Le cinéma aime Marseille qui le lui rend bien

La Villa. Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascarine et Gérard Meylan, membre de la tribu de Robert Guédiguian.

Jean-Pierre Darroussin, Ariane Ascarine et Gérard Meylan, membre de la tribu de Robert Guédiguian dans la Villa.

Cinéma
La cité phocéenne séduit toujours les réalisateurs. Deux films projetés lors de la 39 édition du Cinemed à Montpellier témoignent d’un attachement sensible à la ville dont le dernier Robert Guédiguian  La Villa  à découvrir sur les écrans le 29 novembre prochain.

Le festival du  cinéma méditerranéen qui vient de s’achever à Montpellier a rendu un hommage mérité à l’oeuvre de Dominique Cabrera. L’occasion de saisir à quel point l’engagement social, politique et culturel traverse le parcours de cette réalisatrice née en Algérie. Les films de Dominique Cabrera intègrent des éléments documentaires dans une trame de fiction. Il en est ainsi de la grande grève de 1995 à la SNCF qui inspire Nadia et les hippopotames, mais aussi de son dernier film Corniche Kennedy (2016), une adaptation du roman  de Maylis de Karangal tournée à Marseille avec les jeunes des quartiers Nord. Un film splendide sur la ville et sa jeunesse qui se jettent de la corniche à corps perdu dans la grande bleue pour embrasser le mythe.

Corniche Kennedy

Corniche Kennedy

« Je voulais montrer ces adolescents dans leur élan vital, leur beauté, leur humanité, leur grâce, leur force, leur poésie, leur liberté. Ils ont vingt ans, l’âge des possibles. Malheureusement, l’un de ces possibles dans cette ville est d’être enrôlé dans le crime organisé. Mais il y a aussi d’autres possibles pour se libérer de leur destin social,» indique Dominique Cabrera. Après avoir séjourné à Marseille « le plus possible » afin de s’en imprégner, ce qu’elle retient et qu’elle donne  à voir dans son film tient en une phrase : « Cette ville suscite des passions. »

«La Villa» de Guédiguian en salle le 29 novembre prochain
Marseille toujours au cinéma, vécu par une autre génération, la bande à Robert Guédiguian, Ascaride, Darroussin, Meylan, que l’on retrouve dans son dernier film La Villa projeté en avant-première au Cinemed.

Dans une calanque près de Marseille, au creux de l’hiver, Angèle, Joseph et Armand, se rassemblent autour de leur père vieillissant qui vient d’avoir une attaque. C’est le moment pour eux de mesurer ce qu’ils ont conservé de l’idéal qu’il leur a transmis, du monde de fraternité qu’il avait bâti dans ce lieu magique, autour d’un restaurant ouvrier dont Armand, le fils aîné, continue de s’occuper.

Guédiguian est venu accompagné d’Ariane, il sourit quand on évoque Pagnol. « On me dit à gauche, lui ne l’était pas trop. Il reste néanmoins le plus connu des cinéastes français au monde. Il y a La Fille du puisatier et le discours de Pétain, mais aujourd’hui je rends à Pagnol ce qui appartient à Pagnol, le récit, le parfum, la lumière du midi, les contrastes, les adaptations de Giono. J’ai tendance à l’utiliser en l’inversant. Un ami m’a dit : tu fais rentrer Fassbinder chez Pagnol…»

Claudel, Brecht, Shakespeare, il est beaucoup question de théâtre dans La Villa. « C’est parce qu’il vit avec moi et que je suis une actrice de théâtre », taquine Ariane Ascarine. « Le théâtre est né avant le cinéma. Tous les problèmes du cinéma sont résolus par le théâtre avec les acteurs comme partie commune, ajoute le cinéaste, je me dis tous les jours que Marseille est un théâtre. Les gens pensent que j’habite là et que j’ai tourné la veille. Je passe pour un naturaliste, mais la maison dans le film,nous l’avons complètement recréé et j’ai traité la calanque comme un décor de théâtre

Les personnages du film semblent désillusionnés. Le petit paradis de leur enfance s’est asséché et avec lui leurs idéaux jusqu’à l’arrivée de très jeunes migrants qui va faire basculer le sens de leur vie…  « Ce sont des gens qui ont été bien élevés et qui se retrouvent en manque de cause, indique le réalisateur. Il faut vivre pour soi et pour les autres. La question, presque abstraite des réfugiés, peut être une nouvelle cause à embrasser. L’Occident va mourir de cholestérol. Nous allons mourir de notre richesse. Cet événement qui s’impose à eux les remet en jeu pour une cause universelle. Même si on ne parvient jamais à changer le monde. Dans le film, il y a cette métaphore du chemin de l’émancipation. Il faut débroussailler pour entretenir l’accès ou ouvrir de nouvelles voies.»

Marseille est le berceau d’un grand nombre d’acteurs et de réalisateurs. Parmi eux Robert Guédiguian cultive depuis des décennies ce cadre spécifique avec ses acteurs. On retrouve dans La Villa un extrait de Ki lo sa ? (1985), réunissant trente ans plus tôt les trois acteurs qui forment ici la fratrie. Son dernier opus ne déroge pas à la règle et pourrait même boucler la boucle. «Nous sommes nés à Marseille une citée fondée par l’arrivée des étrangers.»

JMDH

Source La Marseillaise 04/11/2017

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« Une histoire de fou », de Robert Guédiguian : Un cheminement vers une position juste

arton32889-98484En s’emparant d’un fait réel, Une histoire de fou pose des questions cruciales sur le génocide et la lutte armée.

« C’est joli Anouch comme prénom, c’est vrai, on pense à une très jeune fille », souffle Gilles (Grégoire Leprince-Ringuet) à la femme, Anouch (Ariane Ascaride), qui dîne avec lui et, à ces paroles, sourit. Tous deux sont là, dans la tiédeur libanaise, en pleine guerre civile. Leur tête-à-tête est a priori improbable. Parce que Gilles, par un hasard malencontreux, a été grièvement blessé aux jambes dans un attentat commis à Paris par des militants arméniens, et qu’Anouch est la mère de celui qui a déclenché l’explosif. Son fils, Aram (Syrus Shahidi), s’est réfugié à Beyrouth pour y continuer, avec d’autres, la lutte. C’est que Robert Guédiguian, s’emparant d’un fait réel concernant le génocide arménien et les conséquences de sa non-reconnaissance par la Turquie, cherche, comme toujours, au sein de ses héros ce qui les élève.

Ainsi, Aram est tourmenté par son erreur et refuse de poser d’autres bombes risquant d’atteindre des innocents. Gilles, après un mouvement de rejet, veut comprendre, pour donner sens à sa souffrance, ce qui pousse ces Arméniens à la violence. Et Anouch a puisé au fond d’elle-même la force de se présenter face à Gilles. Les mères tiennent un rôle prépondérant dans le cinéma de Robert Guédiguian. Mais ici, il a dessiné un personnage qui n’avait chez lui jamais eu cette ampleur : une mère qui partage son amour entre le bourreau (son fils) et sa victime (Gilles). C’est la figure d’une mère universelle, qui permet non pas une illusoire réconciliation, mais de faire cheminer chacun, malgré le drame, vers une position juste. Ariane Ascaride et Grégoire Leprince-Ringuet forment ainsi un duo exceptionnel, de la même manière que Simon Abkarian est bouleversant en père aimant mais désapprouvant son fils activiste, tout en impuissance et souffrance silencieuse.

Ainsi l’émotion ne cesse d’affleurer dans ce film qui se confronte à des questions cruciales, comme celle des moyens de la lutte armée au service d’une cause indiscutable, mais aussi à la manière dont on réapprend à vivre après avoir été victime d’un attentat, ou encore à la question de la représentation au cinéma de scènes de génocide. Une question que Robert Guédiguian a résolue par un prologue en noir et blanc dont l’action se déroule au lendemain des massacres. Cette ouverture, constituée quasi exclusivement de scènes de tribunal, n’a pas moins de force que la suite, tant le cinéaste a réussi à y convoquer la présence tragique des fantômes des disparus. Qui hanteront à jamais leurs descendants.

Christophe Kantcheff

Source : Politis 04/11/2015

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