Entretien avec Dany Lafferière. Un jardin imaginaire nourri par la réalité

Dany Laferrière. Photo David Maugendre.

Tout bouge autour de moi n’est pas un livre de plus ni un retour sur la vision catastrophique d’un pays détruit par le séisme. Ce pourrait même être tout le contraire. Rencontre avec l’auteur haïtien Dany Laferrière Prix Médicis 2009, pour L’Enigme du retour.

Votre livre apporte un regard nouveau sur la catastrophe à laquelle vous avez assisté en direct. D’où vient cette distance qui imprègne votre récit ?
Au moment du tremblement de terre je me suis tenu à mon carnet de notes. Dès les premières secousses je me suis concentré sur l’écriture, par réflexe. L’homme est un animal. Je pensais maintenir la peur à distance cela a marché jusqu’à ce que la panique intérieure me rattrape. A cet instant, je me disais vraiment que la mort allait me surprendre. Ensuite j’ai pris de la distance en adoptant un ton au plus près de la réalité, là où se situe la dignité du peuple.

Votre livre regorge d’images proprement littéraires. Le séisme s’est attaqué au béton en laissant survivre la fleur dites-vous ?

Ces images me sont venues face à un événement spectaculaire, inattendu, dont la force efface le paysage et les hommes. Dès que j’ai pu retrouver un peu mes esprits, je suis allé dans le jardin de l’hôtel où je me trouvais pour voir l’état des fleurs à longues tiges. Je pensais qu’il n’en resterait rien mais elles étaient là indemnes. Le partage de ces émotions s’adresse au simple lecteur, que je considère comme le plus haut grade de la littérature.

Votre version se présente comme une antithèse de ce qui a été montré à la télé où les Haïtiens semblaient fixés dans leur statut de victimes…
Les médias ont beaucoup filmé les scènes de pillages alors que dans l’ensemble les gens se sont conduits avec beaucoup de sérénité et de pondération. On a focalisé sur les équipes de secours étrangères. Ils ont parlé d’eux-mêmes. Je pense que l’on aurait dû être beaucoup plus attentif à la vie quotidienne, parce que le quotidien dure plus longtemps qu’un tremblement de terre. Et il absorbera le séisme.

La télé transforme tout en fiction, est-ce en travaillant l’imaginaire que l’on parle du réel ?

La TV a filmé les décombres. Moi j’ai voulu mettre les hommes dans leur lumière naturelle. J’ai consacré les trois quart du texte aux gens pour ne pas nourrir le monstre. Le 12 janvier, des milliards ont été envoyés pour la reconstruction. Comment les Haïtiens faisaient-ils avant ? Voilà une question que personne ne pose.

Le séisme semble avoir ramené votre regard sur la force de la culture ?

Je montre un peuple qui souffre dont le vernis culturel n’a pas craqué. Ce n’est pas chaque jour que meurt 300 000 personnes. A Haïti la culture est tout ce qui structure l’individu. Quand on a rien il reste cela. C’est au nom de la culture et à travers elle que les gens vivent. Le confort n’est pas la mesure de toute chose. Toute analyse internationale se fait autour du confort. Je m’efforce de montrer tous ce que les gens ont pu faire sans cela.

Vous assimilez la catastrophe à un instant pivot pour le peuple haïtien…

Il y a une énergie nouvelle dans la jeunesse qui sent que nous sommes arrivés à un moment où les Haïtiens vont pouvoir se faire entendre. Tout le monde a été touché par cette histoire. Haïti a pénétré la conscience universelle. La catastrophe a permis que les gens se renseignent après avoir été touchés. Il y a un grain de tendresse chez les peuples du monde entier pour Haïti qui va se manifester. C’est le début d’une reconnaissance. Celui d’un autre regard.

Que vous évoque le retour de Duvalier ?

Je n’opine même pas sur son retour parce que le séisme l’a basculé dans le passé. Pour moi son dessein n’a aucune importance. Sa dictature fut un séisme, donc il a trouvé à qui parler.
Jean-Marie Dinh
Tout bouge autour de moi, Editrions Grasset, 15 euros