Rénovation urbaine et changement social. Entretien avec Henri Coing

arton1155-4346bHenri Coing est l’auteur dans les années 1960 d’une enquête, devenue un classique en sociologie et en études urbaines, sur la rénovation urbaine d’un quartier populaire parisien. Dans cet entretien réalisé en janvier 2017, il évoque son histoire personnelle, son parcours et la manière dont son étude éclaire les politiques contemporaines de rénovation urbaine.

En 1966, Henri Coing publie Rénovation urbaine et changement social ; l’ouvrage est tiré de sa thèse de sociologie fondée sur une enquête de trois ans dans un quartier du 13e arrondissement de Paris (l’îlot n° 4, entre les rues Jeanne-d’Arc et du Château-des-Rentiers) en cours de rénovation urbaine. À partir de cette monographie de quartier exemplaire, l’auteur montre la manière dont une transformation architecturale et urbanistique vient bouleverser la communauté de quartier, ses modes de vie, ses aspirations et les relations entre ses membres. Il souligne les orientations et l’impact de cette politique, qui, en transformant la morphologie d’un îlot, finit par modifier son peuplement et affecter les liens de ceux qui y vivent. En se gardant de surestimer le rôle de l’espace dans les processus de changement social, Henri Coing décrit comment la rénovation urbaine agit comme un révélateur et un accélérateur de mutations déjà en cours, permettant de saisir à la façon d’un précipité les transformations sociales, urbaines, économiques et démographiques qui bouleversent la société française au cours des Trente Glorieuses.

Cet entretien est l’occasion de revenir sur l’histoire familiale et le parcours intellectuel, peu connus, de l’auteur de Rénovation urbaine et changement social. Issu d’une famille bourgeoise de Saint-Étienne de culture chrétienne démocrate et fils d’un ingénieur des mines, Henri Coing est marqué par l’influence du catholicisme social et des luttes ouvrières de sa jeunesse stéphanoise qui participent à sa politisation et alimentent son intérêt pour les questions sociales. Se destinant à devenir prêtre-ouvrier, c’est par le biais des réseaux jésuites qu’il s’engage dans une thèse de sociologie sur la question des transformations urbaines du 13e arrondissement de la capitale. Il réalise celle-ci sous la direction de Paul-Henry Chombart de Lauwe, directeur d’étude à la VIe section de l’École pratique des hautes études (EPHE, devenue en 1975 l’École des hautes études en sciences sociales, EHESS) et directeur du Centre d’étude des groupes sociaux (CEGS), rebaptisé en 1966 Centre de sociologie urbaine (CSU) [1]. Depuis le début des années 1950, celui-ci promeut la reconnaissance académique de la sociologie urbaine en France, en conduisant des enquêtes collectives sur l’espace parisien et sur les modes de vie ouvriers, tout en jouant un rôle d’expertise auprès des administrations d’État, soucieuses de bénéficier de l’aide des sciences sociales pour éclairer leurs décisions d’aménagement et d’urbanisme. Cette démarche dans laquelle la recherche en sociologie urbaine n’a de sens qu’en lien étroit avec l’action publique est aussi celle qui, à partir de sa thèse, imprègne la trajectoire d’Henri Coing [2]. Après avoir achevé ses études théologiques, ce dernier s’éloigne progressivement de sa vocation religieuse pour occuper des emplois de chercheur : d’abord en bureau d’étude (au Groupe de sociologie urbaine de Lyon à la fin des années 1960, puis à Paris au CERAU – Centre d’études et de recherches pour l’aménagement urbain – et au BETURE – Bureau d’études techniques pour l’urbanisme et l’équipement), puis comme enseignant-chercheur à l’Institut d’urbanisme de Paris à partir de 1974 [3].

Au-delà du contexte intellectuel des années 1960 et de sa filiation avec son ancien directeur de thèse, Henri Coing revient au cours de l’entretien sur ses rapports avec les tenants du courant de la sociologie urbaine marxiste, très vigoureux dans les années 1970, en particulier Manuel Castells et Francis Godard, et sur les divergences et complémentarités avec ceux qui ont comparé la politique de rénovation urbaine à une « rénovation–déportation » des classes populaires vers la périphérie des villes [4] et qui inscrivaient leurs travaux dans le cadre d’une analyse marxiste critique du rôle de l’État [5].

Dans la dernière partie de l’entretien, Henri Coing évoque les principaux enseignements de son enquête sur la rénovation urbaine de l’îlot n° 4 du 13e arrondissement ; il décrit comment cette politique a précipité la disparition du mode de vie et de la solidarité qui animaient la communauté de ce quartier populaire en fragilisant le sentiment d’un « destin commun » qui unissait le groupe ouvrier. Rappelant les spécificités du contexte de l’après-guerre, marqué par les privations et les difficiles conditions matérielles d’existence, il souligne le « saut qualitatif » qu’avait alors pu représenter la transformation de l’habitat imposée par les aménageurs aux habitants. Par contraste, ces constats permettent d’éclairer les enjeux contemporains de la rénovation urbaine et les raisons de la faible adhésion des habitants des quartiers populaires à cette politique publique [6].

Emmanuel Bellanger & Pierre Gilbert

Notes

[1] Pour aller plus loin sur l’histoire du CSU et son rôle dans la sociologie urbaine en France, voir Christian Topalov. 1992. « Le Centre de sociologie urbaine (CSU) », Politix, n° 20, p. 195?201.

[2] Au cours de sa carrière, Henri Coing rédigera une trentaine de rapports et siégera dans plusieurs instances de recherche et d’évaluation. De 1983 à 1986, il sera membre du Conseil national d’orientation du programme Urbanisme et technologies de l’habitat (UTH). Il occupera de 1991 à 1997 les fonctions de directeur du Réseau socio-économie de l’habitat, regroupant 23 laboratoires, associé au CNRS et financé par le ministère du Logement. Il siégera également de 1991 à 1992 au sein d’un comité ministériel d’évaluation de la politique de réhabilitation des HLM (PALULOS – prime à l’amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale) et sera membre du comité directeur du Plan Construction et Architecture de 1995 à 1998.

[3] Henri Coing dirige de nombreuses thèses. Il est à l’origine de la création du laboratoire Tiers-Monde en 1976 et est désigné responsable du DESS de 1989 à 1994. De 1982 à 1986, il est également à la tête du département Urbanisme, transport et environnement de l’École nationale des ponts et chaussées.

[4] Manuel Castells et Groupe de sociologie urbaine de Nanterre. 1970. « Paris 1970 : reconque?te urbaine et re?novation–de?portation », Sociologie du travail, n° 4, p. 488?514.

[5] C’est notamment le cas de l’enquête sur Dunkerque, à partir de laquelle Manuel Castells et Francis Godard ont publié l’ouvrage Monopolville : analyse des rapports entre l’entreprise, l’État et l’urbain à partir d’une enquête sur la croissance industrielle et urbaine de la région de Dunkerque (Paris : Mouton/EPHE, 1974), cité par Henri Coing. À partir de la même enquête collective à Dunkerque, Henri Coing publie en 1977 le livre Des patronats locaux et le défi urbain (Paris : Éditions du Centre de recherche d’urbanisme (CRU)).

[6] Focalisé sur la rénovation urbaine et les transformations sociales, cet entretien ne met pas en lumière les missions à l’étranger conduites par Henri Coing et ses deux autres champs d’investissement et d’activité : l’étude du marché de l’emploi réalisée dans les années 1970 et 1980 et des services urbains en réseau (eau, assainissement, déchets, électricité) menée à partir des années 1990 dans les pays du tiers-monde et en Europe.

Source Metropolitics 06/11/2017

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Rénovation urbaine du quartier Petit-Bard Pergola. Se méfier des étincelles

C’est non sans satisfaction qu’Hélène Mandroux a signé hier avec l’Anru, (agence de rénovation urbaine) les bailleurs sociaux, les co-propriétaires, la caisse des Dépôts, l’ANAH et l’Etat un contrat pour la réhabilitation du Petit Bard

L’accord de principe obtenu en mars par le maire de Montpellier avec l’ANRU a été le déclencheur de l’opération qui concerne aussi le quartier Mosson, et le quartier centre. Soit 21% de la population montpelliéraine. Le projet de rénovation urbaine du Petit Bard-Pergola (quartier Cévennes) signé hier a plusieurs objectifs. Il doit notamment améliorer les conditions de logement des habitants, ouvrir le quartier sur la ville, et redresser le fonctionnement et la gestion des copropriétés depuis longtemps laissés en désuétude.

Le contenu du programme prévoit la démolition de 483 logements sur les 864 actuels et leur reconstruction sur le site ainsi que la réhabilitation de 371 logements (99 logements publics et 272 logements privés). Le détail de la mise en œuvre est quant à lui plus complexe. ACM qui a repris en main par la force des choses la gestion sur le Petit Bard a lancé une opération d’acquisition. L’office public dispose aujourd’hui de 200 logements et entend intensifier sa démarche. Mais l’offre faite aux propriétaires selon l’évaluation des domaines paraît peu séduisante. « A l’avenir le Petit bard sera éclaté en neuf petites copropriétés » a annoncé le maire pour se garder de nouvelles dérives.

Dans le climat actuel des zones urbaines les signataires en présence ont lissé leur discours. « La rénovation urbaine est un dossier qui s’impose à nous tous. A nos postes d’élus responsables, nous savons tous qu’une étincelle suffit pour faire repartir le feu, » a introduit Hélène Mandroux. Très à l’aise, le président de L’ANRU Jean Paul Aduy, a su profiter de cette ambiance consensuelle pour vanter les mérites du plan Borloo en glissant sans se voir contredire que « le problème de la rénovation urbaine n’était pas financier. » Plus précis, le Préfet Thénault a souligné que la clef de réussite reposait autant sur le bâti que sur la considération des habitants en rappelant qu’il fallait prendre en compte l’ensemble du problème. « L’offre de relogement ne doit pas nous exonérer d’accroître l’offre de logement a-t-il prévenu en rappelant les besoins, ne pas les prendre en compte nous conduirait à ne plus faire de l’habitat mais de l’hébergement d’urgence

Force est de constater qu’Hélène Mandroux qui a toujours défendu le dossier marque des points avec cette première concrétisation. Le maire a su faire valoir sa détermination en ferraillant contre les réticences du président du conseil d’Agglo qui refusait il y a peu de soutenir le projet. Cette divergence qui met en jeu la question des limites de la responsabilité publique avait marqué la première crise entre Hélène Mandroux et Georges Frêche. C’est sans doute pourquoi le maire a bien pris soin hier de remercier le président de l’Agglo ainsi que celui du Conseil général, mais la part financière des bailleurs sociaux estimée à 63% du budget semble toujours être l’objet de négociations. La mise en œuvre de la réhabilitation et la gestion de la mixité urbaine restent un enjeu majeur pour l’avenir. D’autant que ce premier pas salué comme une grande avancée ne présente pour l’heure aucune visibilité pour les habitants.

Jean-Marie DINH

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