Les réalisateurs turcs exportent leurs richesses

L’esthétique soignée de my Only Sunshine introduit une belle fluidité dans les images.

Le Cinemed figure depuis longtemps comme une escale de choix pour le cinéma turc d’auteur. Le festival de Montpellier a largement contribué à la reconnaissance d’un cinéma de qualité très diversifié dans son mode d’expression. Souvent présent dans le palmarès du Cinemed, le cinéma turc a été couronné à trois reprises par l’Antigone d’Or*. A l’occasion de l’année de la Turquie en France, le festival offre à nouveau cette année un riche panorama de cette richesse cinématographique avec seize longs métrages projetés.

Mardi, une table ronde consacrée au renouveau du cinéma turc a permis d’aborder les questions liées au financement et au public du cinéma d’auteur. Il n’est pas inutile de préciser que certains réalisateurs reconnus bouclent leur long métrage avec 300 000 euros. La fourchette moyenne des films turcs se situant entre 500 000 et 700 000 euros contre 4 à 8 millions en France. Conscient de la portée positive de l’exportation culturelle, le ministère de la Culture turc s’engage de plus en plus dans le cinéma. Présent sur place, le consul général de Turquie a souhaité que le public français découvre à travers le cinéma son pays « sous son vrai visage. » Les réalisateurs peuvent compter également sur un soutien du fonds européen Eurimage mais peinent malgré tout à boucler leur projet. « Il est possible de coproduire avec les pays des Balcans et d’Europe centrale. C’est beaucoup plus dur avec la France. Une foule de critères font obstacle. Il faut entre 4 et 5 ans pour monter un projet ce qui est décourageant quand on veut faire un film », explique le réalisateur Dervis Zaim.

Chacun appelle de ses vœux les conditions d’une alternative permettant de produire et de distribuer les films auprès d’un public plus large. Mais personne ne souhaite se soumettre à la tyrannie commerciale de l’industrie cinématographique. Les contraintes financières n’entament pas l’exigence artistique des réalisateurs. Tayfun Pirselimoglu s’inquiète de l’avenir tout en affirmant la prédominance de la qualité sur le succès commercial. « Un bon film finit toujours pas trouver une place dans l’histoire du cinéma. Ce qui n’est pas le cas des films qui rapportent. » Même point de vue chez Reha Erdem. « Sans vouloir me vanter je peux facilement faire un film qui fera un million d’entrées en Turquie, mais je ne veux pas faire des films fonctionnels. » Son nouveau film My Only Sunshine met en scène une jeune adolescente livrée à elle-même sur les rives du Bosphore, entre un grand-père malade et un père absent. Reha Erdem use d’un langage sensible pour aborder la notion de passage et de transformation. L’esthétique soignée introduit une belle fluidité dans les images. Mais le film n’a pour l’heure pas trouvé de distributeur en France.

Dans En attendant le Paradis Dervis Zaim joue sur la forme de la structure. Le réalisateur opte pour le cadre historique de l’empire Ottoman du XVII e. Une plongée lumineuse dans l’histoire, l’art et la géographie pour aborder la question de l’identité contemporaine turque.« A propos du renouveau turc, on ne peut pas parler d’un moule esthétique commun. Cela s’approche davantage d’une succession de vagues individuelles », précise la critique de cinéma Fatih Ozguven. Des vagues qui montent comme le devenir d’un grand cinéma.

Jean-Marie Dinh

* Le Brouillard (1989) de Zülfü Livanelli, Uzak (2003) de Nuri Bilge Ceylan lauréat de la palme d’or à Cannes la même année , et Des bateaux d’écorce de Pastèque (2004) de Ahmet Uluçay.

Voir aussi : Un cinéma entre deux mondes