Le Grand Journal est-il devenu sarkozyste?

Vendredi soir, Nicolas Sarkozy était invité du « Grand Journal » de Canal + pendant deux heures. Aucune critique politique sérieuse ne lui a été adressée. Face à ses mensonges avérés, ses erreurs factuelles, face à sa propagande, le Grand Journal lui a servi la soupe. Face à Sarkozy, Canal + a choisi l’entertainment et non pas la politique. Le people et non pas le peuple.

Le « Petit Journal », lui-même, est devenu tout gentil. Simple faire-valoir de l’émission, l’écrivain congolais Alain Mabanckou n’a même pas su critiquer le discours de Dakar de Sarkozy sur l’Afrique ! Quant à Carla Bruni, aucune mention de l’affaire qui plombe son image, ni sur sa nouvelle communication bébête de fan de Plus Belle la vie. On a ri avec Sarkozy sur le petit Louis et sur ces journalistes « Pinocchio ».

Quant aux chroniqueurs du Grand Journal, en principe très mordants, ils sont restés paralysés, presque silencieux. A part quelques tentatives inabouties de Jean-Michel Apathie, l’émission a passé la brosse, dans le sens du poil, au président-sortant d’une manière inattendue.

Renaud Le Van Kim est le producteur du Grand Journal : il a fait les meetings de Sarkozy.

Inattendue ? Le producteur du grand journal est Renaud Le Van Kim. En 2004, un proche de Nicolas Sarkozy, le publicitaire Christophe Lambert est allé le chercher pour réaliser les images du grand meeting de l’UMP, et ce fut le couronnement de Sarkozy, qui venait de prendre la tête du parti de droite. C’est donc Le Van Kim qui est devenu le réalisateur préféré du président et le grand manitou de ses images. Avec sa grammaire visuelle fluide, sa passion pour les ballets de caméras qui s’envolent dans un mouvement perpétuel et, disons-le, son génie de la mise en scène, Le Van Kim allait dès lors jouer un rôle dans la guerre des images lancée par Sarkozy. En 2007. Mais aussi en 2012.

Car depuis, ce surdoué du petit écran, d’origine vietnamienne, est rarement loin des caméras lorsque Sarkozy fait un show télévisé. Tout à la fois producteur en vogue (du « Grand Journal » de Canal+ donc) et réalisateur de talent (il filme les soirées des Césars, les cérémonies de la Palme d’or à Cannes, les concerts de Johnny Hallyday ou la « Nouvelle Star »), il est régulièrement sollicité par le chef de l’Etat.

Sarkozy veut être certain que les images soient contrôlées par un « grand professionnel » (comme le qualifie Lambert). Et récemment, en octobre dernier, Le Van Kim a signé la réalisation de l’interview simultanée du chef de l’E?tat sur TF1 et sur France 2 : Sarkozy l’a choisi, tout comme il a choisi les journalistes qui l’interviewaient (dont Jean-Pierre Pernaut). L’émission, d’ailleurs, a été produite par une société privée (Maximal Productions, dirigée par Jérôme Bellay, directeur de la rédaction du JDD, et filiale à 100 % d’Europe 1), fournie clé en main – et facturée – aux chaînes.

Le Van Kim fut aussi conseiller spécial du P-DG de TF1 mais il assure aujourd’hui avoir mis un terme à cette collaboration.

Vincent Glad, benoîtement silencieux

Un autre fait a étonné ce vendredi. Le rôle étrange de Vincent Glad. Le très jeune chroniqueur numérique du Grand Journal a servi, lui aussi, la soupe au président – par ses silences. Pas une critique sur Hadopi ! Pas un mot sur Acta ! Pas une phrase sur l’Internet civilisé ! Il y a quelques semaines, il avait critiqué violemment le PS sur le numérique. A un autre moment, il a expliqué – se ridiculisant – que n’importe quel internaute pouvait faire la même Timeline que Sarkozy, preuve que le candidat UMP n’avait pas bénéficié des conseils de FaceBook, en dépit des preuves de l’Express. En général, Glad sait taper dur et critiquer fort : ce vendredi, il a passé l’émission à sourire devant Sarkozy, sans même s’essayer à la moindre critique contre le président qu’il semblait admirer benoîtement. Un idiot utile du sarkozysme ?

On verra lundi soir, lorsque François Hollande sera l’invité, à son tour, du Grand Journal, si les sourires, les silences et le cirage de pompe seront également de mise.

Frédéric Martel (L’Express)

? Sources: Article sur Le Plus du Nouvel Obs : Comment Sarkozy a tué le « Grand Journal » et le « Petit Journal » de Canal + ; article de Arrêt sur images ; voir aussi  J’aime pas le sarkozysme culturel (Flammarion), chapitre « La bataille des images et d’Internet » (sur Le Van Kim).

Sarkozisme culturel : Pour suivre ce blog chaque jour voir sa page FaceBook ainsi que, pour plus d’informations et pour ses sources, voir le site www.fredericmartel.com ? Le livre de F. Martel, J’aime pas le sarkozysme culturel vient de paraître chez Flammarion. Voir l’extrait de France 3 où Carla Bruni-Sarkozy dénonce « un livre contre son mari » (voir la vidéo) .

Voir aussi : Rubrique Médias, rubrique Politique,

Polisse : Noirceur et besoin d’amour

Pour son troisième film, après le convaincant Le bal des actrices, qui faisait le point sur le métier d’actrice, Maïwenn poursuit sur la crête frontalière entre documentaire et fiction. Il s’agit cette fois de suivre le quotidien professionnel et personnel des policiers de la Brigade parisienne de protection des mineurs (BPM). Projet à la fois porteur et glissant tant il n’est pas simple de porter au cinéma un grand classique du genre télé.

Si Polisse, n’apporte rien de vraiment nouveau dans la mise en scène de cette brigade confrontée à l’inceste, la pédophilie et l’esclavage des mineurs, il affirme le regard de la réalisatrice qui s’est elle-même très impliquée dans le vécu des protagonistes en allant chercher sa matière sur le terrain. Dans le film, Maïwen interprète le rôle d’une photographe un peu coincée qui découvre la réalité crue de la BPM. Cette démarche apporte une certaine fraîcheur, comme le recours à certains acteurs n’ayant aucune expérience du cinéma. Maïwen a particulièrement saisit, la forme de légèreté que les policiers cultivent entre eux pour faire face à la lourdeur psychologique des situations. Elle joue de ce contraste durant tout le film, emportant le spectateur en mettant au premier plan la dimension humaine des policiers. Certaines scènes, comme celle où l’on voit les enfants faire la fête dans le bus qui les conduit dans un foyer juste après une descente dans un camp de Roms où on les a séparé de leur famille, sont peu réalistes.

« C’est une mise en scène sur le ton de la vérité » confie pourtant la réalisatrice qui s’est adjoint le concours éclairé d’Emmanuelle Bercot pour le scénario. Le film tient beaucoup sur les comédiens à l’image de Joeystarr qui avait déjà empoché le césar du meilleur acteur dans un second rôle, pour Le bal des actrices. Le talentueux rappeur français crève cette fois l’écran dans le rôle du flic ravagé par son quotidien professionnel. A ses côtés, dans d’autres registres, Karin Viard, Marina Foïs, Nicolas Duvauchelle, Naïra Ayadi… livrent une partition tout aussi  douloureuse sans fausse note.

A travers l’urgence de ce polar urbain, Maïwen dessine les maux d’une société dans laquelle violence sexuelle, abus de pouvoir, et emprise de la consommation frappent cruellement les mineurs. Les séances d’interrogatoires soulignent bien que la violence symbolique touche l’ensemble des classes sociales. Au-delà de la noirceur, la cohabitation multiple entre les hommes et les femmes, entre devoir et sentiment, entre vie personnelle et professionnelle est un ressort majeur du film. La réalisatrice tire le portrait de personnalités fissurées en de multiples facettes. Le film de Maïwen qui a obtenu le prix du Jury à Cannes donne à voir des hommes, des femmes et des enfants en prise avec leur limites. En se sens, il s’inscrit dans l’air du temps. Aucun des personnages n’est en mesure de se regarder dans un miroir en tenant le mensonge à l’écart. Le montage rythmé nous tient en haleine jusqu’à la chute finale.

Jean-Marie Dinh

Polisse de Maïwen sur les écrans le 19 octobre.

Voir aussi : Rubrique Cinéma, Tous sur le Larsac, rubrique Société, La crise morale nous touche de l’intérieur, Danse, Charmatz ouvre le festival d’Avignon avec « Enfant »,

 

L’actualité est l’ennemi de l’information

Le retournement complet de situation dans l’affaire DSK prouve surtout une chose : l’actualité est l’ennemi de l’information.

Combien de temps les grands médias ont-ils passés sur l’affaire DSK ? Des centaines, des milliers d’heures très vraisemblablement, et bien plus de pages de magazines et de quotidiens. Pourtant, tout ce temps aurait pu servir à médiatiser bien d’autres choses, à commencer par les personnalités et les thèses jamais médiatisées, et elles sont nombreuses. Mais au lieu de cela, les médiacrates se sont acharnés sur un homme, sans attendre le verdict de la justice américaine, et traînant dans la boue son honneur et sa réputation. Ces médias sont criminels, anti-démocratiques, et lavent le cerveau de la population en répétant à l’infini des banalités et des informations qui sont souvent contredites peu de temps après. C’est un des combats que doivent mener les médias alternatifs, remettre à l’honneur la réflexion, le fond, et le respect des principes élémentaires de vérité, de présomption d’innocence, de pluralité, etc.

Cette évolution des médias est récente, et correspond à l’accélération des moyens de communication de ces 40 dernières années. Elle correspond à la baisse considérable du niveau scolaire, de la qualité de l’élite du pays, et de la santé du pays en général. Il devient urgent de déclarer son indépendance médiatique de ce système délétère, et de tout faire pour le contrer d’une part, et le contrôler d’autre part. C’est une question de vie ou de mort pour notre civilisation, ni plus, ni moins.

Pourquoi les médias sont-ils ainsi drogués à l’actualité, et pourquoi cela est-il malsain pour la population ?


Ils sont drogués à l’actualité car ils sont persuadés que l’être humain, pour être informé, doit avoir en permanence connaissance des événements qui viennent d’arriver. Or les gens les mieux informés sont ceux qui ont pris le recul nécessaire sur les événements, car ils savent que ces événements ne veulent rien dire en eux-mêmes. Voir 100 fois les avions s’écraser sur le World Trade Center n’apporte rien en terme d’information. C’est une injection d’adrénaline, qui satisfait à des pulsions de voyeur et à une recherche d’émotions et de sensationnel que nous avons tous en nous. Bref, l’actualité c’est la garantie de placer l’émotion avant la raison.

La télévision est également un outil extrêmement perfectionné pour donner aux gens ce qu’ils réclament, mais en les tirant vers le bas plutôt que vers le haut. Les pulsions primaires et les tentations arrivent en premier, du fait de nos émotions, puis il s’agit de les contenir, de les éduquer. Tous les systèmes qui visent à moraliser les sociétés humaines le disent, à leur manière. La télévision détruit cette éducation, en donnant directement et sans filtre l’accès à des pulsions souvent violentes, avec la force de l’image. Des manipulations mentales de grande ampleur ont lieu grâce à cet outil sans pour autant faire l’objet de hurlements au fascisme, bien au contraire. La société de consommation et les sommes gigantesques d’argent en jeu permettent d’affiner toujours plus ces manipulations, en faisant appel aux découvertes les plus récentes dans la psychologie, la sociologie et d’autres sciences humaines. Cela permet à un dirigeant de grande chaîne de déclarer : “Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.”

Interdire la télévision ?

A quand une loi pour décréter que la télévision est une drogue dure ? Elle l’est en effet, aussi bien pour ceux qui y passent que pour ceux qui la regardent. Ce système malsain rend donc tout le monde esclave, au lieu de rendre les gens libres. Mais la liberté ne se donne pas, elle se prend. D’où l’intérêt des livres, qui nécessitent un effort, et qui laissent une trace, tout en permettant de revenir à une phrase, un paragraphe ou un chapitre pour être sûr qu’on l’a compris, ou pour l’interpréter différemment, avec du recul. D’où l’intérêt de la radio, qui fait travailler l’imagination, et ne rend pas dépendant de l’image. D’où l’intérêt d’Internet, qui permet de produire aussi de l’information, d’approfondir via les liens hypertextes, et qui permet aussi et surtout de figer l’image et le temps, de les maîtriser bien mieux qu’avec la télévision, qui donne des rendez-vous fixes, et qui vous fixe sur votre canapé, la bouche ouverte et les neurones fermés.

L’actualité n’est pas la réalité
L’actualité est un déferlement de “faits divers qui font diversion” (Bourdieu), dont le traitement permanent reste toujours a la surface des choses, qui encourage la dictature de l’instant et empêche toute réflexion, toute mise en contexte, et tout recul. L’information nécessite du temps pour trier le bon grain de l’ivraie, elle nécessite plusieurs interprétations possibles. Les informations importantes sont peu nombreuses mais noyées dans le flot d’infos secondaires voire inutiles, d’ailleurs les sujets souvent les plus importants ne sont jamais dans l’actualité. L’imposture médiatique actuelle consiste à faire croire que l’actualité est la réalité, alors qu’elle n’en est qu’une infime partie, souvent déformée d’ailleurs. Il convient évidemment de parler d’actualité, mais sans jamais qu’elle domine l’information, à savoir le recul sur l’actualité, et sa mise en contexte avec le passé, qui est documenté et qui représente les bases d’un raisonnement humain. A se complaire dans l’actualité, on en revient au stade bestial, avec toutes les conséquences possibles.

Faites le test si vous en avez l’occasion : ne regardez plus la télévision pendant quelques semaines, ou quelques mois, et informez-vous uniquement par Internet, à condition de ne pas consulter  France Info, et autres chaînes d’informations continues. Vous découvrirez l’immense plaisir d’être à nouveau informé, car vous pourrez penser par vous-mêmes, découvrir des informations dont les médias ne parlent pas, ou peu, ou mal, et vous redeviendrez un citoyen digne de ce nom.

Conclusion
Une démocratie moderne est une démocratie dans laquelle les médias ne sont pas focalisés sur l’actualité, qu’elle soit sportive, économique ou sociale. Les citoyens doivent être en mesure de faire les bons choix, et pour cela les débats doivent être libres, les alternatives claires, et le recul doit toujours prévaloir sur l’immédiateté. Par ailleurs, et cela fera l’objet d’un autre article, les sujets doivent prévaloir sur les personnes, car la “peoplisation” à laquelle on assiste depuis plusieurs décennies, et qui est due en grande partie à la domination de la télévision, est inversement proportionnelle à la démocratie d’un pays. En Suisse, par exemple, les médias ont pour priorité de parler des sujets politiques, et non des personnalités, il faut dire que la démocratie directe impose de parler des sujets plutôt que des hommes politiques. Les personnalités les plus connues, notamment des journalistes et des animateurs, ont effectué un coup d’Etat en accédant aux manettes des grands médias qui déterminent ce qui existe, et ce qui n’existe pas. Il est temps de s’occuper d’eux.

Enquête & Débat

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Quand l’Otan tuait des civils en Europe pour lutter contre l’URSS

 

L’attentat de la gare de Bologne, 85 morts et plus de 200 blessés le 2 août 1980. Le 26 septembre suivant, 13 morts et 200 blessés à la fête de la bière de Munich. Les tueries du Brabant, 28 morts dans le sud de la Belgique entre 1982 et 1985.

Derrière ces crimes, se trouveraient l’Otan, les Etats-Unis et de hauts responsables politiques de plusieurs pays d’Europe, désireux de créer une « stratégie de la tension » pour lutter contre l’URSS.

On connaissait l’existence de ces armées secrètes depuis qu’en 1990, le président du conseil italien Giulio Andreotti avait révélé à la Chambre des députés ce qu’était le réseau Gladio. On savait qu’il faisait partie des réseaux Stay-behind, cellules dormantes crées par l’Otan dans plusieurs pays d’Europe, dont certains étaient officiellement neutres, comme la Suisse ou l’Autriche.

Ce qu’on ignorait, ce sont les liens très probables de ces réseaux avec des attentats terroristes. Parfois attribués à l’extrême-droite (dont des militants furent condamnés), parfois à l’extrême-gauche, parfois restés impunis. C’est ce que révèle le film « Le Scandale des armées secrètes de l’Otan », réalisé par le journaliste français Emmanuel Amara, qui s’appuie notamment sur les travaux de l’historien suisse Danièle Ganser.

Un sang-froid et une technique digne des services secrets

Au pic de la guerre froide, des groupes d’extrême-gauche contestent le capitalisme en jouant de la terreur, faisant plusieurs morts. La thèse de Danièle Ganser, qui est formellement invérifiable tant que l’Otan ne s’exprime pas ou que les archives restent classifiées, veut que l’organisation et la CIA aient choisi une « stratégie de la tension », à la fois pour décrédibiliser l’extrême-gauche et favoriser l’élection de majorités plus sécuritaires, donc de droite. En organisant des attentats meurtriers pour la population civile.

Cette thèse est invérifiable, mais elle est fortement étayée par de nombreux témoignages diffusés dans le film. Ainsi, ce policier et cette juge d’instruction belges qui racontent en quoi les tueurs (impunis) du Brabant étaient des gens dotés d’un sang-froid et d’une technique digne des services secrets.

On a aussi la surprise d’entendre le très sulfureux Licio Gelli, grand maître de la fameuse loge maçonnique P2. Mentor de Silvio Berlusconi, ce nonagénaire maintenu en résidence surveillée est la cheville ouvrière de la plupart des scandales des années de plomb italiennes.

Après les révélations d’Andreotti en 1990, trois pays ont décidé de lancer des enquêtes parlementaires sur les réseaux Stay-behind : l’Italie, la Suisse et la Belgique. C’est donc dans ces pays que les informations sont les plus nombreuses, ou plutôt les moins rares, tant le secret continue à voiler ce qu’on pourrait bien qualifier de terrorisme d’Etats.

1950-1990 : le scandale des armées secrètes de l’Otan d’Emmanuel Amara, diffusé dimanche 1er mai , sur France 5.

Voir aussi : Rubrique International, Otan, terrorisme, rubrique Médias,

Arte : Le pari de la curiosité et de l’intelligence

Jérôme Clément est venu présenter cette semaine à la Fnac son dernier livre « Le choix d’Arte » dans lequel il retrace l’histoire de la chaîne culturelle franco-allemande. Un ouvrage passionnant qui expose l’aventure originale d’une chaîne de télévision gérée comme une création.

L’idée émerge en France dans le contexte politique plein de désirs et de rêves qui faisait suite à la conquête de la gauche au pouvoir en 1981. Elle prend forme après les présidentielles de 1988 à l’occasion du sommet franco-allemand de Bonn. En actant politiquement la création d’une chaîne culturelle, le couple Kohl – Mitterrand affirme contre vents et marées l’importance de la culture et de l’audiovisuel pour le développement de l’Europe. Le projet voit le jour avant que le référendum de Maastricht n’envisage la monnaie unique, à quelques encablures de la chute du Mur qui va redessiner les lignes géopolitiques de la planète.

L’imaginaire européen

Durant vingt ans, Jérôme Clément fut l’artisan convaincu de sa mise en œuvre. Son livre est une contribution éclairante aux enjeux sous-tendus par la création et la construction européenne. La chaîne franco-allemande a participé à la construction d’un imaginaire européen commun tout en parvenant à conserver l’expression originale de chaque pays et le respect des artistes. On découvre à travers quelques épisodes croustillants que ce ne fut pas une sinécure. L’ex directeur d’Arte évoque avec humilité les obstacles, culturels, politiques, médiatiques, qu’il a vu se dresser face à ses propres ambitions et les moyens dont il a usé pour les contourner. L’affaire concerne les plus hautes sphères du pouvoir. La position de l’auteur est comparable à celle d’un ethnologue qui porte un regard distancié sur le milieu dans lequel il s’est immergé.

Homme de conviction

Au dîner qui fait suite au Forum Fnac un peu clairsemé qui s’est tenu mardi,  Jérôme Clément ne semble pas affligé des ventes du livre qui démarrent doucement. « Cela a mobilisé beaucoup de mon énergie. Ecrire ce livre m’a permis de réfléchir à cette longue aventure et à en tirer les leçons. Il est bien reçu. Beaucoup de gens me remercient. Je crois que c’est un livre qui va s’inscrire dans le temps, non parce que j’en suis l’auteur, mais parce qu’il retrace une époque importante de notre histoire nationale et européenne, notamment sur le couple franco-allemand », analyse l’auteur avec une placidité qui masque une profonde détermination. Au cours du repas, on lui communique la teneur d’un débat contributif au programme du PS. « Je suis atterré par le peu de place qui est fait à la culture et à l’Europe dans le programme socialiste » commentera-t-il. Le 8 décembre dernier devant toute l’équipe d’Arte réunie à Strasbourg à l’occasion de son départ, Jérôme Clément a tenu à rappeler publiquement qu’il ne pouvait y avoir de réussite sans profondes convictions. Les siennes se résument en trois mots : « engagement, audace, utopie. »

Jean-Marie Dinh

Le choix d’Arte, éditions Grasset, 20 euros.

Voir aussi : Rubrique Médias, Financement des TV pubiques Bruxelles renvoie Paris et Madrid en Justice,  Médias hongrois sous contrôle, Weakileaks les médias français sévèrement critiqués, Rubrique Essais