Du risque de se revendiquer pitoyable

Théâtre
Ron Mueck, Big Man (1998)Mélankholia, la création de la compagnie U-structurenouvelle donnée au Théâtre  Jean Vilar est également programmée au Périscope à Nîmes en janvier 2017 et  au Domaine d’O en février dans le cadre du festival Big Band de hTh.

Depuis trois ans la compagnie U-structurenouvelle brasse du spleen avec le projet  Mélankholia qui vient d’éclore sur le plateau du théâtre Jean-Vilar.  Ce projet, envisagé comme une perspective répond à l’idée audacieuse de partir d’un sentiment pour embrasser le monde contemporain. Cela aurait pu être l’amour, la tristesse ou la rage mais c’est la mélancolie qui a contenu le désir de la troupe.

La mise en scène est signée Stethias Deler, association de Stefan Delon et Mathias Beyler ayant tous deux développé par ailleurs un travail sur le même thème. « Au départ je suis tombé sur  un texte du sociologue Stéphane Hampaetzoumian qui envisage l’Occident comme une personne et se dit que si elle souffre de quelque chose, c’est de la mélancolie, indique Stefan Delon. A partir de là, nous avons exploré le concept. Tout ce que nous faisons pour échapper au malheur, à la violence des émotions, aux injonctions de bonheur vers lesquels nous pousse la société, nous y ramène. Mélancolie et dépression, c’est la même chose. Aujourd’hui, il est interdit d’être  malheureux, de s’ennuyer. Nous avons décidé de se trouver dans cet état, d’être pitoyable et stérile. »

Le choix peut être perçu  comme une manière d’échapper au degré inouï de brutalité atteint en ce début de XXIe siècle. Vaccin contre le réel, la mélancolie a de tout temps été conçue comme un espace de respiration, voire de création, qualifiée de bile noire par les grecs qui la concevaient comme un répit aux humeurs perturbatrices. A travers une succession de tableaux, le spectacle mixe les facettes de cet état transitoire. Images de la mélancolie religieuse magistralement exprimée par Bosh dans La Tentation de Saint Antoine ou plus moderne avec le spleen poétique. Mais la performance provient surtout du rapport des acteurs au plateau basé sur l’improvisation. Si l’effacement de la conduite dramatique peut surprendre, elle laisse grande la place au sujet mélancolique, véhicule transparent des sentiments de son histoire intime, en prise avec un monde, qui le dépasse.

Tandis que  chute le mur de Berlin,  que s’effondrement les Twin Towers, les acteurs éprouvent leur piteuses limites. « Nous assumons l’absence de fil conducteur et d’indication pour être cette chose. Ce que je dis, je suis le seul à le dire et personne n’est là pour me couvrir. » Le spectacle fait naître une forme d’empathie liée à la grande liberté d’interprétation et d’expression, à la lenteur des corps aussi. Un peu comme si s’était déclenché chez les comédiens le besoin de témoigner du désarrois des êtres sensibles.

Mélankholia produit artistique transitoire et non fini, ne manque pas de questionner. La mélancolie participe-t-elle à nouveau à notre perception du monde en contribuant ainsi au développement de thèmes politiques ? Faut-il s’en garder, l’accepter, la combattre… à vous de voir.

JMDH

Source ; La Marseillaise 05/11/2016

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