Affaires étrangères : le quai d’Orsay sort de ses murs

Montpellier est la première escale d’Eric Chevallier, conseiller spécial de Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, qui entreprend une tournée dans les grandes villes de l’hexagone. Jeudi dernier, le diplomate a rencontré les médias locaux avant d’aller débattre avec les étudiants de la fac de droit.  » Le ministre souhaite donner aux Français une plus grande visibilité de la politique internationale française (…) car les enjeux concernent directement leur vie quotidienne. « 

L’idée semble d’autant plus heureuse qu’elle coïncide avec l’omniprésence du président de la République sur la scène internationale. On a vu comment, avec plus ou moins de réussite, Nicolas Sarkozy use du levier que lui offre la présidence du Conseil de l’Union européenne. La démarche n’est pas sans rappeler celle de son prédécesseur à l’Elysée qui,  au plus bas dans les sondages, avait trouvé l’occasion de redorer son blason en distillant quelque poncifs humanistes dans les conférences internationales.

Plus touche à tout qu’homme de conviction, Sarkozy souhaite absolument imprimer sa marque dans les affaires du monde. Le 13 juillet dernier, le projet d’Union méditerranéenne inauguré à Paris, a permis à 43 pays de figurer sur la photo. On peut cependant s’interroger sur cette initiative qualifiée de réussite par le représentant du quai d’Orsay, dès lors qu’ elle demeure vide d’idée et de moyen. Sarkozy peut se brûler les doigts, comme il l’a démontré avec la Chine aux JO, mais il peut aussi bénéficier de sa bonne réactivité comme dans la crise géorgienne.

De l’aveu d’Eric Chevallier, le plan mis en place dans l’urgence par la médiation européenne est imparfait mais il a le mérite d’exister.  » Nous avons procédé par étapes. Dans un premier temps, il fallait aboutir au cessez-le-feu. La seconde étape vient de débuter avec le déploiement d’observateurs internationaux. Les Russes ont annoncé qu’ils procéderaient au recul de leurs troupes. Nous allons voir s’ils tiennent leurs engagements. La troisième étape aura lieu à Genève où seront abordées les questions politiques comme celles de la sécurité ou de l’intégration des réfugiés.  » A un autre niveau, le diplomate juge moins importante l’entrée éventuelle de la Géorgie au sein de l’U.E que la présence de l’Europe dans cette région. Un jugement visant à nuancer l’atlantisme avéré et silencieux du président français sur les grands enjeux internationaux.

Les relations avec nos partenaires étasuniens sont qualifiées par Eric Chevallier de  » plus confortables, avec des points de désaccords…  » Désaccord peu probant sur le front afghan, où la France s’engage dans une guerre sans issue qui réduit moins le terrorisme qu’elle n’en aggrave les motivations.  » Nous ne nous sommes pas engagés sur un calendrier de retrait. Ce serait mentir aux gens, car on ne sait pas exactement quand on sera en mesure de se retirer. « 

Pas grand chose non plus sur le conflit israélo-palestinien, dont la résolution est un élément essentiel de lutte globale contre le terrorisme. Sur ce terrain la Françe figure comme remorque de la diplomatie américaine en désignant du doigt les vilains Iraniens. Bien qu’elles n’aient pas été abordées, il semble que, malgré l’agitation, les préoccupations d’ordre intérieure empiètent considérablement sur la détermination de notre politique étrangère.

Emmanuel Négrier :  » Un discours de type néo-conservateur à l’anglo-saxonne permet de gagner les élections »

Quels sont les grands enseignements que l’on peut tirer de la victoire de Nicolas Sarkozy ?

L’augmentation de la participation considérée comme un facteur plutôt favorable à la gauche, ne s’est pas confirmée dans ce sens. D’autre part, la démonstration est faite, même si tous les Français n’en ont pas conscience, qu’un discours de type néo-conservateur à l’anglo-saxonne permet de gagner les élections. Mais si le candidat sortant est parvenu à représenter la rupture, la démonstration n’est pas faite que ce discours permet de gouverner.

Pour rattraper son retard Ségolène aurait-elle pu jouer une autre carte que cette conversion vers la social- démocratie ?

Nous n’avons pas le recul, mais il est probable que cette nécessité lui a fait perdre des voix de gauche. En même temps, on assiste à une conversion non négligeable de l’électorat de gauche classique. C’est dommage parce que c’est la rupture d’une tradition française, vers une logique purement social-démocrate.

Le report des voix centristes n’a pas provoqué de surprise ?

La conversion bayrouiste n’était pas évidente. Depuis le programme commun de la gauche, l’électorat de Bayrou a toujours choisi la droite au travers de l’UDF ou du centre droit. On assiste un peu à une inflation de ce que représente Démocratie libérale depuis quelques années. Avec une conversion de ce centre droit vers Madelin. A partir de maintenant, c’est l’expérience du pouvoir inspirée par la rupture néo libérale qui va être déterminante pour le centre.

Sarkozy est parvenu à lepeniser son discours sans rebuter les centristes ?

L’idée que peuvent avoir les centristes est qu’il y a, chez les lepénistes, une partie d’égarés qui a perdu ses repères et dont une droite un peu musclée et sûre de ses valeurs pourrait les ramener à la raison.

Le discours néo-conservateur recrute largement dans les milieux populaires ?

C’est l’une des interrogations. On voit très clairement que Nicolas Sarkozy a réussi cette alchimie qui consiste à avoir un discours de rupture à l’égard d’une certaine forme de consensus socialiste à la sauce Chirac. Et avoir un discours beaucoup plus offensif dans les projections économiques de son programme plus inégalitaire et pourtant rallier autant de suffrages dans les milieux ouvriers que Ségolène Royal.

Ségolène s’est distinguée en jouant à certains moments contre son parti. Est ce que le PS a fait tout ce qu’il fallait pour qu’elle passe ?

Sans doute pas, son discours, assez personnel finalement, est l’indice d’une volonté de conquérir plutôt à l’intérieur de la gauche en se rendant pratiquement incontournable pour tout ce qui concerne la recomposition de la gauche actuelle.

On a aussi vu DSK se mettre sur les rangs dès les premières minutes.

Les deux peuvent gérer l’affaire ensemble. D’un certain côté, Ségolène a montré qu’elle avait des qualités importantes mais elle n’est pas la seule à pouvoir assurer cette transfiguration social-démocrate de la gauche française.

Le devoir d’opposition du PS par rapport au danger du Sarkozy « Kärsher » et l’élan vers la social-démocratie peuvent-ils participer d’un même mouvement ?

Il ne faut pas imaginer une seconde que la droite telle qu’elle va apparaître au gouvernement est une droite unifiée. Elle l’est uniquement par le chef sur un mode néo-bonapartiste. Mais en même temps elle est traversée de courants de division voire de haines interpersonnelles extrêmement fortes. Ce qui a pesé sur l’élection au premier tour, c’est l’absence d’alternative crédible à gauche du parti socialiste, par l’extrême émiettement et la concurrence. Hormis ceux qui l’ont vécu de l’intérieur, personne n’est en mesure de dire ce qui les différencie sur le fond.

Quel est le défi de la gauche antilibérale aujourd’hui ?

L’un des défis va être la construction d’une alternative non pas social-démocrate mais capable de jouer le jeu à gauche. Etre à la fois le refondateur d’une gauche « centrisée » sans être uniquement dans le jusqu’auboutisme oppositionnel.

Quel crédit donner à la déclaration du futur président très axée sur l’international ?

Durant la campagne, il a montré sur ce sujet des signes de faiblesse évidents. Son positionnement lui permet de sortir du débat en se situant à une échelle neutralisée. Quand il a parlé de l’union méditerranéenne et d’aides à l’Afrique, on a remarqué que les applaudissements devenaient extrêmement discrets dans son auditoire tandis qu’il a été très applaudi à propos des « amis américains ».

A court terme, quels sont les grands défis du nouveau président ?

Si on met de côté ceux qui concernent l’exercice du pouvoir et les calculs électoraux, ce qui n’est pas rien, la question clé c’est comment passe-t-on d’un discours néo-conservateur qui a permis de gagner les élections à un discours qui permet de gouverner ? Comment faire accepter à des gens qui n’ont aucun intérêt à cette politique qu’elle est juste ? Est-ce que c’est possible en France aujourd’hui ?

recueilli par Jean-Marie DINH

Voir aussi : Rubrique Débat politique Le conservatisme en politique, Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie