« Infox » au Brésil : comment les fausses informations ont inondé WhatsApp

d67cd65_cjk-ERRFAZph2qZYZdl9mZYmLe scrutin présidentiel brésilien est un exemple inédit de propagation de « fake news » et de propagande politique sur l’application de messagerie appartenant à Facebook.

S’il fallait une preuve finale que la désinformation et la propagande politique peuvent se propager à travers l’application WhatsApp, les élections présidentielles brésiliennes en ont offert un exemple inquiétant. Le second tour du scrutin est prévu dimanche 28 octobre et oppose Fernando Haddad (Parti des travailleurs – PT, à gauche) et Jair Bolsonaro (Parti social libéral – PSL, extrême droite).

Depuis des semaines, le rôle et l’influence de WhatsApp font partie des thématiques de campagne, alors que des millions de messages à teneur politique circulent dans les poches des électeurs à travers cette messagerie appartenant à Facebook depuis 2014.

« Des centaines de millions de messages »

Au point où, le 18 octobre, la gauche brésilienne a demandé l’ouverture d’une enquête auprès du Tribunal supérieur électoral brésilien. Le Parti des travailleurs et ses alliés suspectent leurs adversaires politiques d’avoir orchestré une campagne de désinformation à l’encontre de Fernando Haddad et du PT, à travers des messages envoyés sur WhatsApp.

Une multitude de groupes

En quelques années, WhatsApp a largement dépassé son cadre initial de « messagerie privée » et est devenue une solution de communication publique majeure. Cela s’est traduit par une utilisation intensive de l’application à des fins de communication politique lors de l’élection présidentielle. Bien sûr, elle n’a pas remplacé les autres réseaux sociaux : le candidat d’extrême droite, Jair Bolsonaro, a bien construit une bonne partie de sa communication sur Facebook, YouTube, Instagram et Twitter, où il cumule près de 17 millions d’abonnés.

Cette demande a eu lieu au lendemain des révélations du quotidien Folha de S. Paulo, selon lesquelles quatre services spécialisés dans l’envoi de messages en masse sur WhatsApp (Quick Mobile, Yacows, Croc Services, SMS Market) ont signé des contrats de plusieurs millions de dollars avec des entreprises soutenant la campagne de Jair Bolsonaro. Ces services spécialisés sont capables d’envoyer « des centaines de millions de messages » par WhatsApp, indique le quotidien. La diffusion de tels messages est de nature à être épinglé par la loi brésilienne. « Le financement de campagne électorale par des entreprises privées est illégal. Il est question de fraude », a réagi un membre du PT.

Un autre usage illégal de WhatsApp proviendrait du fait qu’un parti politique ne peut, au Brésil, envoyer des messages qu’aux personnes recensées dans ses bases de données de sympathisants. Or, les entreprises spécialisées citées par le Folha de S. Paulo proposaient également des forfaits d’envois de messages à des listes d’utilisateurs WhatsApp qu’elles fournissaient elles-mêmes, et dont l’origine reste incertaine. Le quotidien évoque des listes de numéros obtenues « illégalement à travers des compagnies téléphoniques, ou de recouvrement de dettes ».

En réaction aux révélations du Folha de S. Paulo, WhatsApp a fermé « 100 000 comptes utilisateurs » associés aux quatre entreprises concernées, et leur a demandé de ne plus envoyer de messages en masse de la sorte.

Une application qui a remplacé les e-mails

Autant de chiffres donne le tournis. Du point de vue des utilisateurs français, un tel usage de WhatsApp à des fins de propagande électorale massive peut surprendre, alors qu’ils sont plus souvent habitués aux conversations privées, aux groupes rassemblant des collègues ou des membres de leur famille.

L’utilisation de WhatsApp est bien différente au Brésil, tant la messagerie y est populaire. En mai 2017, il s’agissait du deuxième pays le plus utilisateur de WhatsApp au monde, derrière l’Inde : 120 millions de personnes avaient alors un compte actif, sur 210 millions de Brésiliens.

« L’application est utilisée par tous les secteurs de la société. Elle a complètement remplacé les e-mails », commente Claire Wardle, directrice exécutive chez First Draft. Ces derniers mois, cette association internationale de journalistes et de chercheurs a travaillé au Brésil dans le cadre du projet collaboratif Comprova, qui collecte et dément les fausses informations qui circulent sur WhatsApp.

En 2016, une étude du Harvard Business Review indiquait que 96 % des Brésiliens ayant un smartphone utilisaient WhatsApp en priorité pour envoyer des messages. Dans un pays où les SMS coûtaient très chers, le succès de l’application, légère, rapide, et fonctionnant sur tous les modèles de smartphones, a tenu à la possibilité de s’envoyer des messages par un réseau Wi-Fi ou 3G.

Mais cela s’explique aussi par une politique agressive de la part de Facebook pour s’imposer dans les smartphones au Brésil, selon Yasodara Cordova, chercheuse en désinformation numérique à l’université d’Harvard, qui a écrit sur le sujet dans The Intercept. « 60 % des Brésiliens utilisent des forfaits prépayés, avec des limitations, mais dans lequel ils ont un accès gratuit permanent à WhatsApp et à Facebook grâce aux accords passés entre Facebook et des sociétés téléphoniques », explique-t-elle au Monde.

Sur WhatsApp, en revanche, une diffusion « verticale » de l’information depuis un compte amiral comme sur Facebook ou YouTube est impossible. Le fonctionnement de l’application n’autorise que des conversations de groupes de 256 personnes maximum : il empêche le développement de fils de discussion géants, et alimentés par des administrateurs WhatsApp qui disposeraient d’audiences considérables.

Résultat : la circulation de l’information sur WhatsApp est extrêmement fragmentée au travers des multitudes de groupes. « Les équipes de campagne ont été très fortes pour créer de multiples groupes de 256 utilisateurs, qui diffusent du contenu identique », explique Mme Wardle. La viralité d’un message ou d’une vidéo a lieu ensuite grâce au transfert de messages de groupes en groupes, que chaque utilisateur peut faire en un coup de pouce.

« La taille moyenne d’un groupe WhatsApp au Brésil est de six personnes, continue Claire Wardle. En ce qui concerne les fausses informations que nous repérons, elles circulent dans tout type de groupes. Elles peuvent partir d’un grand groupe, puis se transmettent de groupes de plus en plus petits, par l’action de chaque utilisateur, avec des transferts de messages. Elles atterrissent finalement dans des groupes WhatsApp vraiment petits, mais où les gens se font vraiment confiance. »

Un fonctionnement qui rappelle le principe de transfert de messages par e-mail, appliqué à l’écosystème de WhatsApp. Selon El Pais, qui reprend l’article de chercheurs ayant étudié pendant des mois le phénomène de viralité dans quatre-vingt-dix groupes, les techniques pour diffuser au maximum des messages sont bien rodées : des militants organisent le partage de messages, ou ciblent des régions précises du pays en étudiant les préfixes téléphoniques.

L’Agence France-Presse donne l’exemple d’un partisan de Jair Bolsonaro qui disait recevoir environ 500 messages WhatsApp par jour, pour et contre les deux candidats du second tour. « Cela ne fait pas de différence pour moi, a-t-il expliqué. Mais ma mère a reçu un message disant que Bolsonaro supprimerait le treizième mois et elle l’a cru. »

Le phénomène est global, et a concerné tous les camps politiques brésiliens pendant la campagne, quels que soient les candidats. Dans un reportage diffusé par la BBC en septembre, une journaliste ayant étudié des « milliers de groupes WhatsApp » montre aussi l’exemple d’une rumeur mensongère sur l’état de santé du candidat d’extrême droite Bolsonaro.

Des rumeurs visuelles

« Le jour du premier tour, nous avons aussi vu sur WhatsApp des fausses informations sur le processus de vote, des gens qui expliquaient par exemple que les machines de vote étaient cassées, etc. Soit le même genre de fausses informations qu’on a vu circuler aux Etats-Unis en 2016 », explique Claire Wardle, de First Draft.

En tout, depuis le mois de juin, la cinquantaine de journalistes réunis dans le projet Comprova a recensé plus de 60 000 messages signalés directement par des utilisateurs de WhatsApp, auxquels les journalistes ont répondu, tant bien que mal. Dans le New York Times, les responsables de Comprova disent aussi avoir recensé « 100 000 images à caractère politique » dans 347 groupes WhatsApp les plus populaires qu’ils ont pu intégrer grâce à des liens d’invitation.

Parmi les cinquante images les plus virales au sein de ces groupes, 56 % d’entre elles sont de fausses informations ou présentent des faits trompeurs, selon eux. « Les fausses informations sur WhatsApp sont plus visuelles qu’ailleurs : il y a beaucoup de mèmes, qui appuient sur des réactions émotionnelles autour de sujets comme l’immigration, les crimes, ou les croyances religieuses, pour créer des tensions », confirme Mme Wardle.

Ceci alors que l’utilisation de WhatsApp se fait principalement sur un écran de téléphone, et que le contexte accompagnant la photo et la vidéo, de même que son origine, sont rarement présents. Application conçue avant tout pour smartphone, WhatsApp favorise la diffusion de messages vidéo enregistrés en mode selfie, où l’on écoute une personne parler, sans avoir de titre de la vidéo, d’informations sur son origine, son nombre de vues, ou même l’identité de l’interlocuteur.

Rumeur sur l’« idéologie de genre »

Parmi les nombreuses rumeurs recensées par Claire Gatinois, correspondante du Monde au Brésil, celle du « kit gay » que Fernando Haddad, le candidat du PT, voudrait généraliser dans les écoles pour enseigner l’homosexualité au primaire. Une fausse intention, comme l’explique El Pais, mais régulièrement diffusée par les soutiens de Jair Bolsonaro.

Un utilisateur de WhatsApp au Brésil a pu ainsi recevoir, au gré des partages de groupes en groupes, un tract électoral dénonçant l’« idéologie de genre » dans les écoles, avec la photographie du candidat Haddad. Comme si on lui donnait ce tract dans la rue sans davantage d’explications.

Pour des informations supplémentaires ou du contexte, il devra se rendre sur un navigateur Internet et chercher lui-même ce qu’il en est. Ce que ne favorise pas WhatsApp. « L’application n’a pas été conçue au départ pour diffuser de l’information avec une telle ampleur. C’est avant tout une messagerie privée », abonde la chercheuse d’Harvard, Yasodara Cordova.

Elle explique que « la présentation d’une fausse information sur WhatsApp est souvent différente » d’autres plates-formes, citant une rumeur de bourrage d’urnes électroniques démentie par les fact-checkeurs de Comprova. Alors que le post Facebook dénonçant la supposée tricherie est accompagné de vidéos, la version WhatsApp de la rumeur ne fait, elle, que reprendre le texte annonçant « des urnes déjà achetées pour l’élection de 2018 ».

Des messages impossibles à identifier et réguler

Face à ce phénomène, la réponse de Facebook et WhatsApp est pour le moins timorée. Si Facebook mène la guerre aux infox sur son réseau social depuis l’élection présidentielle américaine de 2016 (notamment en participant au financement de projets de « fact-checking » comme Comprova), il ne peut appliquer ses mesures habituelles de tentatives d’endiguement sur WhatsApp.

La raison avant tout technique. L’une des fonctionnalités clés de WhatsApp est son chiffrement de bout en bout, qui empêche WhatsApp, ou n’importe quel service tiers connecté à l’application, de lire ou de rechercher le contenu des messages échangés par l’application, groupes inclus. Ce chiffrement robuste fait de WhatsApp l’une des applications grand public les plus respectueuses des communications privée des utilisateurs. Mais il rend aussi impossible toute régulation, observation centralisée ou modération des phénomènes problématiques. Ce que Mark Zuckerberg lui-même a reconnu être un problème « difficile ».

Il est impossible, par exemple, d’entraîner un logiciel d’intelligence artificielle à détecter automatiquement des messages problématiques ou violant les règles d’utilisation de la plate-forme, comme ce qui existe sur Facebook. Concernant les fausses informations, les mesures prises par Facebook depuis 2016 (signalement par les utilisateurs, modération et contexte plus clair des publicités politiques, liens fournis par des fact-checkeurs capables de repérer une fausse information) ne pourront s’appliquer à WhatsApp. De même que les lois promulguées par des Etats pour contrer la désinformation en période électorale.

Les travers du chiffrement

Le chiffrement rend également impossible de retrouver l’origine ou les auteurs d’une fausse information. « WhatsApp a un système de détection de spams, qui détecte des comportements inhabituels. Mais ils devraient faire plus : par exemple, limiter le nombre de groupes qu’un seul numéro WhatsApp peut créer, ou limiter le nombre de fois où un message peut être transféré », avance Claire Wardle, qui travaille avec le projet Comprova.

Les responsables de Comprova vont plus loin. Dans une tribune publiée dans le New York Times, ils demandent à WhatsApp de « changer ses réglages » en termes de transfert de messages ou de nombre de personnes présentes dans des groupes de discussion. Ce à quoi WhatsApp a répondu qu’il n’était pas possible d’appliquer ces changements avant la fin de l’élection.

L’une des seules mises à jour récente de l’application a été introduite en juillet, avec la généralisation d’un système marquant comme « transféré » les messages envoyés provenant d’une autre discussion. La fonctionnalité avait été testée auparavant au Brésil et en Inde, un autre pays dans lesquels la propagation de rumeurs et de fausses informations a des effets parfois gravissimes. Début 2018, sur WhatsApp, une vingtaine de personnes ont été lynchées en Inde à la suite de rumeurs sur des enlèvements.

Michaël Szadkowski

Source : Le Monde 25/10/2018

Le Pentagone aurait dépensé 540 millions de dollars pour produire de fausses vidéos djihadistes

Le Pentagone

Le Pentagone

Selon une enquête menée par un collectif britannique de journalistes d’investigation, le Pentagone aurait dépensé plus d’un demi-milliard de dollars, afin de réaliser de fausse vidéos d’Al-Qaïda. Tout cela dans le cadre d’une campagne de propagande entre 2006 et 2011 lors de la guerre en Irak.

Le scandale des fausses vidéos d’Al-Qaïda va-t-il surgir dans la dernière ligne droite de la présidentielle américaine ? C’est le Bureau of Investigative Journalism, un collectif britannique de journalistes d’investigation, qui a révélé dimanche 2 octobre que le Pentagone aurait dépensé plus de 540 millions de dollars afin de produire une campagne de propagande dans le cadre de la guerre en Irak entre 2006 et 2011.

C’est la société britannique de communication et de relations publiques Bell Pottinger qui aurait bénéficié de ce juteux contrat estimé à 120 millions par an. Leur mission ? Produire les contenus d’un programme de propagande classé « top secret ».

De fausses vidéos d’Al-Qaïda

Un ancien salarié de cette entreprise habituée à travailler avec les régimes les plus contestés (Syrie, Sri Lanka, Biélorussie…) a révélé l’envers du décor au Bureau of Investigative Journalism qui ont été relayés par le Daily Beast et le Sunday Times le 2 octobre.

Le réalisateur Martin Wells explique ainsi que la société Bell Pottinger -qui a employé jusqu’à 300 personnes en Irak- avait produit plusieurs vidéos tout en étant supervisé par des militaires du Pentagone. Au delà des films publicitaires anti-Al-Qaïda, qui étaient bien officiels, d’autres, beaucoup plus secrets, étaient fabriqués.

Selon son témoignage, des reportages vidéos étaient réalisés et produits de manière à faire croire qu’il s’agissait de « productions de télévisions arabes ». Ils étaient ensuite vendus, puis diffusés sur les chaînes locales, en omettant de signaler que le Pentagone en était le commanditaire.

Des appâts numériques

La révélation la plus fracassante de cet ancien employé réside dans le pistage des fausses vidéos. Toujours selon cet ancien employé de la firme britannique, de fausses vidéos de propagande signées Al-Qaïda aurait été crées par l’entreprise Bell Pottinger. Leur but ? Piéger et traquer les personnes qui les auraient visionnées.

Lord Bell said he was « proud » of Bell Pottinger’s secret propaganda work for the Pentagon in #Iraq https://t.co/IIvHhME8BT

— The Bureau (@TBIJ) 2 octobre 2016

Les vidéos, gravées sur CD, se transformaient ainsi en appâts numériques. La CIA pouvait localiser l’ordinateur « grâce à son adresse IP », précise L’Obs, car elles étaient encodées afin de se connecter automatiquement à internet lors du visionnage. Selon Martin Wells, certains de ces CD se seraient retrouvés en Iran, en Syrie, voir même aux Etats-Unis. La société aurait rendu des comptes au Pentagone, à la CIA, et au Conseil de sécurité national américain.

Un étrange écho

Le Pentagone, bien loin de réfuter les dires de Martin Wells ou l’article du BIJ, a confirmé avoir eu recours aux services de la société Bell Pottinger. Aussi, Tim Bell, l’ancien directeur de l’entreprise a confirmé au Sunday Times, que sa société avait signé un contrat en relation avec des opérations militaires, « protégé par plusieurs clauses de confidentialité ».

Comme l’écrivent nos confrères de France 24, « ces révélations trouvent un écho particulier aujourd’hui ». Nombreux spécialistes de la mouvance djihadistes estiment que le processus de radicalisation se fait aussi à travers le visionnage de vidéos de propagande. Indirectement, le Pentagone a peut-être contribué à promouvoir Al-Qaïda et à inspirer d’apprentis réalisateurs djihadistes de l’organisation EI.

 Brice Laemle

Source : I télé 05/10/2016

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Etats-Unis, rubrique Politique«Radicalisations» et «islamophobie» : le roi est nu, Politique Internationale, rubrique Société, Propagande, La première victime de guerre c’est la vérité, Radicalisation, On LineLien vidéo,

Cinéma Diagonal : Afrique 50 les colonies en héritage

Michel Le Thomas à Montpellier Photo Rédouane Anfoussi

Michel Le Thomas à Montpellier Photo R. Anfoussi

Le réalisateur Michel Le Thomas était au Diagonal jeudi pour présenter De Sable et de sang dans le cadre d’un débat animé par l’historien Jacques Choukroun.

Le film relate l’histoire de Akjoujt, une ancienne ville minière de Mauritanie, en rendant compte de l’impact de l’entreprise néo-colonialiste sur la vie des habitants à partir de leurs expériences. ?« Au départ, il s’agissait de faire un documentaire pour transcrire la dimension humaine de l’action de coopération engagée par la ville communiste de Sevran dans le cadre d’un jumelage avec Akjoujt, explique le réalisateur formé par Jean Rouche, mais cela a pris un peu de temps et cette commune de Seine St Denis a basculé à droite. Le jumelage n’y a pas survécu et le film est resté en plan. Et puis, suite à une rencontre avec René Vautier célèbre pour avoir réalisé le premier film anti-colonial français nous avons décidé de bâtir un scénario.»

Le film joue sur la fiction pour faire le lien entre l’Europe coloniale d’hier et l’Europe forteresse d’aujourd’hui mais De Sable et de sang garde pour l’essentiel la teneur d’un documentaire. On retrouve René Vautier dans son propre rôle de résistant. L’auteur de Afrique 50 et de Avoir 20 ans dans les Aurès, porte un regard sincère sur sa vie de combat contre l’exploitation humaine.

L’intérêt majeur de ce film est de montrer les éléments qui font la continuité entre l’exploitation dénoncé avec fougue dès les années 50 et ce qu’il en reste aujourd’hui.

« Je ne veux pas entrer dans le travers de ceux qui défendent l’idée que rien n’a changé, souligne Michel Le Thomas, car si les gens souffrent de la même façon, ils sont politiquement indépendants.»

ivre DVD, ed Les Mutins de Pangée, 22 €

Livre DVD, ed Les Mutins de Pangée, 22 €

« Afrique 50 » film coup de poing

Cette trajectoire entre le colonialisme et le néocolonialisme est rendue tout à fait perceptible grâce à la bonne idée de la coopérative audiovisuelle et cinématographique de production, Les Mutins de Pangée qui inaugure leur nouvelle collection Mémoire populaire en éditant un livre CD* qui regroupe le film Afrique 50 censuré pendant un demi-siècle en revenant sur sa passionnante histoire ainsi que le film de Michel le Thomas enrichie des commentaires et du fond iconographique de l’historien Alain Ruscio. L’ensemble s’offre comme un objet complet de référence sur la question des colonies françaises d’Afrique.

« Si l’on veut comprendre et apprécier Afrique 50 on doit impérativement le voir en ayant en permanence en tête l’état d’esprit moyen des Français à cette époque, explique Alain Ruscio Le crâne bourré par trois-quarts de siècle de propagande émanant du parti colonial.» Un autre constat similaire sera à faire par les futurs historiens afin de comprendre l’esprit des Français du début du XXIe siècle baignant dans la propagande totale du néolibéralisme.

Jean-Marie Dinh

Source La Marseillaise16/11/2013

Voir aussi : Rubrique Histoire, rubrique Afrique, rubrique Livre, Comédie du Livre une fenêtre sur l’Afrique,

Offensive sarkozyste contre l’indépendance de l’AFP

Si la proposition de loi «relative à la gouvernance de l’AFP» déposée au Sénat est adoptée, «l’agence est morte», affirment Dominique Ferrandini et Patrick Filleux, membres fondateurs du Syndicat autonome des journalistes (SAJ-UNSA). A onze mois de l’élection présidentielle, le pouvoir sarkozyste s’attaque, dans la précipitation, à l’indépendance de la principale entreprise de presse française et troisième agence mondiale d’information, l’Agence France-Presse (AFP). Par le biais du dépôt, au Sénat, d’une proposition de loi «relative à la gouvernance de l’AFP», signée par le sénateur UMP Jacques Legendre et qui doit être examinée dans l’urgence avant la clôture de la session parlementaire, fin juin, c’est bien le statut «constitution» de l’Agence, voté par le Parlement en 1957 et qui lui a permis d’assurer jusqu’à ce jour son indépendance, qui est menacé.

L’indépendance de l’AFP vis-à-vis de l’Etat, donc de son exécutif, fut au cœur de la réflexion du législateur en 1957. L’accouchement fut long et difficile. 15 ans de gestation. Le bébé fut conçu dans la Résistance, dans un élan démocratique et progressiste combattant, tout entier dicté par deux intangibles paradigmes: le droit à informer et le droit à être informé.

Couper le cordon ombilical avec l’Etat, donc garantir la diffusion à l’ensemble de la presse française et internationale, d’une information mondiale honnête, vérifiée, recoupée, exempte de toute pression politique, économique ou idéologique, fut le gage de la crédibilité de l’AFP, donc de son existence et de son développement.

Quelque 3.000 journalistes et personnels techniques travaillent aujourd’hui pour l’Agence dans 165 pays. Leur mission, selon l’article 1er du statut de 1957, est «de rechercher, tant en France (…) qu’à l’étranger, les éléments d’une information complète et objective».

Mais c’est l’article 2 qui définit et fixe le cadre éthique dans lequel l’Agence œuvre en toute indépendance: «L’Agence France-Presse ne peut en aucune circonstance tenir compte d’influences ou de considérations de nature à compromettre l’éxactitude ou l’objectivité de l’information; elle ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d’un groupement idéologique, politique ou économique». Tout est là !

Qu’en est-il dans la proposition de loi sénatoriale, appuyée et endossée sans réserve par l’actuel PDG Emmanuel Hoog, parachuté en 2010 avec la bénédiction -sinon l’intervention- de l’actuel pouvoir, dont il serait lassant de rappeler les attaques auquel il s’est livré contre la liberté et l’indépendance de la presse en général et de l’AFP en particulier depuis 2007

L’article 2 est conservé en l’état, mais vidé de sa substance

La nouvelle «gouvernance» envisagée -tant dans la composition du conseil d’administration, qu’en ce qui concerne les ressources et moyens financiers de fonctionnement et développement- sous prétexte d’harmoniser le statut de 1957 avec les lois et directives européennes, place de facto et officiellement l’AFP sous la sujétion de l’Etat.

De plus, l’AFP, qui a été dotée en 1957 d’un statut «d’organisme autonome bénéficiant de la personnalité civile», sans capital ni propriétaire, et dont les ressources proviennent des abonnements de ses usagers, serait assimilée à un organisme «privé». Mais, lourde contradiction hypothèquant son développement, tout en étant soumise aux règles commerciales classiques, elle se verrait interdire d’entrer en concurrence avec ses clients (la presse de détail écrite et audiovisuelle), pour rester cantonnée au rôle de grossiste de l’information.

L’AFP serait donc à l’avenir, et dans le cadre de la révolution du Net, dans l’impossibilité de commercialiser sur la Toile et à l’usage des potentiels clients privés que nous sommes, vous et moi, la masse de ses informations françaises et internationales. Cette formule commerciale à l’étude, a pour nom anglo-saxon B2C (Business to Consummer), mais est fermement combattue depuis l’éclosion de l’Internet par les patrons de presse français, pour la plupart amis ou idéologiquement proches de l’actuel pouvoir politique.

Ils y voient, en ce qui concerne l’Agence, une «intolérable concurrence déloyale», mais avant tout une grave menace pour leurs intérêts vitaux, incapables qu’ils sont de diversifier leurs productions, tant sur le fond que sur la forme, pour aller à la rencontre de «nouveaux gisements de clientèle», ou pour faire tout simplement leur métier de diffuseurs d’informations sous toutes ses formes.

Voici donc l’AFP de demain, imaginée par le couple Hoog-Legendre: une agence «d’informations» assujétie au pouvoir de l’Etat et bridée dans son développement par le pouvoir de l’argent des grands groupes de presse.

Autant dire que l’AFP, agence mondiale de presse indépendante, vecteur essentiel de diffusion de la culture française dans le monde, est morte. Sa singularité, son regard, sa lecture des évènements du monde, face à ses deux concurrentes anglo-saxonnes uni-tonales, l’étatsunienne Associated Press et la britannique Reuter’s, sont réduits à néant.

Avant l’actuel statut de 1957, ces deux là ne manquaient jamais en citant l’AFP, de préciser à leurs lecteurs «agence gouvernementale française». Nul doute qu’elles entonneront le même refrain décrédibilisant, si le bouleversement de statut proposé était adopté par la représentation nationale.

Reste que l’Agence France-Presse est un bien commun des citoyens français d’où ils puisent l’immense majorité des informations honnêtes et vérifiées lues dans leurs journaux, écoutées sur leurs radios et diffusées sur leurs écrans.

Cette tentative aussi grossière que malhabile d’encadrement politique, idéologique et économique de la principale source d’information française (dont Sarkozy s’est plaint à maintes reprises pour ne pas être suffisamment à sa bottine), entreprise dans la précipitation avant une échéance qui se présente pour le moins en la défaveur du Président sortant (et presque sorti), illustre -s’il en était besoin- sa lecture des mots Démocratie et République.

Les journalistes et personnel technique et ouvrier de l’AFP ont fait une première grève de 24 heures, jeudi et vendredi, pour y faire échec. Mais leur combat ne doit pas, ne peut pas rester solitaire. Tous les citoyens français, démocrates et républicains sont concernés.

Par Les invités de Mediapart

 

Voir aussi :  Rubrique Médias, On line  http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/270511/offensive-sarkozyste-contre-lindependance-de-la


Cinemed : Un film politique sur le système berlusconien

Triple peine pour les victimes du séisme, privés de leur maison et de démocratie

Avec Draquila, l’Italie qui tremble, Sabrina Guzzanti dénonce l’instrumentalisation politique du tremblement de terre de l’Aquila en Italie.

sabina_guzzanti_02Licenciée de la télévision italienne pour son « impertinence », la journaliste Sabina Guzzanti dénonçait dans Viva Zaparero (2005) l’anéantissement de la liberté d’expression dans l’Italie berlusconienne. Avec Draquila, l’Italie qui tremble, elle revient sur la gestion politique du tremblement de terre de L’Aquila, qui a détruit, le 6 avril 2009, cette ville des Abruzzes. Au-delà du lourd bilan qui a fait 308 morts, on découvre comment celui que l’on surnomme il Cavaliere a su mettre la détresse à son profit en sacrifiant une ville de 70 000 habitants pour les besoins de sa notoriété. Très documenté, ce film politique prend l’effarante mesure du dénie de démocratie qui règne en Italie. La présentation du film à Cannes cette année est à l’origine de l’annulation de la venue du ministre de la culture italien, Sandro Bondi.

A travers cette enquête autour de la catastrophe, j’ai voulu faire comprendre pourquoi les gens votent pour Berlusconi, explique la réalisatrice, Sur place, tout a été militarisé. On a déporté et changé le mode de vie des gens sans la moindre décision démocratique. Les médias ont été muselé et l’opposition est restée autiste. » Le documentaire démonte l’argument sécuritaire invoqué par la protection civile dont la privatisation a été bloqué suite aux révélations du film. Sabina Guzzanti pointe le programme de relogement onéreux lancé à grand renfort médiatique par le président du Conseil comme une manœuvre ayant permis d’ouvrir la manne des fonds publics au réseau politico-industriel et mafieux. Sur le petit écran, Silvio Berlusconi apparaît comme un sauveur au yeux d’une minorité de sinistrés. On mesure la force de la propagande à travers de multiples témoignages dont celui d’un journaliste local qui a persuadé ses propres enfants de rester sagement dans leur chambre juste avant de les perdre dans la catastrophe.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Festival, Cinemed 2010, Salvadori : l’émotion complexe des vrais mensonges, Avédikian Palme d’Or pour Chienne de Vie, Ligne éditoriale, Cinemed 2009 , Cinemed 2008, Rencontre Pierre Pitiot “sont méditerranéens ceux qui ont envie de l’être, Cinéma , Languedoc-Roussillon Cinéma, Portrait d’Italie, rubrique Italie,L’Italie à l’avant garde de la xénophobie, rubrique UE, L’Europe en mode rigueur