Polanski interdit de Berlinale mais primé, l’Ours d’or à un film turc

FILM-CANNES/Son fantôme aura plané jusqu’à la fin sur la 60e Berlinale: Roman Polanski, assigné à résidence en Suisse, a reçu l’Ours d’argent du meilleur réalisateur samedi soir, tandis que le film turc bucolique « Miel », était couronné de l’Ours d’or.

« Je suis sûr que Roman sera très heureux », a lancé le coproducteur de Polanski, Alain Sarde. « Je déplore qu’il ne soit pas avec nous ce soir, mais il m’avait dit qu’il ne viendrait pas de toute façon, car la dernière fois qu’il est allé à un festival, il s’est retrouvé en prison », a-t-il ironisé. Arrêté le 26 septembre en arrivant à Zurich, où il était invité au festival de cinéma, Polanski est depuis assigné à résidence dans son chalet de Gstaad, en attente d’une éventuelle extradition vers les Etats-Unis. La justice américaine le recherche pour des « relations sexuelles illégales » avec une mineure en 1977.

« Le plus controversé » du palmarès, ce prix « pourrait être interprété comme un signe de solidarité envers le cinéaste », estimait dès samedi soir l’édition en ligne du magazine spécialisé américain Hollywood Reporter. L’auteur du « Pianiste » (trois Oscars, dont celui du meilleur réalisateur en 2003), était l’un des favoris du festival avec son thriller « The ghost writer », tiré d’un roman de Robert Harris. Ewan McGregor y campe le « nègre » littéraire d’un ex-Premier ministre britannique inspiré par Tony Blair et interprété par Pierce Brosnan.

Polanski a éclipsé l’Ours d’or 2010, décerné à un film turc pour la première fois depuis 1964 où « L’Été sans eau » d’Ismaïl Metin avait été sacré. « Miel », portrait d’un enfant initié aux mystères de la nature par un père apiculteur, réalisé par Semih Kaplanoglu, âgé de 46 ans. « Il est clair que les ours aiment le miel ! », s’est exclamé ce dernier en recevant son prix des mains du cinéaste allemand Werner Herzog, président du jury.

« Nous avons tourné dans une région extraordinaire, avec de magnifiques paysages (qui) risquent d’être détruits parce que des centrales électriques vont y être construites », a-t-il expliqué. « J’espère que ce prix contribuera à protéger l’environnement là-bas ». Tourné près des côtes de la mer Noire dans le sud-est du Caucase, « Miel » suit Yusuf, joué par Boras Altas, sept ans, un gamin introverti qui dans un rêve prémonitoire, voit la mort de son père, apiculteur dans la forêt. « Miel » (« Bal ») complète une trilogie autobiographique débutée avec « Oeuf » (« Yumurta », 2007) et « Lait » (« Sut »), où Semih Kaplanoglu explore la relation mystique entre les êtres humains et la nature.

Absente de Berlin, la Japonaise Shinobu Terajima, âgée de 37 ans, a remporté l’Ours d’argent de la meilleure actrice pour son rôle d’épouse martyre d’un soldat atrocement mutilé dans « Caterpillar » de Koji Wakamatsu. « J’espère que nous vivrons un jour un monde sans guerre », a-t-elle déclaré dans un e-mail. De leur côté, les Russes Grigori Dobrygin, 23 ans et Serguei Pouskepalis, 43 ans, ont remporté ex-aequo l’Ours d’argent du meilleur acteur dans « How I ended this summer », un thriller arctique d’Alexei Popogrebsky. Ce film où la rivalité entre deux météorologues rongés par la solitude sur une île perdue de l’Arctique tourne au duel à mort, a aussi vu sa photo primée. Le portrait d’un délinquant en maison de correction, « Si je veux siffler, je siffle », du Roumain Florin Serban, a reçu le Grand prix du jury et le prix Alfred Bauer, qui récompense une oeuvre innovante. Vingt longs métrages étaient en lice cette année dans une sélection qui à l’instar de l’édition 2009 — qui avait couronné le péruvien « Fausta » (La teta asustada) de Claudia Llosa — était plutôt terne.

Voir aussi : Rubrique cinéma Les réalisateurs turcs exportent leurs richesses, Un cinéma entre deux mondes,

L’humble ivresse musicale d’Aldo Ciccolini : Entretien

Découverte d’un pianiste virtuose

Par Jean-Marie Dinh

A l’aube de ses quatre vingts ans, Aldo Ciccolini est un des rares grands maîtres du piano en concert ce soir au Corum

Inlassable défricheur du répertoire français, et ardent défenseur de la musique française au piano, Aldo Ciccolini reste l’un des pianistes les plus appréciés du public qui se souvient de ses enregistrements légendaires de Satie, Séverac mais aussi Chopin Beethoven et Alkan. D’origine napolitaine, il acquiert la nationalité française en 1971. Véritable enfant prodige le jeune Aldo est embauché dans une saison régulière dès l’âge de huit ans, mais débute vraiment sa carrière après  avoir remporté le concours Long Thibaud en 1949

« Cela m’a permis de commencer une carrière. Mais ne croyez pas que j’ai été une bête à concours. J’ai participé à un seul concours de toute ma vie, et basta ! Si je n’avais pas obtenu la victoire, je n’aurais pas recommencé la fois suivante. J’aurais attendu une autre occasion. On peut très bien faire une carrière sans passer par la voie des concours internationaux ; simplement, on met dix ans de plus »

S’il se défend d’avoir une patrie musicale, Aldo Ciccolini reconnaît la marque des grandes écoles de piano mais préfère avant tout, celle de l’expression personnelle.  Avec ce récital au Festival de Radio France, le pianiste virtuose signe un retour attendu. Le choix de la sonate en si bémol Majeur opus posthume D 960 de Schubert lui permettra d’exercer son talent avec cette œuvre de pure génie modulatoire.  Exempt de toute démonstrativité, le jeu de Ciccolini devrait faire merveille. On peut s’attendre à ce que le raffinement pianistique qui prévaut chez Ciccolini donne une humanité pénétrante à l’œuvre de Schubert. Le virtuose s’emparera également de la sincérité musicale de Litsz en interprétant, consolation, Funérailles, Polka de Méphisto, La mort d’Isolde et Rigoletto. Un grand moment en perspective.

La Marseillaise 19/07/05

 

La leçon de Piano

Du 18 au 21 juillet, de jeunes élèves suivent à la médiathèque Emile Zola des cours d’interprétation dispensés par Aldo Ciccolini, des instants d’une rare sensibilité ouverts au public

C’est un plaisir pour le spectateur qui passe dans les coulisses et certainement un moment inoubliable que ces leçons à des élèves sélection-nés sur leurs motivations. Dès le premier contact le maestro veille à chasser les tensions. Il s’agit d’aller à l’essentiel, la musique et rien que la musique.
En initiant le cycle de Master-Class qui se tient jusqu’à vendredi à la grande Médiathèque, le jeune pianiste Michaël N’Guyen avait choisit Chopin et Debussy, des compositeurs dont Aldo Ciccolini est un des plus ardents défenseurs. Le maître observe, écoute,  conseille avec bienveillance :

« Quand nous jouons nous racontons une histoire ! La musique est très proche de la prosodie des acteurs. Ne t’occupe pas du solfège, c’est anti musical. »

La nature du rapport entre le maître et l’élève révèle une disponibilité mutuelle féconde. Le public profite lui de cet accompagnement pour se faire l’oreille aux variations proposées par le maestro.

« Il y a la tentation d’une marche funèbre mais ce n’est pas une marche funèbre. Chopin exprime de la lassitude, un sentiment de désolation, de mal de vivre… », les clés données par Aldo Ciccolini suivront sans nul doute la carrière des jeunes musiciens, comme ses conseils : « Ton piano est un morceau de glaise, c’est un être humain que l’on caresse. C’est le piano qui joue de toi. Tu es joué par le piano. » Avec humilité Ciccolini prend plaisir à transmettre ce qu’il sait de l’art, sans jamais en faire le tour.

L’Hérault du Jour 18/07/06

 

" L’occident va vers sa ruine culturelle "

 

L’humble ivresse musicale d’Aldo Ciccolini

A 80 ans, Aldo Ciccolini conserve le pouvoir expressif des grands maîtres du piano. L’auteur qui a adopté la France est aussi un ardent défenseur du répertoire musical français dans le monde.  Ses mots sont aussi limpides et justes que son doigté : Entretien.

Quelles sont les qualités de l’élève et du professeur qui vous paraissent les plus importantes ?

Il s’agit dans les deux cas d’être serviteur de l’art. Que l’on soit enseignant que l’on soit pianiste concertiste ou élève, nous sommes au service d’un idéal bien plus grand que nous que l’on appelle la musique. C’est la qualité que j’apprécie le plus. Quant à se faire valoir en grand pianiste superstar et toutes ces bestialités de l’époque, je n’en crois pas un mot. Je crois au service, qui n’est pas du tout humiliant, au contraire, c’est notre fierté de servir la musique.

L’interprète n’est qu’un médiateur ?

Oui, l’interprète est un médiateur. Il passe. Il agit parce que la musique doit durer. Nous passons, la musique doit rester.

Vous ne semblez guère optimiste sur l’avenir de la musique et plus largement celui de la culture occidentale ?

Je ne suis pas optimiste du tout. L’occident va vers sa ruine culturelle. Et comme l’occident n’a existé jusqu’ici que grâce à sa culture, privé de sa culture, je me demande ce qu’il en restera.

Qu’est ce qui vous fait dire cela ?

Beaucoup de choses, il y a un changement de société, l’indifférence, la recherche de la compétition sportive qui est d’ailleurs en train d’envahir la musique. Aujourd’hui on parle de celui qui joue plus vite et plus fort que son copain. Tout cela ce sont des signes précurseurs dans les astres. L’émulation… L’émulation est un sentiment qui disparaît. C’est un sentiment très saint car  il nous permet de reconnaître la valeur d’un autre et de vouloir l’égaler. Alors que dans la compétition, il y a quelqu’un qui veut gagner à n’importe quel prix. Fusse-t-il le plus sale des prix, on l’a vu récemment.

Le rapport au public, quelle place occupe-t-il pour vous ?

Nous avons besoin du public. C’est-à-dire que nous l’aimons, dans le sens où nous lui racontons nos joies nos misères… nos déceptions. Le public ne sait pas ce que nous racontons exactement, mais il sait que l’on est en train de raconter quelque chose et parfois, il répond parce qu’il a compris qu’on lui adresse la parole en jouant.

Comment gérer les connaissances après avoir rencontré succès et reconnaissance ?

Moi je pars du principe, même à mon âge, que je ne sais rien de la musique. Et je travaille et je me documente avec beaucoup d’humilité. Car le domaine de l’art est si vaste que personne ne pourrait se vanter d’en avoir fait le tour.

Le  fait d’enseigner, est-ce important  ?

C’est énorme. J’ai autant de joie à enseigner que j’en ai à jouer en public. Il ne s’agit pas du rapport professeur élève. Par exemple tous mes élèves me tutoient, je leur demande de me tutoyer parce que nous sommes tous père et fils devant la musique. C’est un rapport amical, un rapport basé sur le respect de l’autre. Il m’importe surtout de faire n’importe quoi pour que l’élève soit tranquille après une leçon. Je n’ai jamais compris la sévérité excessive de certains professeurs qui souvent provoque des troubles mentaux. Ce ne sont pas des professeurs, ce sont des incompétents qui masquent leur incompétence derrière le voile de la sévérité. C’est beaucoup plus simple d’être gentil. D’encourager l’élève, même s’il a beaucoup de travail devant lui, il faut le mettre dans les conditions d’esprit de pouvoir faire son travail dans la joie. S’il n’y a pas de joie, il n’y a pas de travail.

La Marseillaise 18/07/06

Voir aussi :  Rubrique Festival, Festival de Radio France,  rubrique Musique , rubrique Politique culturelle, rubrique Rencontre, René Koering,