Un cran à gauche

Orwell : journaliste, témoin, militant, analyste et penseur.  Photo DR.

Les Écrits politiques d’Orwell, confirment l’auteur de La ferme des animaux comme un penseur politique de premier plan. Le recueil publié aux éditions Agone rend accessible en français un certain nombre de textes que sa veuve Sonia, qui n’appréciait pas le positionnement politique de son mari, avait jugé bon d’écarter. Organisé en six parties, ce livre retrace l’engagement passionné de l’auteur de 1928 à 1949.

Tout au long de sa vie, Eric Arthur Blair (1903/1950) puisera son inspiration dans les engagements liés à son expérience personnelle. On en trouve les premières traces dans quatre articles publiés entre 1928 et 1929. L’auteur, qui partage les conditions laborieuses des classes populaires londoniennes, y défend la liberté d’expression et une certaine idée de la littérature. Il s’attache aussi à décrire la condition humaine des ouvriers devenus chômeurs sans omettre de mentionner les mensonges d’Etat entretenus par la presse. « Les statistiques officielles se rapportant au chômage sont à dessein réglées de façon à induire en erreur (…) Une légende absurde circule dans la presse conservatrice d’après laquelle le chômage est uniquement dû à la paresse et à la rapacité des travailleurs. »

Entre dix-neuf et vingt-quatre ans, Eric Blair s’engage comme policier de la couronne d’Angleterre en Birmanie. Cette expérience de jeunesse fera d’Orwell (pseudonyme qui apparaît en 1933) un des plus virulent adversaire de l’impérialisme britannique. « Le racisme est avant tout une manière de pousser l’exploitation au-delà des limites normalement possibles en prétendant que les exploités ne sont pas des êtres humains (…) Hitler n’est que le spectre de notre passé qui s’élève contre nous. »

Expérience traumatique de la guerre d’Espagne

Au début de la guerre d’Espagne, Orwell combat six mois dans les milices du POUM*, et échappe de peu aux geôles communistes. Touché à la gorge par une balle franquiste, il retourne en Angleterre. S’en suit une série d’articles sur les mécanismes de la pensée totalitaire et les mesquineries de la politique de puissance.

Après la signature du pacte germano-soviétique, Orwell rompt avec la famille d’extrême gauche anglaise. En 1941, il approfondit la conception du socialisme qu’il appelle de ses vœux : « Une alliance entre les ouvriers et les membres des couches moyennes modernes, réunis sous la figure de l’homme ordinaire et partageant les valeurs de la décence commune. »

Le socialisme démocratique d’Orwell intègre la revendication de l’autonomie de l’individu au sein du socialisme. Sans exclure le recours à la violence, « si la minorité privilégiée s’accroche à son pouvoir. » L’auteur prend aussi le contre-pied d’une idée répandue à gauche selon laquelle le fascisme ne serait qu’une forme particulièrement agressive de capitalisme. « La démocratie bourgeoise ne suffit pas, mais elle vaut bien mieux que le fascisme. (…) Les gens ordinaires le savent, même si les intellectuels l’ignorent. »

Suite aux interprétations erronées qui font suite à la publication de 1984, paru le 8 juin 1949, Orwell fait la lumière sur sa démarche : « Mon roman n’a pas été conçu comme une attaque contre le socialisme mais comme une dénonciation des perversions auxquelles une économie centralisée peut être sujette et qui ont été partiellement réalisées dans le communisme et le fascisme. (…) Je crois que les idées totalitaires ont partout pris racine dans les esprits intellectuels, et j’ai essayé de pousser ces idées jusqu’à leurs conséquences logiques. »

Jean-Marie Dinh

*POUM : Parti ouvrier d’unification marxiste créé à Barcelone en septembre 1935. Fusion entre Izquierda Communista d’origine trotskiste et du Bloque Obreto ( bloc ouvrier et paysan)

Georges Orwell, Écrits politiques (1928-1949) éditions Agone, 25 euros.

Voir aussi : Rubrique Débat Le conservatisme en politique, Rubrique Justice, soutien à Baltazar Carzon,