La situation à France Télévisions : en attendant l’apocalypse (entretien avec F. Malverde)

Julien MUGUET

 » L’objectif tient en un mot : réduire. Réduire le périmètre de nos missions, réduire le maillage territorial, réduire la quantité de programmes et d’émissions produites ; tous les secteurs de l’audiovisuel seront concernés. »

L’audiovisuel public est dans le collimateur du gouvernement. Fuites du ministère de la culture, annonce de bouleversements internes par la direction de France Télévisions qui subit en retour une motion de défiance, « petite phrase » provocatrice d’Emmanuel Macron [1], tout est fait pour préparer l’opinion – et les personnels de l’audiovisuel public – à une purge supplémentaire, après des années de rigueur budgétaire.

Plutôt que de nous fier à ce qui filtre dans la presse de ces petites et grandes manœuvres, nous avons préféré faire le point sur la situation avec un acteur et un témoin direct de ce qui se trame à l’intérieur du groupe public en nous entretenant avec Fernando Malverde, journaliste à France 3, syndiqué au SNJ-CGT, élu CGT au CCE de France Télévisions, et last but not least, adhérent d’Acrimed. Il ne s’exprime pas ici dans le cadre de son mandat et l’analyse qu’il livre reflète son point de vue et ses opinions personnelles, lesquelles n’engagent aucune des deux formations syndicales sus nommées.

Rumeurs et démentis courent depuis plusieurs semaines à propos de licenciements à venir à France Télévisions. Est-ce que vous avez des informations supplémentaires en interne sur les exigences du gouvernement ou sur les intentions de la direction, et est-ce que vous anticipez et/ou craignez que certains services soient plus touchés que d’autres ?

Il est clair que la crise que l’on vient de traverser avec la motion de défiance [2], c’est un peu l’arbre qui cache la forêt. Nous – les gens les plus informés, les syndicats, et la CGT en particulier –, on sait que ce qui se prépare est beaucoup plus grave. Ce qui se prépare, c’est ce que M. Macron a formulé en partie en « off » mais aussi dans son programme – il suffisait de le lire : restructurer tout l’audiovisuel public et diminuer le nombre de salariés de façon considérable. La crise est donc actuelle, mais plus encore à venir.

Quels sont ses objectifs ? Appliquer à l’audiovisuel public ce qui est appliqué à l’ensemble des services publics, soit ce qui est inscrit dans le « Plan d’Action Publique » qui prévoit la réduction de la dépense publique de trois points de PIB d’ici à 2022 (i.e. 60 milliards d’euros). C’est un projet ultra-libéral qui touchera évidemment notre secteur.

Cette réduction contient un double danger : d’abord, une réduction du périmètre de l’audiovisuel public dans son ensemble c’est à dire toutes les sociétés qui le composent (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde [France 24 / RFI], INA, Arte). Il y a une volonté de réduire le nombre de chaînes et le nombre d’emplois qui dépendent du service public : là est leur seule obsession…

Pour se faire une idée du projet, il suffit de regarder qui pilote : l’un des principaux conseillers de M. Macron, est l’inspecteur des finances Marc Schwartz. Il a écrit la partie audiovisuelle du programme du candidat Macron et est l’actuel directeur de cabinet de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, tutelle de France Télévisions. C’est un ancien directeur financier de France Télévisions et surtout, l’auteur d’un rapport sur l’avenir de l’audiovisuel public [3]. C’est un peu la feuille de route de l’État, feuille de route dont la mise en œuvre a déjà commencé depuis des années sous la présidence Hollande et qui se poursuit sous celle de M. Macron. Ses grands axes de questionnement sont les suivants : Que faut-il garder du service public ? Jusqu’à quel niveau le réduire ? Ce questionnement a des conséquences concrètes en termes de dépense publique et de diminution d’emplois, dans l’audiovisuel comme dans les autres secteurs. Le traitement qui nous est réservé n’a, en cela, rien de particulier.

Faire des économies est l’unique obsession en ce qu’elle répond également aux injonctions européennes ciblant la dépense publique et le périmètre de l’action publique. M. Macron suit cette feuille de route, dont l’objectif principal est de faire plaisir à Mme Merkel et à l’Eurogroupe, c’est à dire aux libéraux qui commandent aujourd’hui la marche de l’Europe. Avec ses 18 000 emplois, l’audiovisuel public français est en ce sens une cible de choix. Cette stratégie met en péril nos missions.

Tu parlais d’un deuxième danger, quel est-il ?

Il est lié à l’exercice « bonapartiste » du pouvoir par M. Macron : il ne désire rien de moins qu’une véritable reprise en main de l’audiovisuel. Il n’a pas supporté de constater que certains de nos patrons, Delphine Ernotte en particulier, se soient battus pour défendre le budget de leur entreprise. Il veut des patrons le doigt sur la couture du pantalon, terrorisés et obéissants. Il ne supporte pas toutes les formes de résistance qui se sont fait jour pour défendre le périmètre de l’entreprise et les missions du service public.

À ce titre, je pense que Delphine Ernotte, paie – et paiera – la première prise de position publique qu’elle a exprimée quand elle est arrivée à la tête de cette entreprise [4] sur Twitter : « Je veux fromage et dessert ». C’est à dire : « Je veux à la fois la publicité et une revalorisation de la redevance ». Des revendications totalement insupportables aux yeux de quelqu’un d’assez autoritaire comme M. Macron, désirant des patrons d’entreprises publiques aux ordres.

Les deux aspects des mesures à venir sont donc : une réduction du périmètre, des missions et du nombre d’emplois du service public audiovisuel mais également une reprise en main par le pouvoir politique. Le tout sera bien entendu accompagné de discours lénifiants du type « Recentrer l’audiovisuel public sur ses missions uniquement culturelles », comme indiqué dans le document préparatoire émanant du Ministère de la Culture et transmis au CAP 2022, document qui a fait l’objet d’une « fuite », notamment auprès du Monde.

Aujourd’hui, M. Macron et son entourage proche fonctionnent sur un mode extrêmement cloisonné, dans le plus grand secret et même sans contact réel avec les directions des entreprises. Après l’annonce des 50 millions d’euros d’économies (en fait 80 pour l’ensemble de l’audiovisuel public), le gouvernement exige des directions qu’elles déterminent elles-mêmes les pistes d’économies à réaliser alors que quoi qu’il en soit, il sera question de restructurer les entreprises concernées afin d’amputer davantage leurs missions et leurs budgets !

Tu penses donc que les restructurations à venir iront encore plus loin que celles annoncées dans le document de travail du ministère ?

Absolument. À l’heure actuelle, après l’adoption du projet de loi de finance pour 2018, les directions, quelque peu tétanisées, ont été obligées de réagir et de préciser où les économies seraient réalisées, secteur après secteur. Mais ça, c’est juste pour avoir un budget 2018 à l’équilibre ! Il restera encore à encaisser les restructurations que prévoira M. Macron.

Les 50 millions d’économies qu’exige aujourd’hui M. Macron doivent se faire en plus de celles évoquées précédemment ! Il s’agit en fait de 70 millions, une fois inclus les 20 millions d’euros liés au glissement mécanique de la masse salariale et à l’inflation. Se pose alors la question de suppressions d’emplois en sus de celles déjà prévues. Mme Ernotte a déclaré qu’elle s’en tiendrait à ce que prévoyait son Contrat d’Objectifs et de Moyens [Soit 180 ETP supprimés en 2018, 500 à l’horizon 2020, fin de de son mandat, NdlR] via le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux et qu’elle ferait donc porter les économies sur d’autres leviers : renégociation des contrats avec les producteurs, droits sportifs [5], augmentation des rediffusions, etc. En somme, ponctionner sur la grille de programmes mais également sur les moyens techniques. Il est cependant évident que si un budget du même acabit (contenant de nouvelles coupes) lui est imposé pour 2019, elle sera forcée de passer par un plan social. Le seul problème, c’est que l’entreprise n’a même pas les moyens de le payer et qu’il reviendrait à l’État de le financer !

Selon moi, et on devrait le voir assez vite en début d’année prochaine, le gouvernement prévoit une réorganisation de l’audiovisuel avec des « mariages », des rapprochements forcés entre France Bleu et France 3, des suppressions de chaînes (France Ô, passage de France 4 en diffusion exclusivement numérique [et de Mouv’, ainsi que la suppression d’un des deux orchestres de Radio France… NdlR]), des suppressions d’édition (celle du week-end du Soir 3), des fusions de rédactions locales, et des regroupements régionaux, probablement selon la nouvelle carte administrative. Par exemple, le passage de 22 éditions de journaux télévisés de France 3 à une quinzaine. Clairement, l’objectif tient en un mot : réduire. Réduire le périmètre de nos missions, réduire le maillage territorial, réduire la quantité de programmes et d’émissions produites ; tous les secteurs de l’audiovisuel seront concernés.

Sans oublier la reprise en main politique. Une information a par exemple un peu échappé à la presse : André Gattolin, [Sénateur des Hauts-de-Seine, NdlR] ex-EELV passé à En Marche ! – a fait voter l’an dernier la suppression de la publicité dans les émissions destinées à la jeunesse en l’appliquant uniquement… à la télévision publique ! Une mesure relativement grotesque qui n’est rien d’autre qu’un moyen de priver France Télévisions de 20 millions d’euros de ressources supplémentaires dès le 1er janvier 2018. Il propose maintenant de modifier le mode de désignation des P.-D.G. de l’audiovisuel public dans le but probable de se débarrasser de Mme Ernotte afin de la remplacer par une personne totalement aux ordres. Je ne doute pas un instant du fait que cette idée ne soit pas venue toute seule au sénateur Gattolin : un « téléguidage » de l’Élysée est assez probable. Sa proposition de loi pourrait être votée dès le printemps et s’appliquer immédiatement.

Est-ce que, selon toi, cette politique d’économies à tous les étages, ne risque pas de dégrader plus avant la qualité du service public ?

Bien évidemment. Cela va dégrader la qualité de l’antenne, celle des contenus et notre capacité à concevoir et à réaliser des programmes attractifs, ce qui comporte un risque net de perte d’audience. Perte d’audience qui pourra nous être reprochée par la suite et justifier de nouveaux plans d’économies.

En sais-tu un peu plus sur les échéances et l’agenda de cette asphyxie programmée ?

Ils vont très certainement commencer par modifier la gouvernance et amorcer une réorganisation générale de tous les secteurs par une loi au printemps ou aux alentours de juin, puis réviser le financement de la télévision publique par une seconde loi à l’automne. À ce moment-là, on saura ce qu’il en est véritablement de la redevance. M. Macron a déjà déclaré qu’il n’y aurait pas de révision à la hausse de la redevance pour 2018 ni les années suivantes. La période qui s’ouvre, au moins pour les deux années à venir (2018-2019), va être une période dévastatrice pour l’audiovisuel public. Là comme ailleurs, M. Macron désire imprimer sa marque, ce qui implique de revoir de fond en comble l’organisation et le financement.

Peux-tu nous expliquer comment s’est passé le vote de la motion de défiance envers la présidente de France Télévisions ? Et pourquoi les déclarations de M. Macron et les exigences budgétaires du gouvernement (issues du « Comité action publique 2022 ») n’ont pas été ciblées dans cette motion ?

Il y a eu beaucoup de désinformation autour de cette motion des journalistes. Tout d’abord il faut remettre les choses à leur niveau. On a pu lire que la motion de défiance avait recueilli 84 % des voix alors qu’il n’y a eu que 860 votants sur 2680 journalistes et plus de 9800 salariés dans l’entreprise. Au final ce sont moins de 6 % des salariés qui ont voté la défiance ! Il y a eu un effet « loupe » du fait de la visibilité des rédactions nationales et de la capacité qu’elles ont eue à mettre en œuvre un lobbying efficace (appel à des « vedettes », réseaux sociaux). Cela y compris au prix de petits arrangements avec la réalité… Par exemple, dire qu’il s’agissait pour la direction de censurer des émissions emblématiques comme « Cash Investigation » est absolument faux : la ligne éditoriale de cette émission, qui fait honneur au service public, est soutenue et n’est pas remise en question par l’actuelle direction. Par contre, il y a clairement une volonté d’économiser des effectifs et de la dépense : pour ce faire, le principal levier de la direction est l’externalisation de la production (déjà fort avancée au sein de France Télévisions) puisque les emplois externalisés ne sont plus comptés comme publics. C’est quasiment l’unique cheval de bataille du Ministère des Finances.

En réalité, les économies étaient déjà prévues par le Contrat d’objectifs et de moyens signé par Delphine Ernotte au moment de son arrivée à France Télévisions (en 2015, sous la présidence de François Hollande). La trajectoire prévoyait d’ores et déjà la suppression de 180 équivalents temps plein (ETP) en 2018. Ces suppressions sont bien évidemment maintenues. Ce qui a fait réagir les SDJ des rédactions nationales et les magazines, c’est le fait qu’elles commencent à les impacter directement alors que jusqu’à présent, les économies touchaient principalement le réseau décentralisé (les rédactions régionales et locales de France 3, la rédaction de France Ô et les Outre-Mer Premières). Les rédactions régionales étant déjà « à l’os », les économies commencent à se faire sentir au niveau des réactions nationales et à toucher les mieux lotis : c’est ce que j’appelle le « ruissellement à l’envers »…

La réaction de la SDJ, y compris la motion de défiance, est donc en partie une réaction purement égoïste sur le mode : « Des économies d’accord, mais pas chez nous ! » ou plus démagogique encore : « Les économies sont un prétexte, le vrai problème c’est Delphine Ernotte ». Car il faut bien comprendre que certains membres de la SDJ ont un agenda politique : certains ont un intérêt – qui les fait conséquemment agir en sous-main – à favoriser le départ de la P.-D.G. parce que beaucoup de ces journalistes ne cachent pas leurs affinités vis-à-vis du pouvoir en place. Le libéralisme revendiqué par M. Macron ne leur pose ainsi aucun problème.

En 2017, la séquence électorale a permis de faire illusion, notamment avec un relâchement du contrôle des autorisations de dépassement de budget (embauche de CDD) dans les rédactions nationales. La fin de cette séquence marque le retour à des conditions de fonctionnement plus « normales » et la direction fait ainsi peser des économies dans tous les secteurs, y compris dans les rédactions nationales.

Comment fonctionne la SDJ ? Quelles relations entretient-elle avec les syndicats de journalistes ? À quoi ressemble le paysage syndical à FTV aujourd’hui ? Quel rôle jouent les vedettes de la rédaction (Léa Salamé, François Lenglet, Nathalie Saint-Cricq, etc.) dans cette « crise » ?

Je ne connais pas le fonctionnement détaillé de la SDJ, un bureau, plus ou moins actif, des échanges de mails, mais l’instance n’a pas de caractère vraiment permanent ou même délibératif, les assemblées générales (AG) sont rares. Elle fonctionne au cas par cas. Dans le cas d’espèce, les AG qui ont eu lieu et qui ont débouché sur cette motion de défiance avaient un caractère tout à fait exceptionnel. À l’inverse, pendant les grèves contre les coupes budgétaires, les AG des SDJ (de France 2, de France 3 national et de France Info) avaient soigneusement évité de se mélanger à celles des syndicats ! Il est intéressant de noter que la majorité de ceux qui ont signé cette motion de défiance n’ont pas fait grève.

Un exemple illustre assez bien son fonctionnement cependant ; lorsque M. Macron a attaqué l’audiovisuel public, la SDJ n’a pas fait de communiqué. Par contre, suite aux attaques de M. Mélenchon à l’encontre de Léa Salamé, François Lenglet et Nathalie Saint-Cricq, la réponse fut immédiate ! Des chefs de service, Mme Saint-Cricq et d’autres éditorialistes de bon ton et bon teint, assistent bien évidement aux AG de la SDJ, illusion d’une opinion partagée entre les aristocrates et les soutiers de l’information !

En fin de compte, je pense que les SDJ sont des sortes de « feuilles de vigne », de cache-sexe destinés à couvrir le manque de courage de certains, habituellement peu enclins à combattre les orientations imposées par la direction à la demande du pouvoir politique. On en profite, sous couvert de « consensus professionnel », pour se donner de faux airs de courage. La réaction des SDJ doit être prise pour ce qu’elle est : une réaction corporatiste dont les responsables n’ont, pour la plupart, aucune conscience des problématiques affectant l’ensemble de l’entreprise. Ses responsables ne font d’ailleurs jamais preuve de la moindre solidarité envers le reste des personnels. J’irais même jusqu’à dire que les SDJ sont plus corporatistes que les syndicats corporatistes.

Lesquels ?

Le SNJ Autonome, qui lui reste conscient des problématiques de l’entreprise, voire du secteur. Pour poursuivre mon propos sur les réactions entendues au sein de la SDJ (« des économies oui, mais pas chez nous ! », « le seul problème c’est Delphine Ernotte »), je persiste à penser que le courage aurait consisté à soumettre une question plus pertinente aux journalistes : « Pensez-vous qu’Emmanuel Macron veut défendre l’audiovisuel public ? » Là est la vraie question. C’est pour cela que j’ai toujours affirmé que les SDJ, de par leur fonctionnement, leur apolitisme revendiqué, leur recherche du consensus à tout prix – tout à fait pipeau ! – n’étaient pas les instances les plus qualifiées pour comprendre les enjeux stratégiques de l’entreprise. Dans le cas de celle de France Télévisions, c’est presque caricatural.

Sans oublier les menées de certains syndicats (la CGC en particulier, très droitière au sein de l’entreprise) qui utilisent la SDJ pour camoufler leur propre agenda politique, qui jouent leur propre carte pour mettre en œuvre leur stratégie. Un théoricien célèbre, dont vous retrouverez le nom, a parlé d’« idiots utiles » dans le cas présent. M. Macron a dû particulièrement savourer la motion de défiance.

Par ailleurs, je tiens à le dire ici, le prochain P.-D.G. de France Télévisions en finira très certainement avec « Cash Investigation ». Une émission qui a autant de moyens pour mener des investigations longues et approfondies sur les multinationales et les milliardaires n’est clairement pas la « tasse de thé » de M. Macron. Au bout du compte, les économies se feront aussi aux dépends de l’investigation et de l’indépendance du média.

Plus largement, quel est le rapport de forces entre les catégories de journalistes ? Entre les précaires et autres intermittents et les titulaires ? Entre les personnels de France 3 (particulièrement ciblés dans les documents ayant fuité) et ceux de France 2 ? Entre les syndicats ? Entre les plus mobilisés et ceux qui sont plus circonspects ?

Les CDD ont été les premières victimes du recul de l’emploi et des restrictions et beaucoup d’entre eux ont été obligés de recourir aux tribunaux pour faire valoir leurs droits légitimes. Nombre d’entre eux (souvent aidés par la CGT) ont ainsi obtenu leur intégration et également des dommages et intérêts. Un phénomène tellement massif que la direction provisionne même des sommes considérables en raison de ces litiges. Ces dernières années, le taux de précarité au sein des rédactions a fortement reculé, en particulier au sein du réseau des rédactions décentralisées. En effet, les CDD, qui permettaient auparavant de remplacer un salarié malade ou en formation, représentent aujourd’hui de l’ordre de 10 % des effectifs. Ce serrage de vis sur les effectifs crée des tensions et une usure des personnels qui devient dramatique. Dans les rédactions nationales, le chiffre tourne encore autour de 20 %. La gestion est donc encore relativement plus souple dans les rédactions nationales mais les mesures d’économies ont pour objectif, entre autres, de réduire le recours au CDD au maximum. France Télévisions n’est cependant pas une exception, elle suit, en cela, le même modèle que TF1.

Plus spécifiquement, y a-t-il une opposition entre les précaires et les titulaires au sein des rédactions ?

Non, mais il existe une forme de défiance entre les salariés des rédactions locales et ceux des rédactions nationales ; les premiers voient les seconds comme des privilégiés, puisque, jusqu’à présent, ils étaient soumis moins durement aux mesures d’économies. Après, il ne s’agit pas pour moi de diviser les gens, je pense que notre véritable adversaire et le véritable responsable, c’est le pouvoir politique.

Et une nouvelle fois, cette politique n’est pas nouvelle puisqu’elle a cours depuis au moins 10 ans. Trois chocs ont marqué l’histoire récente de France Télévisions et ont gravement déstabilisé la structure de l’entreprise : la fin de la publicité annoncée par Nicolas Sarkozy [en 2008, NdlR] qui a totalement fait vaciller le modèle de financement, lequel n’a jamais été réellement remis à flot, l’annonce d’économies correspondant à la suppressions de 650 ETP sous la présidence Hollande, pilotée à l’origine par Aurélie Filippetti puis par Fleur Pellerin et, enfin, avec l’arrivée de Mme Ernotte, un Contrat d’objectifs et de moyens qui prévoit la suppression de 500 ETP supplémentaires [d’ici à 2020, NdlR]. Dernière étape : l’agression contre France Télévisions, avec l’arrivée de M. Macron. Tout cela n’ayant qu’un but : préparer un véritable démantèlement du secteur public.

Un gouvernement qui se donnerait des objectifs plus constructifs et serait à l’inverse attaché à garantir l’existence d’un service public de l’information et de la culture enfin digne de ses missions aurait de nombreuses questions à dénouer. Par exemple, que fait-on de l’audiovisuel public à l’heure de la concurrence avec les plateformes américaines [Netflix, Amazon, NdlR] qui n’ont pas besoin de diffuseurs nationaux ?

Quid de la « délinéarisation » des contenus ?

C’est un enjeu majeur. Aujourd’hui, on ne regarde plus la télévision en allumant son poste, on la regarde quand on en a envie et on va chercher des contenus [6].

Ici, l’État doit clarifier la mission de la télévision de service public. Est-on en mesure de produire des programmes au niveau national voire européen qui seraient des programmes de qualité, exportables, visibles par les jeunes, etc. Aujourd’hui, les jeunes ne regardent plus la télévision mais ils accèdent à des contenus produits par la télévision sur Internet. La question des contenus est donc fondamentale.

Un corolaire important de cette question est celle de la restitution des droits de diffusion aux entités du service public. Est-ce que la télévision qui finance des productions peut les réexploiter ? Aujourd’hui, ce n’est pas le cas : les décrets Tasca obligent la télévision publique à n’être qu’une simple banque de financement des producteurs privés, qui disposent ensuite à leur guise des droits des programmes produits.

Propos recueillis par Bruno Dastillung

***

Annexe : Les données de l’équation…

- Motion de défiance
– « Faites-vous confiance à Delphine Ernotte pour préserver la qualité et les moyens de l’information à France Télévisions ? »
– Journalistes : 709  ; Votants : 607 (69%)
– Non : 83,77 % ; Oui : 8,95 % ; NSPP : 7,28 %

Delphine Ernotte, P.-D. G. FranceTV : « Je prends au sérieux la mise au vote d’une motion de défiance. Elle témoigne d’une inquiétude réelle et d’une demande d’équité dans la répartition des efforts. Nous y serons vigilants et attentifs. »

Clément Le Goff, président de la SDJ de France 2 : « Nous ne sommes pas contre le fait de faire des économies. On veut continuer à délivrer une information de service public de qualité. Informer, plutôt que distraire, devrait rester une priorité du service public. »

Plan d’économies 2018
– 50M€ pour 2018 (sur 2,57 Mds)
-180 ETP via non-remplacements et départs à la retraite (30 dans l’information)

Objectifs CAP 2022
– Gel dotation (@ 3,8 Mds €)
– « Rapprochement » entre France Télévisions et Radio France
– Fusion de France 3/France Bleu,
– Suppression de France Ô
– Passage de France 4 et Mouv’ à une diffusion 100 % numérique

Déclarations d’Emmanuel Macron (Télérama.fr)
– « L’audiovisuel public, c’est une honte pour nos concitoyens, c’est une honte en termes de gouvernance, c’est une honte en ce que j’ai pu voir ces dernières semaines de l’attitude des dirigeants. »
– « Parce que c’est très cher, pour une absence de réforme complète depuis que l’entreprise unique [à France Télévisions, ndlr] existe ; pour une synergie quasi-inexistante entre les différents piliers des entreprises publiques ; pour une production de contenus de qualité variable. »
– « Je n’accepterai jamais qu’une entreprise publique, quand on lui demande un effort (…) considère que la seule réponse serait d’augmenter la redevance, ou d’aller faire du lobbying en commission. »

par Bruno Dastillung, Fernando Malverde

Source Acrimed 26/12/2017

Voir aussi :  Rubrique  Médias,rubrique Education, rubrique Politique, rubrique Politique économique, Société civileSociété, Citoyenneté,

3 mai journée mondiale de la liberté de la presse

Déclaration des syndicats de journalistes français (SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes)

Dessin Tom Joseph

Dessin Tom Joseph

La liberté d’informer menacée par la vague réactionnaire en Europe :

Ne laissons pas faire !

 

Jamais la journée de la liberté de la presse n’aura pris une telle importance devant la montée en Europe, et maintenant en France, de la marée brune charriant les thèses de l’extrême-droite raciste et xénophobe, réactionnaire et ultralibérale.

La Pologne, après la Hongrie, est devenue le laboratoire grandeur nature des atteintes aux libertés publiques et parmi celles-ci, la liberté d’informer et d’être informé. Après la main mise des gouvernements ultra-conservateurs sur les médias publics, est désormais en ligne de mire l’asphyxie économique programmée des médias indépendants.Les journalistes, dignes de ce nom, y sont devenus des parias.

Aux frontières de l’UE, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan affiche le triste record d’être la plus grande prison au monde pour les journalistes : 150 de nos confrères sont détenus dans les prisons du régime de l’AKP. Pour mieux contrôler l’information, la plupart des médias sont sous la coupe du pouvoir et de ses alliés. Des milliers de journalistes sont privés d’emploi ou contraints à l’exil. Après le récent référendum marqué par le bourrage des urnes dénoncé par les observateurs internationaux, le « sultan » Erdogan a les pleins pouvoirs. Menaçant de réintroduire la peine capitale, osera-t-il assassiner des journalistes ?

Outre-Atlantique, le démagogue Donald Trump vilipende les journalistes en les désignant comme « ennemis » à la vindicte populaire. Ses services se font les champions des « fakenews » pour tromper l’opinion publique. En vain, heureusement jusqu’à présent.

Aujourd’hui, la France n’est pas épargnée par cette montée des idées identitaires, haineuses, xénophobes, homophobes et jour après jour grandissent les menaces sur les journalistes et la liberté d’expression. En témoignent, les pratiques du Front national et de la candidate Marine Le Pen lors de la campagne pour la présidentielle.Exclusion des médias qui déplaisent, violences et menaces contre les journalistes de la part des sbires du FN sur ordre des dirigeants lepénistes, une pratique bien connue de ce parti extrémiste. 

Deux ans après la tuerie de Charlie Hebdo et les grandes marches qui ont réuni des millions de manifestants pour crier haut et fort le droit à la liberté d’expression, les syndicats de journalistes SNJ, SNJ-CGT et CFDT Journalistes appellent la profession toute entière à prendre la mesure des dangers et les citoyens à se mobiliser pour leur droit d’être informés à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse, ce 3 mai.

Il y a urgence. Sans information libre, il n’existe par de démocratie réelle.

02/05/2017

Voir aussi : Actualité FranceLa guerre de l’info de Vincent Bolloré, Main basse sur l’information, Actualité Internationale, Ils se disaient « Charlie »…, La référence aux faits alternatifs de l’équipe Trump, Pour une protection européenne des lanceurs d’alerte, Un accident nucléaire, c’est la fin de la démocratie, rubrique Médias, rubrique SociétéAmnesty International fustige la prolifération des discours haineuxCitoyenneté,

Lettre ouverte au Président de la République des syndicats de journalistes

SNJ et SNJ-CGT

Monsieur le Président,

Les journalistes et leurs organisations syndicales sont mécontents; ils sont en attente depuis des mois de la nouvelle loi sur la protection des sources des journalistes, une des promesses du candidat François Hollande lors de sa campagne électorale.

Un projet, élaboré après plusieurs mois de travail avec les professionnels afin de compléter les dispositions de la loi votée sous le quinquennat précédent, demeure enfoui sur une étagère de l’Assemblée nationale.

La proposition de loi a été gelée peu avant le vote au Palais Bourbon sous pression du ministre de l’Intérieur de l’époque, Manuel Valls.

Les syndicats français avaient protesté à l’époque contre ce mauvais coup porté à la liberté de la presse.

Pour autant, ni le gouvernement Ayrault, ni ceux de Valls, ni le président de la République n’ont jugé utile de remettre sur le bureau de la représentation nationale le texte sur cette disposition essentielle pour le droit des journalistes.

Cette logique refléte-t-elle la volonté de ne pas remettre en cause les coups portés aux journalistes et au pluralisme des medias par Nicolas Sarkozy, l’ « ami » de tous les patrons des grands groupes privés de médias ?

Cette même logique « d’Etat » cacherait-elle d’autres objectifs moins avouables ?

La question vaut d’être posée car aujourd’hui rien n’a été fait pour sérieusement réformer le système des aides à la presse afin de garantir et préserver le pluralisme.

Pire on met en cause le devenir de l’AFP en sacrifiant volontairement la seule agence non anglo-saxonne aux règles du libéralisme (concurrence libre et non faussée), en amputant le budget de France Télévision, mettant ainsi en cause l’emploi de ses personnels et, en conséquence, la qualité de l’information.

Dans ce contexte, les syndicats français SNJ et SNJ-CGT dénoncent l’attaque récente de l’hebdomadaire Valeurs Actuelles contre nos deux confrères du quotidien Le Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, en publiant leurs sources supposées.

Cette situation est extrêmement préoccupante. C’est pourquoi à l’occasion de la journée européenne des syndicats de journalistes (DEBOUT POUR LE JOURNALISME) organisée à l’initiative de la Fédération européenne des journalistes (FEJ, 300.000 adhérents), les syndicats français SNJ et SNJ-CGT appellent le gouvernement et les parlementaires  à inscrire le projet de loi à leur agenda, pour qu’enfin notre pays soit doté d’une loi véritablement protectrice des sources, sans laquelle, les journalistes sont en danger et les medias mis dans l’incapacité d’informer complètement les citoyens.

La loi sur la protection des sources des journalistes doit être votée sans plus tergiverser.

Paris le 10/11/2014

Voir aussi : Rubrique Médias, rubrique Débat,

Matin chagrin à la Maison ronde

maison-ronde1

«Val démission ! Val démission !» En direct, hier, un peu après midi, le public du Fou du roi vient d’apprendre que Didier Porte est viré. A la fin de sa chronique, l’humoriste a indiqué avoir reçu une lettre recommandée lui annonçant son licenciement. Signée Philippe Val, le directeur de France Inter. Et les fidèles de l’émission de Stéphane Bern n’ont pas apprécié. Au point que l’antenne a résonné, donc, d’appels à la démission, huées incluses. Au point que Bern himself s’est fendu, et toujours en direct, d’un soutien à Didier Porte et s’est interrogé sur son propre avenir à France Inter. Deux heures plus tôt, dans un entretien au Monde, le président de Radio France, Jean-Luc Hees, annonçait qu’il éjectait Stéphane Guillon des ondes publiques. Il ne fait plus bon rire le matin sur France Inter.

Allégeance. La double éviction n’a pas fait marrer l’opposition qui, du NPA au Modem en passant par le PS, a dénoncé le licenciement des deux humoristes : François Bayrou jugeant que «la démocratie a besoin d’humoristes, même s’ils y vont parfois trop fort» et Martine Aubry défendant un «droit à la moquerie et même à l’outrance».

A Radio France, c’est la consternation. Le SNJ dénonce une «entreprise d’autodestruction» de la direction, tandis que, pour Sud, Hees et Val «sont les liquidateurs de l’indépendance, de la liberté de ton des antennes de la maison». Et c’est aussitôt le spectre élyséen qui fait son apparition : premier patron de l’audiovisuel public désigné par Nicolas Sarkozy, selon le nouveau pouvoir que le Président s’est arrogé par la loi de mars 2009, Jean-Luc Hees est poissé par ce mode de nomination, et le soupçon d’allégeance le suit comme son ombre

Au Monde, pourtant, Hees l’affirme : «J’assume.» «Si l’humour se résume à l’insulte, je ne peux le tolérer pour les autres mais aussi pour moi. […] J’ai un certain sens de l’honneur : je ne peux accepter que l’on me crache dessus en direct.» Val, qui n’a pas donné suite aux demandes d’interview de Libération, a abondé : «Où ailleurs peut- on supporter une chose pareille, se faire pourrir à l’antenne, c’était une atteinte à notre honneur et à notre considération en permanence», a déclaré à l’AFP l’ancien chansonnier et ex-directeur de l’hebdo satirique Charlie Hebdo.

Sûr que Stéphane Guillon et Didier Porte ne donnaient pas cher de leur peau. Guillon est dans le collimateur depuis qu’il a moqué Dominique Strauss-Kahn en infatigable coureur de jupons, en février 2009. La chronique déclenche alors l’ire élyséenne. Quand Jean-Paul Cluzel, alors président de Radio France, est remercié, Guillon en est l’une des causes. Du coup, à peine Hees désigné à la présidence de Radio France, il est déjà envisagé comme un tueur à gages de Guillon à la solde de Sarkozy.

Averto. Le cas de Didier Porte est plus récent : le 20 mai, il imagine un Dominique de Villepin atteint du syndrome de la Tourette (qui occasionne de brusques bordées d’injures) servant au Président de sonores «J’encule Nicolas Sarkozy !» L’affaire vaudra à Porte un avertissement et déclenchera une note de service de Val : défense de régler ses comptes à l’antenne, sinon, zou, averto. C’est que Stéphane Guillon – et dans une moindre mesure Didier Porte – ne se prive pas de rire à l’antenne de ses déboires avec sa direction. Une attitude de «petits tyrans», selon le terme de Hees.

Hier matin, la dernière chronique de Guillon a été applaudie dans le studio, à la demande de Nicolas Demorand. Avant même d’avoir la confirmation qu’il était viré, Guillon a livré un genre de testament radiophonique, raillant notamment «France Inter, une radio de gauche qui licencie comme la pire entreprise de droite».

Libération

Voir aussi : rubrique Médias : Recettes publicitaires en chute

Protestations après l’émission de Drucker sur la gendarmerie

druckerL’émission de Michel Drucker consacrée à la gendarmerie et diffusée mardi soir sur France 2 a fait des remous parmi des syndicats de journalistes et de policiers qui la qualifient d’«opération de communication» de la gendarmerie. Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes (SNJ) et représentante de France Télévisions, a déclaré à l’AFP être «choquée» par le «fait que la gendarmerie donne l’impression que le service public est à vendre». Dominique Achispon, secrétaire général du syndicat national des officiers de police (Snop, majoritaire), a estimé que le «service public a servi de centre de recrutement pour les gendarmes» ce qui a «ému de nombreux policiers».

Libération a révélé mercredi que l’émission, «Au coeur de la gendarmerie», avait été financée pour partie par la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) à hauteur de 350.000 euros. Avec cette émission, «la gendarmerie s’offre une campagne de communication à moitié prix», a ajouté Mme Pradalié. Interrogée par l’AFP, la DGGN a confirmé ce coût pour une «prestation de communication» s’inscrivant, selon elle, «dans (sa) stratégie de communication, d’image et de recrutement». Elle affirme avoir été contactée par la société de production de l’émission et qu’il s’agit d’un «partenariat comme tant d’autres» ajoutant qu’une campagne de communication, comme celle d’un recrutement, peut coûter jusqu’à 800.000 euros «nationalement sur une semaine».

Le Snop avait écrit à Michel Drucker peu avant la diffusion de l’émission pour se plaindre, arguant que désormais policiers et gendarmes sont rattachés au même ministère de l’Intérieur et qu’il pouvait résulter des «tensions». Il lui demandait de faire de même avec la police nationale et depuis, selon M. Achispon, il y a eu un «contact favorable dans ce sens» avec M. Drucker. «Au coeur de la gendarmerie», enregistrée dans le manège de la Garde républicaine à Paris, mêlant reportages réalisés avec des vedettes dans des services de gendarmerie et chansons, a été vue par 3,5 millions de téléspectateurs, loin derrière Dr House, sur TF1, qui en a rassemblé 8 millions, selon Médiamétrie.

AFP