 et se prolonge dans les années 1970 avec de nombreuses grèves d’OS. L’Etat cherche alors à mieux intégrer les syndicats en reconnaissant la section syndicale d’entreprise et des délégués syndicaux dans les entreprises de plus de 50 salariés (loi de décembre 1968), qui peuvent signer des accords d’entreprise.

En 1982, les CHS deviennent comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), intégrant ainsi la problématique des conditions de travail. La même année, les lois Auroux renforcent la protection des délégués et soutiennent l’expression des salariés dans l’entreprise. En rendant obligatoires des négociations salariales annuelles dans les entreprises, elles promeuvent un dialogue reçu avec méfiance tant par le patronat (« une profonde et longue perturbation de la vie de l’entreprise », selon Yvon Chotard, le vice-président du CNPF, le Medef de l’époque) que par des fédérations syndicales de salariés. Ces dernières craignent que cela ouvre la voie, à terme, à la prééminence des accords d’entreprise sur les garanties protectrices des accords de branche, ce que l’on appelle aujourd’hui « l’inversion des normes ».

Depuis les années 1970, la priorité des politiques publiques est d’aider les entreprises dans la compétition internationale. De plus en plus souvent, les accords d’entreprise visent à faire admettre des reculs sociaux au nom de la compétitivité. Une loi de 2008 facilite la validation de tels accords pourvu qu’ils soient signés par des organisations syndicales représentatives1 ayant recueilli au moins 30 % des suffrages lors des dernières élections professionnelles. La loi travail de 2016 favorise le référendum d’entreprise tout comme les récentes ordonnances Macron, au nom d’une démocratie directe supposée plus proche des réalités de l’entreprise.

Par ailleurs, les employeurs présentent les institutions de représentation du personnel comme un poids ; ils cherchent donc à l’alléger. Leur tâche est facilitée par la division et la faiblesse syndicales (11 % de salariés syndiqués, 20 % dans le public, 9 % dans le privé) ainsi que par la difficulté à trouver des délégués dans les PME. Une succession de lois va instaurer la délégation unique du personnel (DUP), concentrant de plus en plus les compétences : délégation du personnel et délégation au comité d’entreprise dans les entreprises de moins de 200 salariés en 1993, puis une DUP incluant le CHSCT dans les entreprises entre 50 et 300 salariés après accord (loi Rebsamen de 2015). Les ordonnances Macron rendent, elles, obligatoires dans les entreprises de plus de dix salariés la fusion à l’horizon 2020 des trois délégations dans un comité social et économique. Elles facilitent également la négociation d’accords sans passer par des délégués syndicaux dans les entreprises de moins de 50 salariés. De quoi affaiblir encore les syndicats et, par là, une démocratie sociale qui reste à advenir.

Gérard Vindt

  • 1. La loi du 20 août 2008 change les règles : est « représentative » une organisation syndicale qui, entre autres conditions, est indépendante de l’employeur et a recueilli au moins 10 % des suffrages exprimés aux élections professionnelles dans l’entreprise. Il ne suffit plus et il n’est plus nécessaire d’être affilié à l’une des cinq confédérations représentatives au niveau national (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC).

Source : Alternative Eco 29/11/2017

Voir aussi : Actualité France, rubrique Politique, Politique économique,  rubrique Société, Travail, Santé, Justice,

RDC: «Belgique assassin», quand des Congolais réclament la dépouille de Lumumba

Patrice Lumumba (à droite en chemise blanche) lors de son arrestation avec ses compagnons en décembre 1960 à Léopoldville (actuelle Kinshasa). Il a été assassiné le 17 janvier 1961. © Photo AFP

Patrice Lumumba (à droite en chemise blanche) lors de son arrestation avec ses compagnons en décembre 1960 à Léopoldville (actuelle Kinshasa). Il a été assassiné le 17 janvier 1961. © Photo AFP

C’est la deuxième fois en deux mois qu’ils descendent dans la rue pour réclamer la restitution par la Belgique du corps de Patrice Lumumba, héros de l’indépendance congolaise assassiné. Début octobre, ils avaient posé un cercueil vide devant la représentation diplomatique belge. Ils ont profité de la visite du ministre belge des Affaires étrangères à Kinshasa pour renouveler le même message.

«J’ai constaté ce matin que toutes les manifestations n’étaient pas interdites», a ironisé le chef de la diplomatie belge, Didier Reynders, présent à Kinshasa le 27 novembre pour l’inauguration de la nouvelle ambassade de son pays dans la capitale congolaise.

Aucun officiel congolais n’a fait le déplacement, mais une centaine de manifestants se sont invités à la cérémonie pour réclamer «la justice au sujet de l’assassinat de Patrice Lumumba», héros de l’indépendance congolaise, assassiné en 1961.

«Belgique assassin… Belgique Assassin», scandaient les manifestants. Ils se réclament d’une association congolaise dénommée Lisanga Lumumba.

«On a vu un Belge brandir la dentition de Lumumba à la télévision en affirmant qu’il détient deux dents de Lumumba. Avoir les dents, cela signifie avoir aussi tout le reste du corps. C’est pour cela que nous sommes venus réclamer auprès des Belges le rapatriement du corps de Lumumba. Il a été prouvé que les Belges ont bel et bien assassiné Patrice Lumumba», explique un manifestant à la BBC.

— bbcafrique (@bbcafrique) 27 novembre 2017

Gérard Soete, le «fossoyeur» belge de Lumumba
L’homme dont il est question est un ancien commissaire de la police belge dénommé Gérard Soete. Après avoir gardé le secret durant quarante ans, il avait avoué dans un documentaire diffusé à la télévision, avoir, avec l’aide son frère, découpé à la scie et dissous dans l’acide le corps de Patrice Lumumba.

«Il ne fallait pas que les partisans de Lumumba trouvent une tombe où venir en pèlerinage. Je devais me débrouiller tout seul. Des autorités belges étaient sur place. Elles ne m’ont pas dit de ne rien faire», avait-il précisé, avant de révéler un autre secret. Il avait affirmé avoir gardé en souvenir, des dents arrachées à la mâchoire du leader congolais assassiné.

«Les deux dents de Lumumba? Je les ai longtemps gardées, mais… je les ai jetées dans la mer du Nord, elles sont maintenant à dix milles de la cote. Personne ne les retrouvera plus jamais», avait-il révélé dans une interview à l’AFP le 15 mai 2001

Son témoignage repris dans le film de Michel Noll – Une mort de style colonial, l’assassinat de Patrice Lumumba  avait suscité un tollé à Kinshasa mais aussi en Belgique où une commission d’enquête parlementaire avait été mise en place pour éclaircir l’implication éventuelle des responsables belges dans ce crime. Les conclusions de l’enquête n’ont abouti à rien de concret.

Aujourd’hui, aucune trace d’éventuels restes du leader congolais assassiné n’a jamais été trouvée depuis le témoignage de celui qui affirme l’avoir fait disparaître.

Interpelé à Kinshasa par les jeunes de l’association Lisanga Lumumba, le chef de la diplomatie belge, Didier Reynders, a tenté de les rassurer sur la volonté de son pays de poursuivre le dialogue sur cette délicate question. Il a indiqué que son ambassadeur prendra contact avec leurs représentants.

Interrogés par le correspondant de la BBC à Kinshasa, les manifestants assurent qu’il n’y a aucune manipulation derrière leur action qui vise à obtenir la justice sur l’assassinat de Patrice Lumumba. Un message destiné à ceux qui voient derrière leur démarche la main du pouvoir congolais dont les relations avec la Belgique ne cessent de se déteriorer.

Martin Mateso

Source : Géopolis 28/11/2017

Actualité International, Rubrique AfriqueEn Afrique, le retour des présidents à vie, rubrique RDC,Transition à haut risque en RDC. Omniprésence des intérêts étrangers, Joseph Kabila, Mobutu light ?, rubrique Congo Brazaville,