L’homme qui insultait le monde entier

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Olivier Werner (Zucco) et Christiane Cohendy (sa mère)

Quand la déraison devient un art… Elle nous renvoie à la folie de notre vie ordinaire.

Qui n’a jamais rêvé de jeter son père par la fenêtre ? De tuer sa mère après l’avoir entendue pour la dernière fois vous ressasser les lignes morales de la conduite à suivre ? Roberto Zucco l’a fait à quinze ans. Ce sont ses premières victimes. Actes irréparables que les faits diversiers, gardiens de l’ordre adjoints, se plaisent à traduire comme de la violence inhumaine à grand coup de manchettes sur l’ennemi public numéro un. Acte fondateur pour un Koltès qui tombe en fin de vie sur un avis de recherche de l’assassin placardé dans le métro. « Je trouve que c’est une trajectoire d’un héros antique absolument prodigieuse », dira l’auteur qui suit le parcours de Roberto dans les détails jusqu’à son suicide dans un hôpital psychiatrique dans les mêmes conditions que son père.

Le mythe est là. Fasciné par le personnage, Koltès s’en saisit. La pièce sera créée à Berlin en 1990, un an après le décès de l’écrivain, mort du sida en avril 1989. En France la représentation sera interdite à Chambéry. Le vrai Roberto Succo ayant tué un policier originaire de cette ville.

Théâtre de révolte humaine

La mise en scène de Christophe Perton conjugue la transparence de l’intrigue et la complexité d’un développement intérieur plus abstrait. Elle saisit toute l’authenticité et la poétique de l’œuvre. Celle d’un personnage étranger à lui-même comme le suggère dès le départ l’extrait de America América d’Elia Kazan où un jeune Grec quitte sa terre natale devenue hostile pour le Nouveau monde. Roberto Zucco ne parle pas de lui. C’est un homme seul et sauvage qui défie le monde et brise les vies au gré des désirs pervers et contradictoires qui le mènent. Entre fulgurance et retenue, Olivier Werner ( Zucco) trouve le ton juste face au sincère désarroi… des autres.

Perton inclut sa matière humaine dans le petit théâtre de music hall qui tient lieu de décor. Les 18 comédiens sont là dès le début. Ils s’animent pour répondre à la convocation du destin, meurent et renaissent sur le plateau. La vitalité radicale et la puissance d’attraction de Zucco propulse une dynamique relationnelle inusitée. Comme elle renverse les thèmes et les commandements du christianisme. La limpidité du texte ouvre sur l’omniprésence du sacré dissimulé mais cependant perceptible. La scène solaire finale donne lumineusement le pendant au film de Kazan à travers la curieuse solidarité spirituelle des grands voyageurs.

Un voyage sans fard au cœur de l’humain, hautement conseillé, à ne pas situer sous le signe du déchirement ou de la culpabilité mais sous celui de la révélation. Le travail de Christophe Perton et la remarquable et subtile distribution restituent toute la richesse de l’œuvre en nous rappelant une évidence : l’être humain ne s’appartient pas.

Jean-Marie Dinh

Au Théâtre des Treize Vents