La dette de la France résulte des cadeaux fiscaux fait aux riches, révèle une étude

arton5947-601dfLe discours dominant sur la dette publique prétend qu’elle découle d’une croissance excessive des dépenses publiques. Or un examen des faits montre que la dette publique a été largement constituée par des politiques économiques favorables aux créanciers et aux riches.

Cette étude a été réalisée par un groupe de travail du Collectif pour un Audit citoyen de la dette publique. Elle se veut une contribution au nécessaire débat public sur des questions cruciales : d’où vient la dette ? A-t-elle été contractée dans l’intérêt général, ou bien au bénéfice de minorités déjà privilégiées ? Qui détient ses titres ? Peut-on alléger son fardeau autrement qu’en appauvrissant les populations ? Les réponses apportées à ces questions détermineront notre avenir.

Résumé du rapport : 59 % de la dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêt excessifs

Tout se passe comme si la réduction des déficits et des dettes publiques était aujourd’hui l’objectif prioritaire de la politique économique menée en France comme dans la plupart des pays européens. La baisse des salaires des fonctionnaires, ou le pacte dit « de responsabilité » qui prévoit cinquante milliards supplémentaires de réduction des dépenses publiques, sont justifiés au nom de cet impératif.

Le discours dominant sur la montée de la dette publique fait comme si son origine était évidente : une croissance excessive des dépenses publiques.

Mais ce discours ne résiste pas à l’examen des faits. Dans ce rapport nous montrons que l’augmentation de la dette de l’État – qui représente l’essentiel, soit 79 %, de la dette publique – ne peut s’expliquer par l’augmentation des dépenses, puisque leur part dans le PIB a chuté de deux points en trente ans.

Si la dette a augmenté, c’est d’abord parce que tout au long de ces années, l’État s’est systématiquement privé de recettes en exonérant les ménages aisés et les grandes entreprises : du fait de la multiplication des cadeaux fiscaux et des niches, la part des recettes de l’État dans le PIB a chuté de cinq points en trente ans.

Si l’État, au lieu de se dépouiller lui-même, avait maintenu constante la part de ses recettes dans le PIB, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de vingt-quatre points de PIB (soit 488 milliards €) à son niveau actuel.

C’est ensuite parce que les taux d’intérêt ont souvent atteint des niveaux excessifs, notamment dans les années 1990 avec les politiques de « franc fort » pour préparer l’entrée dans l’euro, engendrant un « effet boule de neige » qui pèse encore très lourdement sur la dette actuelle.

Si l’État, au lieu de se financer depuis trente ans sur les marchés financiers, avait recouru à des emprunts directement auprès des ménages ou des banques à un taux d’intérêt réel de 2 %, la dette publique serait aujourd’hui inférieure de vingt-neuf points de PIB (soit 589 milliards €) à son niveau actuel.

L’impact combiné de l’effet boule de neige et des cadeaux fiscaux sur la dette publique est majeur : 53 % du PIB (soit 1077 milliards €). Si l’État n’avait pas réduit ses recettes et choyé les marchés financiers, le ratio dette publique sur PIB aurait été en 2012 de 43 % au lieu de 90 % comme le montre le graphique ci-dessous.

Au total, 59 % de l’actuelle dette publique proviennent des cadeaux fiscaux et des taux d’intérêts excessifs.

– La hausse de la dette publique provient pour l’essentiel des cadeaux fiscaux et des hauts taux d’intérêt :

tSource : Insee, comptabilité nationale ; calculs CAC –

Le rapport d’audit propose aussi une évaluation des impacts des paradis fiscaux ainsi que de la crise financière de 2008 dans l’envolée de la dette publique.

Au total, il apparaît clairement que la dette publique a été provoquée par des politiques économiques largement favorables aux intérêts des créanciers et des riches, alors que les sacrifices demandés aujourd’hui pour la réduire pèsent pour l’essentiel sur les salariés, les retraités et les usagers des services publics. Cela pose la question de sa légitimité.

Le rapport se conclut par une série de propositions destinées à alléger le fardeau de la dette (près de cinquante milliards d’euros d’intérêts par an et plus de cent milliards de remboursements) pour rompre avec le cercle vicieux des politiques d’austérité et financer les investissements publics dont l’urgence sociale et écologique n’est plus à démontrer.

La réalisation d’un audit de la dette publique effectué par les citoyens ou sous contrôle citoyen, devrait permettre d’ouvrir enfin un véritable débat démocratique sur la dette publique. Ce débat devrait amener à déterminer quelle partie de cette dette est jugée par les citoyens comme illégitime. Les premières évaluations ici proposées par le groupe de travail du Collectif pour un audit citoyen se veulent une contribution à ce débat.


Source Reporterre 5 juin 2014 /

Collectif pour un audit citoyen de la dette publique

Ont participé à l’élaboration du rapport :

Michel Husson (Conseil scientifique d’Attac, coordination),
Pascal Franchet (CADTM),
Robert Joumard (Attac),
Evelyne Ngo (Solidaires Finances Publiques),
Henri Sterdyniak (Économistes Atterrés),
Patrick Saurin (Sud BPCE)

- Télécharger la version complète du rapport.

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Le Conseil constitutionnel ne censure pas le prélèvement de l’impôt à la source

THOMAS SAMSON / AFP

THOMAS SAMSON / AFP

Certaines dispositions du projet de loi de finances pour 2017 ont été rejetées, comme la « taxe Google », relative aux bénéfices de multinationales exerçant des activités en France.

Le Conseil constitutionnel a écarté, jeudi 29 décembre, les griefs des parlementaires sur le prélèvement de l’impôt à la source, sans pour autant donner son blanc-seing à cette mesure phare du budget 2017, et a censuré la « taxe Google » relative aux bénéfices de multinationales exerçant des activités en France.

Saisi par plus de soixante sénateurs et plus de soixante députés, le Conseil s’est prononcé sur seize articles du projet de loi de finances pour 2017.

Sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, réforme majeure de ce texte budgétaire qui doit entrer en vigueur au 1er janvier 2018, les conseillers ne se sont prononcés que sur quatre points de la mesure, et ne les ont pas censurés. Dans le détail, ils ont jugé que les dispositions de l’article n’étaient « pas inintelligibles », ce que faisaient valoir les parlementaires.

Respect de la vie privée

Rien n’empêche donc la mise en place de la mesure, mais les membres du Conseil ont souligné que d’autres dispositions du prélèvement de l’impôt à la source, sur lesquelles ils n’avaient pas été saisis, pourraient à l’avenir faire « l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité ».

Ils ont aussi estimé que, « compte tenu de l’option ouverte aux contribuables leur permettant de choisir un taux par défaut qui ne révèle pas à leur employeur le taux d’imposition du foyer, le législateur [n’avait] pas méconnu le droit au respect de la vie privée ».

Par ailleurs, « des mesures spécifiques sont prévues, s’agissant des dirigeants d’entreprise, pour éviter qu’ils puissent procéder à des arbitrages destinés à tirer parti de l’année de transition ».

Censure de la « taxe Google »

Enfin, le Conseil juge que les entreprises ne joueront qu’un « rôle de collecte », le recouvrement continuant d’être assuré par l’Etat, et qu’elles n’auront donc pas à être indemnisées à ce titre.

Le texte, qui a donné lieu à de vives passes d’armes à l’Assemblée et en commission, a été définitivement adopté le 20 décembre à l’Assemblée nationale, mais la droite a d’ores et déjà annoncé qu’en cas d’alternance, elle reviendrait sur le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

Jeudi, le Conseil a censuré une autre mesure phare, l’article instaurant une « taxe Google », qui visait à renforcer la taxation des bénéfices détournés par les multinationales sur leur activité réalisée en France.

Les conseillers ont rejeté cette disposition au motif que l’administration fiscale ne peut avoir « le pouvoir de choisir les contribuables qui doivent ou non entrer dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés ». Le gouvernement avait émis des réserves sur cet amendement introduit par Yann Galut (PS).

Source : Le Monde.fr avec AFP 29/12/2016

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Le dumping fiscal mine l’Europe : Dublin et Apple font front contre Bruxelles

 La commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager. © afp/John Thys

La commissaire européenne à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager. © afp/John Thys

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, s’est lancée dans un combat difficile contre la fraude fiscale des multinationales. Google, Amazone, Facebook… jouent avec de complexes montages financiers et bénéficient de la complicité active de plusieurs Etats européens. L’Irlande est devenue ainsi le porte-avions des firmes américaines. Une concurrence fiscale qui mine l’Europe.

La surprenante commissaire danoise Margrethe Vestager à précisé les avantages fiscaux indus, assimilables selon elle à des aides d’Etat, accordées par l’Irlande à Apple. Le géant informatique américain avait fait appel en août 2016 de la décision de Bruxelles lui imposant de rembourser 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux pour la période 2003-2014. «De la foutaise politique», avait réagi le patron d’Apple Tim Cook.

L’Irlande : paradis fiscal
De son coté, l’Irlande ne fait rien pour récupérer ces milliards d’euros, malgré une décennie d’austérité budgétaire. Dublin a même fait appel de la décision de Bruxelles, prouvant ainsi qu’elle est un paradis fiscal, niché au cœur de l’Union européenne.

Les services de Magrethe Vestater soupçonnent la firme américaine d’enregistrer en Irlande des bénéfices réalisés en Europe, Afrique, Inde et Moyen-Orient. La firme s’arrange ensuite avec Dublin pour ne soumettre à l’impôt qu’une infime partie de ce montant via un accord fiscal (Rescrit).

— European Commission (@EU_Commission) 19 décembre 2016

Apple a commencé à transférer en Irlande le produit des droits tirés des brevets développés en Californie. Ensuite, grâce à des traités signés entre l’Irlande et certains pays européens, une partie des bénéfices d’Apple peuvent transiter sans impôt par les Pays bas.

Optimisation fiscale ?
Grâce à ce montage, le taux réel d’imposition d’Apple est tombé à 0,06% de 2009 à 2001 et même à 0,005% en 2014, «ce qui signifie moins de 50 euros d’impôts pour chaque million de bénéfices», souligne la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager.

La firme de Cupertino est à l’origine de cette technique qui consiste à réduire l’impôt en acheminant les bénéfices vers un paradis fiscal, par l’intermédiaire de filiales irlandaises et hollandaises.

On comprend qu’un millier d’entreprises étrangères ont choisi de s’installer dans la verte Irlande, devenue le porte-avions américain en Europe: Google, Twitter, Facebook, Dell, Intel.
Pour Dublin, l’enjeu est aussi de préserver son régime fiscal attractif. Les multinationales emploient aujourd’hui 10% de la population active irlandaise.

En outre, le système de téléchargement d’Apple est basé au Luxembourg. Dès qu’une transaction monétaire est effectuée pour télécharger un film, de la musique ou une application via ce système, la vente est enregistrée au Luxembourg où la fiscalité est très avantageuse.

L’Europe contre l’Europe
La Commission européenne mène également des investigations sur le statut très favorable accordé à McDonald et à Amazon au Luxembourg ou encore à Starbucks aux Pays-Bas.

Une directive européenne anti-évasion fiscale doit en principe être traduite dans les législations nationales avant la fin de 2018. Un pas important, mais les paradis fiscaux existent également aux portes de l’Union europenne. il suffit d’une simple boîte aux lettres dans le minuscule canton de Zoug, près de Zurich, pour diminuer très sensiblement ses impôts. La Suisse a ainsi attiré 24.000 sociétés internationales. Un combat de longue haleine en perspective.

Michel Lachkar

Source Geopolis 21/12/2016

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Pour une autre mondialisation par Thomas Piketty

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Disons-le d’emblée : la victoire de Trump s’explique avant tout par l’explosion des inégalités économiques et territoriales aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies, et l’incapacité des gouvernements successifs à y faire face. Les administrations Clinton puis Obama n’ont fait souvent qu’accompagner le mouvement de libéralisation et de sacralisation du marché lancé sous Reagan puis Bush père et fils, quand elles ne l’ont pas elles-mêmes exacerbés, comme avec la dérégulation financière et commerciale menée sous Clinton. Les soupçons de proximité avec la finance et l’incapacité de l’élite politico-médiatique démocrate à tirer les leçons du vote Sanders ont fait le reste. Hillary a remporté d’un cheveu le vote populaire (60,1 millions de voix contre 59,8 millions pour Trump, pour une population adulte totale de 240 millions), mais la participation des plus jeunes et des plus modestes était beaucoup trop faible pour pouvoir remporter les Etats clés.

Le plus triste est que le programme de Trump ne fera que renforcer les tendances inégalitaires : il s’apprête à supprimer l’assurance-maladie laborieusement accordée aux salariés pauvres sous Obama, et à lancer son pays dans une fuite en avant dans le dumping fiscal, avec une réduction de 35% à 15% du taux de l’impôt fédéral sur les bénéfices des sociétés, alors que jusqu’ici les Etats-Unis avaient résisté à cette course-poursuite sans fin venue d’Europe. Sans compter que l’ethnicisation croissante du conflit politique américain laisse mal augurer de l’avenir si de nouveaux compromis ne sont pas trouvés : voici un pays où la majorité blanche vote structurellement à 60% pour un parti, alors que les minorités votent à plus de 70% pour l’autre, et où la majorité est en passe de perdre sa supériorité numérique (70% des suffrages exprimés en 2016, contre 80% en 2000, et 50% d’ici 2040).

La principale leçon pour l’Europe et le monde est claire : il est urgent de réorienter fondamentalement la mondialisation. Les principaux défis de notre temps sont la montée des inégalités et le réchauffement climatique. Il faut donc mettre en place des traités internationaux permettant de répondre à ces défis et de promouvoir un modèle de développement équitable et durable. Ces accords d’un type nouveau peuvent contenir si nécessaire des mesures visant à faciliter les échanges. Mais la question de la libéralisation du commerce ne doit plus en être le cœur. Le commerce doit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cessé d’être : un moyen au service d’objectifs plus élevés. Concrètement, il faut arrêter de signer des accords internationaux réduisant des droits de douanes et autres barrières commerciales sans inclure dans le même traité, et dès les premiers chapitres, des règles chiffrées et contraignantes permettant de lutter contre le dumping fiscal et climatique, comme par exemple des taux minimaux communs d’imposition des profits des sociétés et des cibles vérifiables et sanctionnables d’émissions carbone. Il n’est plus possible de négocier des traités de libre échange en échange de rien.

De ce point de vue, le CETA est un traité d’un autre temps et doit être rejeté. Il s’agit d’un traité étroitement commercial, ne contenant aucune mesure contraignante sur le plan fiscal ou climatique. Il comporte en revanche tout un volet sur la « protection des investisseurs » permettant aux multinationales de poursuivre les Etats devant des cours arbitrales privées, en contournant les tribunaux publics applicables à tout un chacun. L’encadrement proposé est notoirement insuffisant, notamment concernant la question clé de la rémunération des juges-arbitres, et conduira à toutes les dérives. Au moment même où l’impérialisme juridique américain redouble d’intensité et impose ses règles et ses tributs à nos entreprises, cet affaiblissement de la justice publique est une aberration. La priorité devrait être au contraire la constitution d’une puissance publique forte, avec la création d’un procureur et d’un parquet européen capable de faire respecter ses décisions.

Et quel sens cela a-t-il de signer lors des accords de Paris un objectif purement théorique de limiter le réchauffement à 1,5 degré (ce qui demanderait de laisser dans le sol les hydrocarbures tels que ceux issus des sables bitumineux de l’Alberta, dont le Canada vient de relancer l’exploitation), puis de conclure quelques mois plus tard un traité commercial véritablement contraignant et ne faisant aucune mention de cette question? Un traité équilibré entre le Canada et l’Europe, visant à promouvoir un partenariat de développement équitable et durable, devrait commencer par préciser les cibles d’émissions de chacun et les engagements concrets pour y parvenir.

Sur la question du dumping fiscal et des taux minimaux d’imposition sur les bénéfices des sociétés, il s’agirait évidemment d’un changement complet de paradigme pour l’Europe, qui s’est construite comme une zone de libre échange sans règle fiscale commune. Ce changement est pourtant indispensable : quel sens cela a-t-il de se mettre d’accord sur une base commune d’imposition (qui est le seul chantier sur lequel l’Europe a légèrement avancé pour l’instant) si chaque pays peut ensuite fixer un taux quasi nul et attirer tous les sièges d’entreprises? Il est temps de changer le discours politique sur la mondialisation : le commerce est une bonne chose, mais le développement durable et équitable exige également des services publics, des infrastructures, des systèmes d’éducation et de santé, qui eux-mêmes demandent des impôts équitables. Faute de quoi le trumpisme finira par tout emporter.

Source Blog de Thomas Piketty 15/11/2016

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«Panama Papers» : la France se réjouit à bon compte

Francois Hollande et le ministre des Finances Michel Sapin, le 22 janvier 2016, à l'Elysée. Photo Jacques Demarthon. AFP

Francois Hollande et le ministre des Finances Michel Sapin, le 22 janvier 2016, à l’Elysée. Photo Jacques Demarthon. AFP

François Hollande a promis des sanctions pour les fraudeurs et réitéré sa volonté de protéger les lanceurs d’alerte. Façon de faire oublier que le gouvernement n’est plus à la pointe du combat en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

Un millier de Français pris dans les rets du nouveau et vaste scandale d’évasion fiscale, voilà qui ne pouvait pas laisser l’exécutif indifférent. François Hollande, qui avait fait de la «République exemplaire» un marqueur de sa campagne, n’a d’ailleurs laissé planer aucun doute sur ses intentions vis-à-vis des fraudeurs avérés. «Je peux vous assurer qu’à mesure que les informations seront connues, toutes les enquêtes seront diligentées, toutes les procédures seront instruites et les procès auront éventuellement lieu», a insisté le chef de l’Etat. Et de se féliciter de ces révélations, synonymes de futures «nouvelles rentrées fiscales» pour l’Etat.

 Une manne inespérée

C’est un fait. Depuis l’éclatement en 2012 du scandale UBS, banque suisse convaincue d’abriter des comptes bancaires non déclarés en pagaille, les autorités françaises ont durci le ton. En juin 2014, la signature d’une révision de la convention franco-suisse contre la double imposition a ainsi facilité le travail d’enquête du fisc français sur toutes les opérations à compter du 1er janvier 2010. De quoi semer la panique chez les contribuables indélicats et initier un ample mouvement de rapatriement de fonds. D’autant qu’une circulaire de 2013 permet de régulariser sans poursuite pénale les rapatriements volontaires. A la clé, une manne inespérée pour les finances publiques. En 2016, le rapatriement des avoirs détenus par des Français à l’étranger devrait ainsi rapporter 2,4 milliards d’euros à l’Etat, après 2,65 milliards d’euros en 2015 et 1,9 milliard d’euros en 2014… On comprend mieux que François Hollande qualifie de «bonne nouvelle» le scandale panaméen, adressant au passage ses «remerciements» aux lanceurs d’alerte. Un geste élyséen qui ne va pas sans arrière-pensée. Pour le chef de l’Etat, c’était en effet l’occasion de rappeler qu’en la matière le gouvernement ne se payait pas de mots : la loi Sapin sur la lutte anticorruption présenté fin mars en conseil des ministres organise en effet une meilleure protection de ces «lanceurs d’alerte».

Toutefois, la France pratique en la matière le deux poids, deux mesures. Inflexible avec les écarts des particuliers, elle semble beaucoup plus accommodante avec ceux des grandes entreprises. Fin 2014, le scandale LuxLeaks avait pourtant révélé l’importance du dumping fiscal pratiqué par certains membres de l’UE, à commencer par le Luxembourg, au détriment de ses voisins. En toute impunité, faute de transparence sur l’importance et la localisation des profits des entreprises, pays par pays.

Clair-obscur

Première à avoir réclamé et mis en œuvre la transparence sur la localisation des profits des banques, la France s’est cette fois faite discrète. Ainsi, le gouvernement ne s’est pas montré très allant sur l’extension de la mesure aux sociétés non financières, comme sur son approfondissement, refusant, par exemple, la transparence totale sur la localisation des profits pays par pays. Pour Bercy, pas question de prendre une initiative isolée risquant de porter atteinte à la compétitivité des entreprises françaises. «A moins d’une réciprocité très large, la publication de telles informations pourraient mettre nos sociétés en difficulté vis-à-vis de leurs concurrentes», avait ainsi fait valoir mi-décembre le ministre des Finances, Michel Sapin.

Les avancées, quand il y en a, se négocient donc désormais au niveau international ou européen. C’est notamment le cas du projet de directive, inspiré par l’OCDE, et présenté fin janvier par le commissaire européen Pierre Moscovici. Toutefois, même une fois votée, cette directive n’instaure de transparence sur les données des grandes entreprises qu’entre administrations fiscales des membres de l’Union. Un clair-obscur qui pourrait autoriser encore pas mal de dérives.

Nathalie Raulin

Source Libération 04/04/2016

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