«Les forêts natales», quand l’histoire de l’art s’intéresse enfin à l’Afrique

 Statuette de gardien de reliquaire présentée dans l'exposition «Les forêts natales, arts d'Afrique équatoriale». Pièce en bois (recouvert de cuivre et de laiton), fabriquée au sein de la population Kota au XIXe siècle.  © Musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain


Statuette de gardien de reliquaire présentée dans l’exposition «Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale». Pièce en bois (recouvert de cuivre et de laiton), fabriquée au sein de la population Kota au XIXe siècle. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

«Les très grands sculpteurs sont africains», lit-on à l’entrée de l’exposition « Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale atlantique » au musée du quai Branly à Paris. De fait, on y montre les grands talents des créateurs des statuettes et masques présentés. Ainsi que les nombreux styles artistiques de la région du XVIII au XXe. Rencontre avec le commissaire de l’exposition, Yves Le Fur.

L’Afrique équatoriale atlantique, vaste aire culturelle qui comprend la Guinée équatoriale, le sud du Cameroun, le Gabon et l’ouest de la République du Congo, offre des styles d’une grande variété, qui changent considérablement d’une région à l’autre. Il suffit de comparer les statuettes d«ancêtres, gardiens de reliquaire» Fang et Kota, objets fabriqués à quelques centaines de kilomètres les uns des autres. Les premiers sont de mystérieuses statues en bois sombre, les seconds de très géométriques figures en bois recouvert de métal importé (cuivre et laiton notamment). Ces deux variétés d’objets ont le même usage. Mais ils n’ont stylistiquement  rien à voir.

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Un détail incroyable: nombre de pièces Fang… suintent au sens littéral du terme! Cette «patine suintante (…) accentue l’effet de brillance», explique un panneau de l’exposition. Le phénomène, qui continue à être étudié par les scientifiques, s’explique par l’application d’une couche de 15 à 50 mm d’huiles végétales imprégnées dans le bois des statues. «C’était le moyen de revivifier les ancêtres, de montrer leur vitalité», commente Yves Le Fur, commissaire de l’exposition et directeur du patrimoine et des collections du musée du quai Branly. Certaines statuent suintent ainsi depuis plusieurs siècles…

A noter aussi que certaines de ces statues sont grattées par endroits, preuve qu’elles ont fait l’objet de prélèvements rituels. Les descendants y prélevaient symboliquement la puissance et l’efficacité des pouvoirs de leurs ancêtres. Le bois prélevé servait ensuite pour la fabrication de médicaments.

Le visiteur admirera aussi la grande variété des masques. Dont certains, d’origine Punu, ressemblent à s’y méprendre à des objets… asiatiques. «A une époque, le bruit a même couru que dans le passé, un bateau, chargé de masques japonais , avait coulé dans l’Atlantique, au large des côtes de l’Afrique équatoriale!», raconte Yves Le Fur. De la naissance d’une légende qui n’a, évidemment, aucun fondement scientifique…

Masque en bois peint de la communauté Punu datant du début du XXe siècle. Origine: le Gabon. Ces masques manifestaient la présence des défunts dans un village à l'occasion de certaines activités religieuses ou juridiques. © Musée du quai Branly - Jacques Chirac; photo Thierry Ollivier-Michel Urtado

Masque en bois peint de la communauté Punu datant du début du XXe siècle. Origine: le Gabon. Ces masques manifestaient la présence des défunts dans un village à l’occasion de certaines activités religieuses ou juridiques. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac; photo Thierry Ollivier-Michel Urtado

Entretien avec Yves Le Fur

Pourquoi avoir donné à l’exposition le titre «Les forêts natales»? Il n’y est pas vraiment question de forêts…
L’Afrique équatoriale atlantique couvre majoritairement le Gabon. Mais elle s’étend aussi sur trois autres Etats. Le titre de l’exposition ne pouvait donc pas porter uniquement sur le Gabon. Par ailleurs, cette région a connu des mouvements de populations depuis au moins trois siècles. Dans cet espace-temps, il y a ainsi une histoire, artistique notamment, que l’on ne peut pas résumer simplement. Pour la raconter, il convient d’adopter la démarche de l’histoire de l’art en montrant qu’à l’intérieur de la période, il y a un ensemble de styles différents.

Dans ce contexte, je n’ai pas voulu donner un titre particulier et réducteur. On l’a donc transposé sur Apollinaire et son poème Les fenêtres, publié en 1913:
«Du rouge au vert tout le jaune se meurt
 Quand chantent les aras dans les forêts natales».

Apollinaire est l’un des premiers en Occident à avoir considéré ces objets comme des œuvres d’art.

«Forêts natales», c’est un titre à tiroirs, qui botte un peu en touche. Il fait référence à la forêt équatoriale, d’où viennent les esprits, le surnaturel. Mais aussi au bois des statues et des masques. Un bois qui sert aussi pour la fabrication de médicaments.

 

 Statuette de gardien de reliquaire fabriquée au sein de la communauté Kota, en bois recouvert de cuivre et de laiton. Œuvre datée du XIXe siècle.   © Musée du quai Branly - Jacques Chirac; photo Patrick Gries-Valérie Torre

Statuette de gardien de reliquaire fabriquée au sein de la communauté Kota, en bois recouvert de cuivre et de laiton. Œuvre datée du XIXe siècle. © Musée du quai Branly – Jacques Chirac; photo Patrick Gries-Valérie Torre

Quel est l’objectif de cette exposition ?
Il s’agit de se démarquer d’autres expositions d’art africain qui n’abordent la question que sous un aspect ethnographique et esthétique. Là, j’ai voulu mettre ces objets au même niveau que ce que l’on fait, par exemple, naturellement pour la sculpture romane: cela ne choque personne d’y distinguer des évolutions stylistiques et des styles régionaux. On le fait déjà pour l’art asiatique, la sculpture khmère, par exemple. Mais la démarche est plus rare pour l’art africain. Et pourtant, là aussi, à l’intérieur de chaque groupe, il y a des variations stylistiques. On constate que les sculpteurs ont une certaine liberté pour caractériser leurs créations.

Il s’agit ainsi d’installer l’Afrique dans une histoire longue. On connaît Lucie. Mais après, on dénie au continent les civilisations qui se sont succédé sur son sol. Les Portugais sont arrivés sur les côtes de l’Afrique équatoriale au XVe siècle. Mais c’est seulement au XIXe siècle, du temps de Brazza, que les Européens ont exploré l’intérieur de la région.

Aujourd’hui, on avance petit à petit dans la reconnaissance des arts dits «primitifs». Le mouvement a débuté au début du XXe siècle avec Picasso, Derain, Braque. Il s’est poursuivi dans les années 50. Puis le marché a commencé à reconnaître l’intérêt de ces arts. La prise de conscience a été facilitée par la masse des objets présents dans les collections des missions religieuses et particulières. En Europe et aux Etats-Unis, ces collections abritent ainsi quelque 4000 objets Fang et 6000-7000 pièces Kota. Ce qui constitue un corpus très important pour les étudier.

Masque, originaire du Gabon ou de la République du Congo, daté du XIXe ou début du XXe siècle, sans certitude. Bois et pigments. © Musée Barbier-Mueller 1019-15, photo studio Ferrazzini-Bouchet

Masque, originaire du Gabon ou de la République du Congo, daté du XIXe ou début du XXe siècle, sans certitude. Bois et pigments. © Musée Barbier-Mueller 1019-15, photo studio Ferrazzini-Bouchet

Vous expliquez que les migrations bantoues dans la région depuis les XVIe et XVIIe siècles sont à l’origine de «multiples contacts, emprunts, influences». Comment l’avez-vous montré dans l’exposition?
Les sculpteurs de la région étaient très créatifs et ont produit de très nombreux objets. On ne pouvait pas tout exposer. Alors, pour montrer les variations stylistiques, il était plus intéressant de se concentrer sur les statues et les masques.

Ces statues étaient reliées au culte des ancêtres. Elles avaient pour fonction de garder des reliquaires, où l’on conservait des ossements d’aïeux. Ces reliquaires, gardés dans des lieux secrets, concernaient donc l’intimité des individus.

A l’inverse, les masques, qui exprimaient les nombreux aspects de la vie spirituelle, concernaient les affaires de toute la communauté, son visage. C’est sur les masques que les résultats des échanges culturels sont particulièrement visibles. Alors que l’on ne sait pas comment ces échanges se sont produits. Ces objets étaient fabriqués par des artistes qui étaient davantage considérés comme des artisans. Même s’ils étaient initiés.

Laurent Ribadeau Dumas

 

Les forêts natales, arts d’Afrique équatoriale atlantique jusqu’au 21 janvier 2018  Paris Musée du Quai Branly

Source Géopolis 11/11/2017

Voir aussi :  Rubrique Afrique, rubrique Expo, rubrique Art,

Evel Knievel contre Macbeth un didactitiel

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Théâtre
Rodrigo Garcia signe sa dernière création Evel Knievel contre Macbeth au CDN hTh à Montpellier. Une tentative de penser le monde actuel qui  nous met sur les traces d’un sacré qui nous échappe.

Il est grand Orson Welles avec une figure décharnée et tragique. Il a les yeux fixes, ceux de celui qui continue de se prendre pour son personnage de Macbeth. C’est un risque bien connu pour les comédiens ça. Mais là, c’est une fiction de Rodrigo Garcia. Il vaut donc mieux tenter de donner quelques repères au spectateur pour éviter qu’il ne sorte en se disant c’est n’importe quoi, ce type est encore en train de se foutre de notre gueule, surtout à Montpellier. On s’excuse d’avance pour l’usage des quelques mots grossiers qui vont suivre.

Alors dans cette histoire, Orson Welles a les yeux fixes, au point où l’on se demande s’ils sont artificiels, on dirait qu’ils sont en verre. C’est un comédien devenu tyran qui s’est emparé du Brésil, en gardant son costume de Macbeth. Ce qui peut aider quand on veut rétablir l’esclavage. Il ne remue pas. Il reste immobile, parce qu’il sent bien, le monstre, qu’il se trame quelque chose dans son dos…

Dans les spectacles de Rodrigo Garcia c’est toujours le foutoir, parce qu’il a plein de choses à dire, qu’il exprime librement en ayant recours à différents registres : critique, plastique, émotif, poétique, corporel… D’où l’importance du procédé narratif qui dans cette pièce est, contrairement aux apparences, pleinement maîtrisé. Rodrigo Garcia procède par collage un peu comme un DJ qui utilise des samples d’un morceau original et les remixe pour construire sa propre langue.

Reprenons le fil de l’histoire. Les soupçons des tyrans que l’on assimile souvent à de la paranoïa sont la plus part du temps justifiés. En effet, Ultraman et Neronga qui n’ont aucun lien de parenté avec Gozilla, même lointain, ont fait le voyage de Tokyo pour en découdre. Il viennent combattre le tyran Orson dans son sacré pays de pouilleux, au côté de leur ancien ennemi, le motard cascadeur américain Evel Knievel. Lui, c’est un vrai héros, qui se relève toujours quand il prend une gaufre pour le réaffirmer. Mais on se demande quand même s’il n’est pas venu déloger Macbeth à coup de pied au cul pour prendre son trône. Parce que c’est un américain, un vrai moraliste sans éthique.

Derrière il y a l’écran sur lequel défilent des images, du texte, des morceaux d’histoires. Devant, un grand espace, où deux femmes et un gosse font parler leur corps, jouent, se battent, font de la musique, parlent en anglais et en espagnol.

Dans le public, les grosses têtes chauffent comme des marmites pour dénicher le mythe qui se cache dans ce cortège absurde et cruel. Plus on avance dans l’espace et le temps plus la composition prend forme, avec une grande inventivité.

Le problème de Rodrigo, il le dit, c’est  qu’une fois écrit il ne sait ce qu’il va faire de son texte. Là, il essaye plein de trucs géniaux pour le mettre en scène. Mais comme le sens du texte c’est le non sens qui dit la vérité. On se perd un peu, surtout quand le texte fait l’amour avec le plateau.

Le théâtre de Rodrigo Garcia met à nu, c’est le théâtre de tous les dévoiement, y compris ceux de l’engagement et de la foi politique dont les travers sont dénoncés. Comme nous sommes les complices de cette grande mascarade. Ça fait pas toujours plaisir de sentir que nous sommes des êtres de violence, souvent stupides, de plus en plus stupides. Mais bon ça libère, et la fin, on comprend de quoi parle la pièce. Elle dit notre renoncement vertigineusement pathétique.

Jean-Marie Dinh

Evel Knievel contre Macbeth Le 21 et 23 nov au CDN hTh

Source La Marseillaise 18/11/2017

Voir aussi : Rubrique Théâtre, rubrique Montpellier,, rubrique Rencontre,Rencontre croisée Jean-Paul Montanari Rodrigo Garcia,

ZAL. La couleur directe de l’univers des auteurs

Natyot ouvre le bal de la ZAT

Natyot ouvre le bal de la ZAT

Littérature
La Zone d’Autonomie Littéraire (ZAL) ouvre son territoire aujourd’hui à Montpellier salle Pétrarque de 14h30 à 23h

En matière littéraire, il y a un degré, un paroxysme de tension que l’on ne parvient pas toujours à dépasser.  La frontière entre l’auteur et son lecteur qu’il faut avoir franchi, pour s’émanciper une bonne fois pour toute des cadres bourgeois du roman du XIXe siècle   et remodeler une dimension fertile de la littérature.

« L’idée de la Zone d’Autonomie Littéraire,  est  de proposer une mise en scène du texte à travers une restitution événementielle de la littérature, explique Renaud Vischi, un des membres fondateurs, Ces formes de rencontres entre les auteurs et leurs lecteurs sont plus nourrissantes que lorsqu’on installe des écrivains à une table derrière des piles de livres

Alors,  se rendre à la ZAL, c’est comme si nous nous jetions par dessus bord, affrontant sans scrupule et sans honte le spectre que nous continuons à orner de fleurs rhétoriques à l’occasion des remises de prix littéraires. Ce que parvient à démontrer cette initiative qui célèbre cette année sa 7e édition, c’est que non seulement les livres et les auteurs existent hors des sentiers traditionnels de l’édition, mais aussi les lecteurs ; qui parlent, pensent, et s’amusent en dehors des lignes comptables recensant les chiffres de vente.

« L’ambition de la ZAL est de populariser une forme  innovante, conviviale et décomplexée parmi les manifestations littéraires. A la ZAL, les auteurs mettent leurs écrits en scène et livrent, au public, via une lecture augmentée ou nue, performée ou non, la couleur directe de leur univers. A la ZAL, un grand bar délie les langues et quelques stands triés sur le volet proposent des objets littéraires non identifiés et des livres rares. »

Innovation des formes
Performance lecture, lecture musicale, théâtralisée, poétiques, des alliances se tissent au grès d’un enchaînement de courtes présentations. L’exercice proposé aux écrivains, de parvenir à restituer le mieux possible l’univers de leur texte, est une forme de défi.

« Tous les auteurs ne sont pas prêt à monter sur scène, indique Renaud Vischi, L’année dernière, Perrine Le Querrec s’est mise dans la peau d’un metteur en scène en faisant lire son texte à une comédienne tout en assurant la direction d’acteur. Le cadre reste propice à l’innovation. Il peut aussi offrir des débouchés potentiels aux auteurs qui expérimentent d’autres types d’interventions que les traditionnelles séances de dédicace.« 

L’idée séduit, de Paris à Marseille, de Nantes à Toulouse, les auteurs qui seront présents à Montpellier arrivent des quatre coins de l’hexagone. D’année en année, la manifestation rayonne de plus en plus au niveau national. « Nous intervenons sur différents réseaux aux sein des communautés culturelles pour programmer les auteurs dans un souci de mixité  explique Renaud Vischi également impliqué dans la revue Squeeze, une publication périodique de textes d’auteurs qui propose des contenus littéraires en ligne en format court. La revue compte une moyenne de 3 700 lecteurs par numéro.

« La ZAL porte l’esprit littéraire de demain, soutiennent les organisateurs, celui d’un monde où tout à chacun pourrait entrer dans les livres comme dans une salle de cinéma.» Ce qui peut s’entendre, dans le cadre des ZAL qui ajoutent au texte la corporalité de l’objet, en rajeunissant sérieusement le public des manifestations littéraires.

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Auteurs programmés  Natyot Raymond Penblanc, Frifo-Maudit, Pierre Tilman, Murièle Modèly, Rémi Checcchetto ÉMI  , Jean Azarel (Spoken Words Music), Laurent Buisset, Schultz et Èlg (Conférence mutante & et poésie régressive), Raphaëlle Bouvier, Tristan Felix  (Animale poésie), Cie Jow Blob (Ciné-concert-blagues), Isabelle Simon, , Bololipsum (Live electro bricolé).

Source La Marseillaise 18/11/2017

Voir aussi Actualité Locale : rubrique Livre, LittératureFormes littéraires non identifiées, Poésie rubrique EditionEditions Espaces 34,   rubrique Théâtre, rubrique Montpellier,

Simon Starling et Maxime Rossi contre les fantômes au MRAC

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Simon Starling et Maxime Rossi à découvrir au MRAC.  Un reflet des temps nouveaux qui tisse des liens alternatifs avec le monde d’hier pour que le courant passe entre les cultures.

Plus qu’un simple reflet du passé, les deux artistes présents au Musée Régional d’Art Contemporain (MRAC) de Sérignan proposent un flirt poussé avec la machine. Ils usent tous deux d’un parcours musical, comme si la meilleure façon de conserver un moment qui semble révolu était de la placer dans l’actualité, dans un temps habité de son et de silence.

« Le travail de Maxime Rossi se plait à convoquer des icônes musicales qui peuplent notre imaginaire collectif « , souligne  Sandra Patron, la directrice du MRAC qui assure le commissariat des deux expositions. Né en 1980 l’artiste parisien dont le travail a été présenté au Palais de Tokyo, au Museo Madre de Naples  ainsi qu’à la Biennale de Sydney en 2014, a conçu Chrismas on Earth Continued spécifiquement pour le MRAC. L’installation s’inscrit dans la lignée du travail que développe l’artiste autour du rapport émotionnel que la musique engage avec le spectateur, des procédés scéniques, et des techniques de sample.

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Chrismas on Earth Continued

Thriller psychédélique
Chrismas on Earth (1963) est l’unique film achevé de la figure légendaire de l’underground américain, Barbara Rubin, inspirée du recueil de poèmes Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud. Une ode à la jeunesse et à ses tourments, au sexe et au Rock’n roll… Dans son installation, Maxime Rossi évoque cet événement qu’il  juxtapose avec le festival Chrismas on Earth continued qui eut lieu en 1967, au cours duquel Pink Floyd reprit le fameux morceau Louie Louie.

« J’ai cherché à faire des connexions entre ces deux événements au coeur de la contre culture des années 60, explique Maxime Rossi, si le festival resta dans les mémoires comme un naufrage commercial, financier, et artistique avec la déchéance physique de Syd Barret et d’Hendrix, il fut aussi l’objet de manipulations politiques. Dans un moment d’intense paranoïa aux Etats-unis, lié au contexte de la guerre froide,  les paroles de la chanson Louie Louie étaient vécues par le FBI comme un vecteur de pornographie. Ce qui n’était pas le cas, mais les agents du FBI ont passé des mois à chercher et retourner le texte de la chanson dans tous les sens pour y trouver un sens obscène. Tant et si bien que face à leur insuccès ils ont fini par inventer des paroles violentes

L’installation invite à une immersion corporelle dans un vaste espace sombre, où se mêlent faits réels, rumeurs colportées et faits alternatifs. Le visiteur pénètre dans un monde hallucinatoire qui reste cependant très référencé. La musique et les images sont mixées dans un système de rotation aléatoire sans fin et sans répétition. L’artiste ayant confié l’écriture spatiale et de sa partition à un ingénieur chargé de la finaliser avec la création d’un algorithme. « Quand on évoque l’époque psychédéliques, on pense souvent à des personnes défoncées mais c’est aussi une esthétique, une présence vague, une chose qui module sans cesse…»

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Simon Starling Photo Jmdi

Ghost stories
L’artiste anglais Simon Starling centre depuis vingt ans son oeuvre sur l’histoire dont il revisite les formes et la façon dont elles mutent à travers les époques et les cultures. Le MRAC propose quatre de ses derniers projets sous le titre A l’ombre du pin tordu.

Au XVIII e siècle l’inventeur Joseph Marie met au point les premières cartes perforées pour les métiers à tisser technique reprise au milieu du XIX par Charles Babbage pour la conception des premiers ordinateurs. Simon Starling qui a du nez, découvre à Turin dans une fabrique de textile un piano et une partition en hommage au son produit par les machines à tisser. De là naîtra  Red Green Blue, Loom music en 2015 à découvrir au 1er étage du MRAC.

Le deuxième projet présenté réinvestit la pièce At the Hawk’s Well montée par le poète dramaturge irlandais W.B Yeat au coeur des horreurs de la Grande guerre. Dans cette pièce se croisent le folklore Irlandais, le mouvement moderniste occidental et le Théâtre Nô. Cette fusion, issue de multiples collaborations inspire At Twilight (au crépuscule). Simon Starling rejoue la vive dramatisation du théâtre Nô en offrant une représentation saisissante des êtres présents qui infusent nos actes et nos pensées.

Avec El Eco, l’artiste nous entraîne au musée de Mexico City où une fresque murale réalisée en 1953 rend hommage à la fête des morts. Une réflexion sur le temps qui passe à travers un saisissant aller-retour entre passé et présent.

Le parcours se conclue en musique avec The Liminal Trio Plays the Golden Door, une installation qui imagine la rencontre possible entre trois musiciens migrants qui ont débarqué d’Europe à Elis Island aux Etats-Unis au début du XXe siècle. Un travail d’une grande force et d’une absolue poésie.

 Jean-Marie Dinh

Au MRAC Occitanie à Sérigan jusqu’au 18 mars 2018.
Rens : 04 67 32 33 05

Source : La Marseillaise 07/11/2017

Voir aussi : Actualité Locale, Rubrique Art, Art contemporain, La cosmologie Kiefer, Keith Haring, L’art on the beat, Leila Hida, Nicolas Fenouillat, rubrique Exposition,

Rencontre croisée Jean-Paul Montanari Rodrigo Garcia

Jean-Paul Montanari et Rodrigo Garcia. Photo JMDI

Jean-Paul Montanari et Rodrigo Garcia. Photo JMDI

Par Jean-Marie Dinh

Petites collisions entre têtes chercheuses

Jean-Paul Montanari qui va bientôt fêter ses 70 ans, est directeur du festival international Montpellier Danse dont il assume la responsabilité depuis 1983 avec puis sans ses fondateurs, Georges Frêche pour le politique, et Dominique Bagouet pour l’artistique. Depuis l’éclosion de la danse contemporaine en France, au début des années 1980,  il traque les évolutions de l’art chorégraphique. Son nom est indissociable du développement culturel de Montpellier.  Il a toujours soutenu la création.

Né à Buenos Aires en 1964, Rodrigo Garcia est un artiste de la désacralisation dans la lignée de Heiner Müller. Il consacre son écriture au théâtre qu’il met à l’épreuve du temps présent en faisant exploser les codes traditionnels de l’espace théâtral. Sa réflexion n’est pas cynique, elle déroule le scénario de tous nos renoncements. Sa langue et sa pratique du plateau le portent comme une des voix qui renouvellent la scène européenne.

Rodrigo Garcia a été nommé directeur du CDN de Montpellier qu’il  a rebaptisé «hTh», pour la référence nietzschéenne à Humain trop humain. Il quittera Montpellier à la fin de l’année au terme d’une mandature unique boudée par les enseignants, les élus et les médias locaux.

Simple présence

Cet entretien croisé et informel avec deux figures de la culture montpelliéraine qui n’ont plus rien à prouver, apparaît comme une forme de préavis au désordre ambiant. Jean-Paul Montanari et Rodrigo Garcia s’expriment dans le bureau où il se sont rencontrés la première fois il y a quatre ans pour évoquer un bout de chemin parcouru ensemble, et confronter leur regard sur la danse et le théâtre d’aujourd’hui.

Tout deux s’émancipent de la culture au sens où l’entend Jean-Luc Godard : « La culture c’est la règle, l’art c’est l’exception.» Ce que l’on apprend parfois à nos dépens lors d’un spectacle vivant mais qui offre aussi la garantie d’un égal accès à tous, par la simple présence corporelle.

 » LES CHOSES QUE NOUS AVONS A FAIRE…SOUTENIR LA CREATION SAUVAGE « 

Entretien
La rencontre entre Rodrigo Garcia  et Jean-Paul Montanari  a lieu la veille de la pièce de Boris Charmatz  «Danser la nuit» donnée dans la rue à Montpellier. Rodrigo arrive de Madrid, où il a vu avec inquiétude des drapeaux flotter aux fenêtres, il est en pleine phase de création...

Dans quelles circonstances vous êtes vous rencontrés pour la première fois ?
R.G. Je m’en souviens parfaitement. C’était lorsque je me suis retrouvé sur la short list au moment des nominations. J’ai pris ma voiture depuis les Asturies, je suis arrivé jusqu’ici. Il fallait que je rencontre plusieurs personnes parmi lesquelles ce monsieur. Je me souviens aussi de la rencontre avec François Duval (conseiller DRAC). Après coup, ça s’est très bien passé avec lui, il m’a beaucoup épaulé, mais au début il m’a dit: «Toi, tu vas venir au CDN, c’est une blague ou quoi ! » A l’inverse, Jean Paul m’a dit : cela serait merveilleux si tu étais là.

J.-P.M. Il y avait ces deux visions. D’un côté la vision politique et sociale, avec la difficulté, croyait-on, d’absorber un artiste pareil, et de l’autre,  le moment jouissif d’apprendre qu’un tel artiste pouvait venir dans la ville. Deux aspects que Rodrigo incarne à travers son travail et sa personnalité.

Et aujourd’hui quel regard portez-vous mutuellement l’un sur l’autre ?
R.G. Au moment de notre rencontre il y a eu une tornade. J’ai appris dans le journal que le maire pouvait  écarter Jean-Paul.

J.-P.M. Tu as raison (Rires). C’est la pure vérité. Entre temps, de l’eau a coulé sous les ponts et aujourd’hui la situation n’est heureusement plus la même. Les choses que nous avons à faire ensemble ont toujours été claires, c’est le soutien à la créativité, la plus sauvage…pourrait-on dire. C’est-à-dire, la moins convenue, la plus vraie possible. Il existe une complicité entre lui et moi qui fait que par exemple, j’ai follement envie de programmer des gens comme Steven Cohen, ce genre d’artistes, les plus pointus… Ceux qui vont le plus loin dans leur expérience personnelle.

Et qui sont, la plupart du temps, les plus destructeurs de liens. Nous avons ce point là en commun. J’ai appris il y a longtemps l’opposition profonde qui existe entre l’art et la culture. La fonction de l’artiste dissout le lien social, elle renvoie l’individu à lui-même, alors que la culture fait exactement le contraire. Elle relie les gens les uns aux autres, le monde aux individus… C’est dans cette tension que notre histoire se fabrique. Si un des deux pôles est abandonné on est foutu, mais si l’on sait tenir les deux pôles en même temps, alors on arrive peut-être à construire quelque chose.

R.G. L’important c’est de soutenir des artistes qui développent un langage personnel. Il ne s’agit pas simplement de radicalité ou de trash. Il ne faut pas confondre. Moi je n’aime pas la violence. Dans ce domaine de l’art révolutionnaire, nous avons tous deux soutenu des artistes confirmés comme Jan Fabre et des nouveaux, la jeune génération, comme Luis Garay.

Peut-on parler d’enrichissement réciproque à propos de votre relation ?
J.-P. On est plus dans la complicité. J’ai toujours accepté ce qu’il pouvait dire, parce que c’est lui l’artiste. Moi je ne suis là que pour faire marcher la machine. Je suis le plus ancien dans cette relation aussi, le plus solide parce que je m’appuie sur une expérience, une longue présence dans la ville, sur des budgets consolidés, Alors que quand Rodrigo est arrivé, il ne connaissait pas la ville. C’était à moi d’aller vers lui, de l’accueillir, à moi de lui dire : viens, on va faire un bout de chemin ensemble, tu peux compter sur moi dans tes expériences les plus folles, les plus radicales.

Pour les propositions qui sont assez avancées, c’est bien d’être deux, pour additionner nos puissances de communication, nos publics et nos financements. On est plus fort ensemble. Cette année, nous co-accueillons Boris Charmatz pour un spectacle de rue, la dernière création de Jan Fabre et celle de Raimund Hoghe.

On vous qualifie d’écrivain de plateau, en rupture avec la tradition française très texto-centrée. Travailler le plateau comme vous le faites englobe à la fois la fonction d’auteur et de metteur en scène…
R.G. La question tombe à pic parce que j’ai passé la matinée à me battre contre mon texte. Je travaille beaucoup sur mon matériel textuel et le problème de ma vie, celui de tous les jours, est de savoir ce que je fais de ce texte. Il peut, éventuellement être bien écrit, mais qu’en faire sur scène ?  (soupirs renouvellés)…

A un moment, je te jure que je me suis même dit : je vais faire la pièce que je veux sur la scène et puis j’écrirai un petit texte que je photocopierai pour le distribuer au public. Parce que je ne suis pas capable de porter mon propre texte à la scène. Mais ce n’est pas un problème nouveau, cela fait trente ans que c’est comme ça. Le théâtre, ce n’est pas la littérature.

Silence…
J.-P.M. J’aurai passé plus de cinquante ans de ma vie à écouter ce silence là. Je suis très très ému d’entendre un artiste parler de sa matière comme ça… Pour moi, il n’y a que ça qui compte. Dans ma vie, il n’y a rien d’autre. Ni les budgets, ni rien du tout. Il n’y a que la question de cet acte irrépressible qu’est l’acte artistique…

Après on est plus ou moins malin, on cherche des budgets, on séduit les politiques, on dit des choses intelligentes aux journalistes etc… Mais tout ça, c’est juste pour le reste. Il n’y a que ça. Donc, si on est complice, vous entendez ce silence ..? Et bien, c’est ce silence qui est plus important que tout.

Au moment où les genres artistiques s’affranchissent pour rejoindre la scène, le décloisonnement semble profiter davantage au théâtre qu’à la danse…
J.-P.M. Lorsque  le festival de danse a été créé, il y a un peu plus de trente ans, c’était la danse qui était porteuse de modernité sur les arts de la scène. Les Américains avaient défriché un énorme champ, une nouvelle génération se levait en France…  Bref,  c’était une période où les idéologies étaient très en retrait. Durant les années post 68, elles ont reculé au profit de choses plus individuelles, plus axées sur des questions autours du corps.

Et je pense sincèrement que depuis quelques années, qui correspondent à un retour radical du politique, le balancier est reparti dans l’autre sens. C’est dorénavant sur les scènes de théâtre que se règlent les choses de la modernité. De Rodrigo à Castellucci en passant par Ostermeier et d’autres, le théâtre est redevenu porteur de la réalité comme il avait pu l’être à une certaine époque.

La danse est plus consensuelle, elle est devenue grand public. Aujourd’hui, c’est au théâtre que les formes se mêlent. Rodrigo en est un exemple, il évoque sans arrêt la question du corps du désir. C’est pour cela qu’il est très intéressé par la danse tout en continuant à écrire et en faisant du théâtre à partir de ces matériau-là.

Comment appréhendez-vous la place du corps sur la scène ?
R.G. Mon rapport à la place du corps sur scène a à voir avec mes souvenirs d’enfance. J’ai grandi dans une banlieue de merde. Du coup, les corps que je voyais. C’était des corps avec des cicatrices, parce que les enfants ne mettaient pas de protection pour faire du vélo. Des corps forts aussi, des corps qui doivent charger des poids lourds, ou des corps déformés par la mauvaise qualité de la nourriture. Les gens mangeaient du riz, des patates, des choses grasses. Et quand je vois un corps sur scène, j’aime voir quelque chose qui me rappelle tout ça.

Où avez-vous grandi ?
R.G. Dans une petite banlieue en Argentine, presque une favela qui s’appelait Grand bourg, un nom français qui laissait entendre que c’était chic. En réalité c’était une forme de favela horrible avec des maisons en carton. A 45 minutes en train de Buenos aires dans la grande banlieue. J’habitais là c’était hyper dur. J’évoque des choses négatives mais je peux aussi parler des corps quand on jouait au foot sous la pluie. On aimait jouer dans la boue, ça aussi j’aime toujours, ce sont des choses qui apparaissent dans mes pièces. Je n’ai pas un rapport intellectuel au corps. Je fais appel à ma mémoire.

Le corps artistique dans l’espace public prend-t-il une autre dimension notamment parce qu’il peut contraster en tant que corps singulier avec le corps social ?
J.-P.M. C’est une question qu’il faut poser à Boris Charmatz. Moi, je reste attaché au travail sur le plateau, aux gens assis dans la salle avec la lumière qui baisse pour monter sur le plateau. Ce sont des rites ancestraux et archaïques auxquels je tiens beaucoup. Mais d’autres en ont décidé autrement et notamment Boris. Il pose un certain nombre de questions autour de la notion d’oeuvre, la notion d’espace y compris la nuit tombée. Ce sont les danseurs qui portent la lumière et qui se déplacent dans les espaces urbains suivis par les « spectateurs » qui eux-mêmes font partie de l’image du spectacle puisqu’ils sont dans le champ et pas à l’extérieur.

R.G. Je partage en partie ce que vient de dire Jean-Paul parce que moi en tant qu’artiste j’ai besoin de la salle et dans ce sens là, je suis classique. Je pense que pour Boris, le fait de sortir dans la rue est quelque chose de très important. Du point de vue de sa propre trajectoire artistique.

Qu’est ce qui fait la pertinence d’une création dans notre société aujourd’hui ?
J.-P.M. Quand à un certain moment devant une œuvre, on ne regarde plus le monde de la même manière. Lorsqu’on constate en sortant que le monde a changé. Cela veut dire que l’oeuvre était exactement au bon endroit pour produire une modification du regard sur le réel.

R.G. Je n’ai jamais pensé aux conséquences que pouvait avoir mon œuvre. J’ai simplement la nécessité de faire. J’éprouve beaucoup de  plaisir à faire ça. Ensuite ce qui se passe, je ne sais pas. Chacun cherche une façon de vivre. Une façon de continuer à être vivant. Si je ne trouve pas quelque chose qui m’enthousiasme, je ne veux pas vivre. Il y a un moment pour faire la pièce, pour la créer. C’est ce moment qui me fait vivre.

Source : La Marseillaise 07 octobre 2017

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