Vladimir le sulfureux

Né en 1955, Vladimir Sorokine revendique Rabelais, Sade et Céline comme maîtres d’écriture. Il s’impose comme un auteur fulgurant de la génération posmoderne russe  et affirme la modernité caustique de son écriture. Ce qui lui vaut quelques déconvenues avec  les jeunesses poutiniennes qui brûlent son livre Le Lard Bleu en place publique en raison d’une scène sadomaso entre Staline et Khrouchtchev.

Les personnages de Sorokine côtoient la folie furieuse pour mieux décrire l’instabilité d’une époque. Dans son dernier livre Journée d’un opritchnik, l’auteur nous plonge au sein des troupes de choc de l’oligarchie qui règne en russie en 2028. Le héros opère au sein de la garde rapprochée du souverain unique garant de la terre d’église infaillible. Cette confrérie opérationnelle obéit aux lois sans limite d’une mission messianique. La fiction romanesque de Sorokine bouscule la logique chronologique en s’appuyant sur des ressorts historiques de la Russie. Les opritchniks sont à l’image des célèbres gardes d’Ivan le Terrible qui assurèrent son autorité par la terreur. L’auteur arrache le commando des années noires du Tsar (réhabilité par Staline), pour le transposer dans l’après communisme.

La journée bien remplie d’Andréi Danilovitch, un des chefs de cet ordre puissant, commence dans son jacuzzi. Mais dès sa première mission, on entre en plein dans l’opaque période Eltsine. Temps fébrile et basculement radical où le parti communiste se reconvertit dans les affaires. « Notre souverain s’est attaqué  à la noblesse avec pugnacité. Eh bien il a raison. Dès l’instant que la tête est partie, inutile de pleurer sur les cheveux. Quand le vin est tiré il faut le boire. Et dès qu’on a la main levée, on n’a plus qu’à sabrer. »

Le roman ne porte pas le débat, il affiche la collision entre les sphères privée, publique et religieuse au profit du pouvoir d’une petite minorité. Les considérations supérieures d’Andréi Danilovitch se traduisent dans son rapport avec le peuple. C’est dans la calme et froide assurance de servir l’intérêt supérieur de l’État que l’homme puise son aveugle détermination. Le livre n’est ni militant, ni contestataire, ni didactique, ni moral. C’est une biopsie du réel qui explique comment une poignée de dirigeants ont pu surpasser les limites de la raison pour s’emparer du pouvoir.

Journée d’un opritchnik, ed de l’Olivier, 20 euros

Vladimir Sorokine

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