L’expression qui brise la mer gelée

hero-104b-p3Si vous voulez entrer dans le monde d’un écrivain qui vous entretienne de l’écriture et des subtilités de la prose vous ne lirez pas La guerre de l’humain. A l’âge de 14 ans son auteur était apprenti coiffeur. Pat Gady a aujourd’hui 55 ans. Il est chômeur et le mot travail lui donne la nausée. « Je trouve que le travail a quelque chose de merveilleux quand on l’exerce pour s’épanouir », pense Pat Gady qui livre une réflexion méditative sur les multiples inégalités perpétuées au sein de notre système social. On est loin de l’essai sociologique mais, comme le dit le philosophe Clément Rosset « Après  une connaissance apprise auprès de quelques sommets, rien de tel, pour vous rafraîchir qu’une connaissance par les gouffres. » Cet adepte de Schopenhauer défendait aussi l’idée que le pire est la seule chose certaine, ce en quoi il se rapproche du propos de Pat Gady. Les thèmes qu’aborde l’auteur se succèdent, sous la forme d’un grand zapping : fiscalité, écologie, conditions de travail, système de santé, discrédit des discours politiques… constituent un ensemble où la cohérence est liée au vécu. Gady nous restitue un bloc d’expériences, une pensée populaire lucide et partagée peu prisée par le monde de l’édition. La missive nous arrive grâce à l’heureuse contribution d’Yvan Mécif des éditions héraultaises Rémanences.

Rien de commun dans l’œil désabusé de Pat Gady mais un sens évident de la politique au sens noble du terme. Son expression sensible sur le manque de volonté pour lutter contre la fracture sociale semble appartenir à un instant qui précède l’abandon. L’écrivain ne cherche pas à être le témoin. Il est seulement à l’écoute des mots qui tracent son avenir ou plus justement son non avenir. Selon Kafka « Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous » la note d’optimisme qui conclut le livre de Pat Gady témoigne qu’il a su s’écouter.

Jean-Marie Dinh

La guerre de l’Humain , aux éditions Rémanence

Mécif dans les traces profondes d’André Richaud

Pour commencer, il faut trouver un endroit tranquille avant d’ouvrir le livre d’Yvan Mécif sur André de Richaud. Car convenons en, comme le disait Benjamin Franklin, en matière de biographie,  » Le défaut de soin fait plus de tort que le défaut de savoir « . Vision de Richaud, comme son titre l’indique, n’est d’ailleurs pas un travail biographique. C’est un essai sur la complexité de rejoindre la réalité, l’impossibilité et à la fois, la tentation du silence. Yvan Mécif entre dans le parc sauvage, nous transportant là où l’écriture s’impose comme une seconde respiration au cœur d’une démarche ontologique. Loin des contingences et des dompteurs médiatiques qui font la vie littéraire, ce livre est une tentative pour suivre le chemin d’écriture d’un grand écrivain,  » sa géographie intérieure « .

Richaud, auteur au talent méconnu, est un enfant du Sud et de la Provence. Il naît en 1907 à Perpignan, passe une partie de son enfance à Nîmes, fait ses études à Aix et meurt à Montpellier en septembre 1968. L’écrivain n’a pourtant rien d’un auteur du terroir.  » La ville de mon enfance, je n’ai jamais su son nom. Elle est en moi comme un amas de maisons anonymes, de squares que je ne peux appeler du fond de mon souvenir. C’est pour cela que lorsque je vous entends tous parler de celle qui vous a vus petits, mes yeux deviennent vides, un peu luisants de larmes ; regard tourné vers quelques syllabes qui se refusent.  » Un court essai sur Delteil lui vaut les sympathies de l’écrivain qui soutient son premier roman la Douleur, paru en 1930. Son œuvre, surtout romanesque l’Amour fraternel, La fontaine des lunatiques, déconcerte par l’obsession du crime qui y fait jour. Malgré le soutien de Camus et Cocteau, on le considère comme un marginal, sa nonchalance et son penchant pour l’alcool n’arrangent rien. Reflet parcellaire, démontre brillamment Yvan Mécif, qui s’aventure au pays inconnu de l’inspiration. Ironie du sort ou vertu de l’équivoque, c’est un récit paru en 1965 sous le titre Je ne suis pas mort qui vaut à Richaud son retour à l’avant scène.  Dans son refus de l’autre comme dans l’impuissance qu’il met en lumière Richaud écrit :  » Adieu les autres ce n’est pas le moment d’être hypocrite chacun de mes mouvements vous inonde de mort allez-vous en allez-vous en que je vous voie longtemps ne plus penser à moi.  » Loupé.

Vision de Richaud éditions Christian Pirot 20 euros