Droit du travail : le rapport Combrexelle privilégie davantage les accords de branche

Le rapport Combrexelle sur la réforme du droit du travail est remis ce mercredi au Premier ministre. Il contient 44 recommandations. Il reviendrait notamment à des accords de branche de fixer « un ordre public conventionnel qui s’appliquerait à l’ensemble des entreprises du secteur ». Le rapport reste prudent sur la question des heures supplémentaires au-delà des 35 heures de travail.

Reformer le droit du travail en donnant davantage de poids aux accords d’entreprise afin de mieux coller aux réalités du terrain. Telle est la volonté du Président de la République et du Premier ministre. Pour ce faire, Manuel Valls va pouvoir s’appuyer sur les conclusions du rapport de Jean-Denis Combrexelle, Conseiller d’Etat et ancien directeur général du travail, qui lui seront remises ce mercredi et dont la Tribune a pu avoir  connaissance. C’est au printemps dernier que le Premier ministre avait confié à la commission présidée par Jean-Denis Combrexelle, le soin de réfléchir à la façon « d’élargir la place de l’accord collectif dans notre droit du travail ». Un thème très à la mode qui a donné lieu à de nombreux autres rapports ces derniers mois. Il y a ainsi eu la publication « du manifeste » du cabinet d’avocats Capstan, puis le rapport de l’Institut Montaigne, puis encore celui du think tank Terra Nova qui a publié une étude sur ce sujet, rédigée par l’économiste Gilbert Cette et l’avocat en droit social Jacques Barthélémy.

Prédominance de l’accord d’entreprise sur la loi

Tous ces travaux vont peu ou prou dans le même sens : il faut remettre en cause la hiérarchie des normes et faire prévaloir l’accord d’entreprise, ce n’est qu’à défaut d’accord – d’entreprise ou de branche – que la loi s’appliquerait. Elle ne serait donc plus que supplétive. A l’exception de quelques règles d’ordre public, les accords d’entreprise, dont la durée serait limitée à quatre ans,  dès lors qu’ils sont majoritaires, c’est-à-dire signés par un ou des syndicats ayant obtenu au moins 50% des suffrages lors des dernières élections professionnelles, pourraient aborder tous les sujets et les salariés ne pourraient pas refuser les conséquences de l’accord sous peine d’être licenciés. Et il s’agirait alors d’un licenciement sui generis, ce qui signifie que le simple refus de l’accord constituerait une cause réelle et sérieuse du licenciement.

Les 44 propositions du rapport Combrexelle s’inscrivent également dans cette voie mais avec d’avantages de garde-fous notamment via les accords de branche. Tout comme l’Institut Montaigne, le rapport Combrexelle propose d’inscrire dans la Constitution les principes de la négociation collective. Surtout, il préconise que dans un délai maximal de quatre ans soit élaborée une nouvelle architecture du Code du travail « faisant le partage entre les dispositions impératives, le renvoi à la négociation collective et les dispositions supplétives en l’absence d’accord ».

Cantonner la loi aux dispositions d’ordre public et négocier dans les branches « l’ordre public conventionnel »

A l’instar donc des autres rapports, la mission Combrexelle veut cantonner le caractère impératif de la loi aux dispositions d’ordre public, qui tiennent souvent à des engagements internationaux de la France. Par exemple, c’est une directive européenne qui fixe à 44 ou 48 heures (selon les cycles de travail) la durée hebdomadaire maximale. Il ne serait pas question d’y déroger. Pas question non plus de de toucher au Smic, contrairement à ce que préconise le duo Cette/Barthélémy.

Mais à la différence des autres rapports, Jean-Denis Combrexelle met en avant les accords de branche. A cet égard, il souhaite que dans un délai de trois ans, le nombre des branches professionnelles soit singulièrement diminué, passant d’environ 800 à une centaine. Dans son esprit, il reviendrait aux accords de branche de définir « l’ordre public conventionnel qui s’applique à l’ensemble des entreprises du secteur et qui est opposable, sous réserve de l’application du principe de faveur, à l’ensemble des accords d’entreprise ».

En d’autres termes, c’est au niveau de la branche, donc de la profession, que les règles du droit du travail seraient définies. Jean-Denis Combrexelle estime même qu’il y a « urgence sociale et économique » à redéfinir ces règles dès 2016 dans quatre domaines : temps de travail, salaires, l’emploi et les conditions de travail. Les accords d’entreprise devraient respecter les règles de base fixées au niveau de la branche, quitte à les adapter. Mais ils ne pourraient pas contenir de dispositions moins favorables aux salariés. Par exemple, si un accord de branche estime que la durée maximale du travail hebdomadaire ne doit pas dépasser 42 heures, un accord d’entreprise ne pourrait pas prévoir une durée supérieure. C’est une différence majeure avec les rapports précédents qui laissaient les mains quasi libres à l’accord d’entreprise.

Par ailleurs, le rapport Combexelle fait aussi prédominer l’accord d’entreprise sur le contrat de travail mais dans des cas « limités » :

« Lorsque l’emploi est en cause et que l’accord vise à le protéger, le maintenir, le préserver et le développer, l’accord et l’intérêt collectif qu’il incarne priment sur l’intérêt individuel ».

Concrètement, en cas de refus d’un salarié des conséquences de l’accord, il serait licencié mais avec des indemnités spécifiques moins attractives que celles prévues par la convention collective.

Limiter le « moins disant social »

Le rapport Combrexelle ne va donc pas aussi loin dans le « tout accord d’entreprise » que les travaux antérieurs. Il fait jouer un rôle à la branche. Ceci va en partie dans le sens de ce que réclamaient  les organisations patronales UPA et CGPME qui faisaient remarquer que dans la plupart des cas le fait syndical est absent des PME/TPE – 98% des entreprises ont moins de cinquante salariés – il y a donc une impossibilité de négocier et de signer un accord majoritaire. La branche peut permettre de contourner cet obstacle.

En outre, la négociation au niveau de la branche aura au moins le mérite de limiter les distorsions de concurrence et de freiner la course au « moins disant social » ou au dumping social.

La question des heures supplémentaires

Mais il reste des zones d’ombre, notamment sur la question de la durée du travail. Lors de sa conférence de presse, François Hollande a martelé qu’il n’était pas question de revenir sur la durée légale de 35 hebdomadaires, c’est-à-dire le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Mais il a ajouté « une fois que les garanties ont été posées, nous pouvons ouvrir des négociations pour adapter ». Est-ce à dire que des accords de branche/entreprise majoritaires pourront fixer le seuil de déclenchement des « heures sup » à 36 heures, 37 heures, voire au-delà ? Le rapport Combrexelle le suggère mais sans oser le dire clairement… Déjà, depuis les lois Aubry des 35 heures et surtout depuis la loi Bertrand de 2008, il est possible de déroger à ce seuil en recourant à diverses formes d’organisation particulières du travail : forfaits jours, organisation du travail en cycles annuels, etc. En revanche, il n’est pas possible, en cas d’organisation « classique », de déroger à la bonification pécuniaire (d’au moins 10%) des « heures supplémentaires » à compter de la 36ème heure de travail. C’est tout l’enjeu des « 35 heures ».

Dans les jours qui viennent, le gouvernement et l’Elysée vont examiner à loupe les préconisations du rapport Combrexelle. Puis, les idées retenues seront soumises à la concertation des organisations patronales et syndicales, c’est obligatoire depuis une loi Larcher de 2007 sur le dialogue social, mais pas forcément à la négociation qui, elle, n’est pas obligée. Ensuite, pour aller vite, François Hollande l’a rappelé lors de sa conférence de presse, il y aura un projet de loi déposé sur cette question « dans les mois prochains ».

Source ;: La tribune 08/09/2015

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