Brésil. La condamnation de Lula n’est pas une bonne nouvelle

L’ancien président brésilien Lula lors d’une manifestations des syndicats de la métallurgie à Sao Paulo, le 15 juillet 2017, quelques jours après sa condamnation pour corruption passive. PHOTO Miguel SCHINCARIOL/AFP

L’ancien président brésilien Lula lors d’une manifestations des syndicats de la métallurgie à Sao Paulo, le 15 juillet 2017, quelques jours après sa condamnation pour corruption passive. PHOTO Miguel SCHINCARIOL/AFP

L’ancien président brésilien a écopé de neuf ans et demi de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent. Une lourde peine qui renforce le climat d’incertitude politique.

 

La condamnation en première instance le 12 juillet de l’ex-président Luiz Inácio Lula da Silva à neuf ans de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent est une mauvaise nouvelle pour le Brésil. Hormis l’atteinte à la personnalité la plus emblématique du pays leader de l’Amérique latine de ces dernières années, cela aggrave le climat d’incertitude politique et institutionnelle qui règne dans le pays. Et augure un avenir bien sombre jusqu’aux prochaines élections présidentielles prévues pour octobre 2018.

Lula est une figure déterminante de l’histoire récente d’un pays qui a réussi à s’imposer comme l’une des principales économies mondiales et à intégrer dans la classe moyenne les 30 millions de personnes vivant dans des conditions de grande pauvreté. À la destitution contestée de la présidente Dilma Rousseff – n’oublions pas qu’elle a été accusée, non de corruption, mais d’avoir maquillé les comptes publics – il faut désormais ajouter la révélation d’une corruption endémique à très grande échelle. D’autant qu’une nouvelle tempête institutionnelle se profile à l’horizon, avec l’accusation de corruption portée contre le président en place, Michel Temer.

C’est dans ce contexte que Lula avait prévu de revenir sur la scène politique pour sauver le pays et relever son parti en mauvaise posture. On peut évidemment douter de la pertinence de ce projet, stoppé net aujourd’hui.

Un terrible revers pour le PT

Toutefois, puisqu’il est possible de faire appel de cette sentence – avec pour effet immédiat la suspension de son exécution et la possibilité donnée à l’ex-président de se représenter aux élections –, le verdict n’éloigne pas définitivement Lula de la scène politique. Mais cela constitue un terrible revers pour ses ambitions personnelles comme pour sa formation, le Parti des travailleurs (PT), qui se doit de rester légitime dans la défense des intérêts d’une grande partie des Brésiliens. Au cœur de nombreux scandales depuis bien des années, le PT a fait appel à Lula, consumant ainsi sa dernière cartouche, et ne dispose à présent d’aucun plan B.

L’affaiblissement des autres grands partis n’est pas une consolation en soi, loin s’en faut, compte tenu de l’état pitoyable du paysage politique brésilien. Une écrasante majorité des responsables politiques de ces dernières années a gouverné dans un système rongé par la corruption. Et ceux qui n’y ont pas directement participé ont préféré ne rien voir et n’ont rien entrepris pour la combattre.

Le Brésil a fait un pas de géant, suscité l’admiration du monde entier, et sa réussite est devenue un exemple pour un grand nombre de pays. Mais c’est ignorer que la corruption finit toujours par ronger les systèmes qu’elle infiltre. Ainsi, outre l’effondrement politique et institutionnel, la classe politique s’est totalement discréditée aux yeux de l’opinion publique. Si on y ajoute une stagnation économique résultant d’un processus de décision politique en état de paralysie, cette défiance peut très vite gagner l’ensemble du système démocratique et servir de socle aux discours populistes qui ont déjà fait preuve de leur efficacité sous d’autres latitudes. Le Brésil s’y expose.

Un verdict sans précédent

“Lula est le premier ancien président à être condamné”, titre le 13 juillet O Globo après la décision du juge Sérgio Moro, chargé des dossiers de l’opération Lava Jato, l’enquête sur le scandale de corruption impliquant la société pétrolière Petrobras. Lula a été reconnu coupable d’avoir accepté plus de un million d’euros – dont un appartement en bord de mer près de São Paulo – de la part de l’entreprise d’ingénierie OAS, en remerciement de son intervention pour l’attribution de contrats avec Petrobras. Pourtant, en raison du manque de preuves concrètes, “il y a une bonne dose d’interprétation dans le jugement de Moro au sujet de Lula”, estime la Folha de São Paulo. L’ex-président a fait appel, une procédure qui pourrait prendre jusqu’à dix mois.

Source : El País Brasil  São Paulo brasil.elpais.com  Courrier International 18/07/2017

Voir aussi : Actualité Internationales, Rubrique Amérique Latine , rubrique Brésil, rubrique Politique, Affaires, rubrique Economie, rubrique Société, Justice,

« Changer la géographie du monde » pourquoi Lula a « presque » tenu son pari

lula

Luiz Inacio Lula da Silva

Il ne voulait rien de moins, avait-il confié un jour au Time, que « changer la géographie politique et économique du monde ».

Un pari fou que, huit ans après son arrivée à la tête du Brésil et alors qu’il va passer le flambeau, Luiz Inacio Lula da Silva est pourtant en passe de tenir, à en croire la tribune que son ministre des Affaires étrangères, Celso Amorim, a signée cette semaine dans Le Monde : « Depuis près de huit ans, le Brésil a oeuvré avec audace et, à l’instar d’autres pays en développement, nous avons changé notre importance sur la carte du monde. Nos pays sont vus aujourd’hui, même par les critiques éventuels, comme des acteurs dont les responsabilités sont croissantes et dont le rôle est de plus en plus central dans les décisions qui affectent l’avenir de la planète. »

Et ce tout en ayant réussi à séduire aussi bien au Forum social mondial de Porto Alegre qu’au Forum économique mondial de Davos.

Comment diable a-t-il fait ?

Porte-parole des pays du Sud

Rééquilibrer l’échiquier mondial, jusque-là accaparé par la Triade (Etats-Unis, Europe, Japon), en donnant aux pays du Sud une place à la mesure de leur poids politique et économique : tel va être pendant huit ans le cheval de bataille de Lula. La méthode va consister à « lancer toute une série de groupes de pression au niveau international pour provoquer une gestion multilatérale dans le commerce mais aussi dans d’autres domaines », explique Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Iris. Lula va ainsi multiplier les alliances avec les pays en voie de développement.

Il va donner le ton dès 2003, lors de la conférence de l’OMC à Cancun, en prenant la tête d’une coalition de pays émergents pour refuser des accords commerciaux favorables aux pays du Nord. C’est à lui que l’on doit l’élargissement du cercle des décideurs de la planète du G8 au G20. Le Brésil de Lula participe aussi, avec l’Inde et l’Afrique du Sud, à l’IBAS, un groupe chargé de faire du lobbying, chacun dans sa zone respective. Et au BRIC, avec la Russie, l’Inde et la Chine, qui a pour mission de coordonner leur action. Il a aussi noué des relations privilégiées avec les pays arabes et avec l’Afrique noire.

Le président brésilien ne va pas pour autant délaisser son continent. Là aussi, il va nouer des alliances avec ses voisins émergents face au géant nord-américain. Il est à l’initiative de la création, en 2008, d’une Union des nations sud-américaines, l’UNASUR. Objectif : laver son linge sale en famille, pour éviter d’avoir recours aux Etats-Unis ou à l’ONU en cas de crise.
Il défend ses voisins face aux appétits américains – c’est ainsi qu’il s’est opposé au projet de Zone de libre-échange des Amériques voulu par les Etats-Unis (ZLEA) ou qu’il a soutenu le président déchu hondurien contre l’avis de Washington –, se pose en arbitre dans les conflits de la région et cherche avec eux le compromis – par exemple dans le contentieux qui a opposé la Bolivie à Petrobras en 2006, Lula a préféré chercher le compromis plutôt que de défendre bec et ongles l’entreprise brésilienne.

« Le fait que le Brésil n’ait pas revendiqué le siège de l’UNASUR, qui est revenu à l’Equateur, témoigne de sa prise en compte de ses voisins », fait également remarquer Jean-Jacques Kourliandsky. Du coup, même si certains pays d’Amérique latine demeurent méfiants, soupçonnant leur gigantesque voisin d’avoir des desseins expansionnistes, reste que « le Brésil est devenu un facteur de stabilité dans la région, garant de la souveraineté populaire et de la légitimité des gouvernements », constate le sociologue et historien Laurent Delcourt.

Cette politique du « gentil géant », comme il la qualifie, ou ce « leadership qui se veut aimable », comme l’appelle Jean-Jacques Kourliandsky, est donc l’une des clés du succès de la diplomatie brésilienne.

Un rêve de puissance

Mais son « multilatéralisme va aussi dans le sens du renforcement de la présence du Brésil dans le monde », relève ce dernier. « Ce militantisme pour un système international plus démocratique masque des stratégies unilatérales dues à la puissance économique et politique du Brésil, » renchérit Laurent Delcourt. « Il poursuit aussi des intérêts nationaux, notamment en poussant l’expansion de ses entreprises multinationales. »
Si Lula exerce une politique étrangère progressiste, sur le plan économique et commercial, il s’inscrit dans une certaine continuité : « Il est le champion de la libéralisation du marché agricole, et quand il fait des discours enflammés sur la réforme du système financier international, il s’oppose en même temps à la taxation de ses banques », poursuit le chercheur.

Car dans la géographie mondiale que Lula entend redessiner, le Brésil prétend au rang de grande puissance. Ce pays qui n’était encore en 2002 que la première puissance d’Amérique du Sud est, en l’espace de huit ans, non seulement devenu la première puissance d’Amérique Latine, au nez et à la barbe du Mexique qui hier encore occupait cette place de choix, mais également un acteur global. Il entend donc revendiquer le statut qui va avec ce poids politique et économique.

Mais, au fait, c’est quoi une grande puissance ? Aujourd’hui, cela répond encore à des critères auxquels le Brésil ne répond pas, note Jean-Jacques Kourliandsky : être une puissance nucléaire, être membre du G8 et faire partie du Conseil de sécurité.

Certes, il n’est pas une puissance nucléaire, mais il est en train de se doter de capacités militaires (notamment via un accord stratégique signé en 2008 avec la France).
Certes, il n’est pas membre du G8, mais il est dans le G20. Fort de ses nombreuses entreprises multinationales (Pétrobras, Vale, Embraer, Votorantim…) qui gagnent toujours plus de parts de marché dans le monde, il est aujourd’hui la 8e puissance économique mondiale. Dans moins de dix ans, il pourrait grimper sur la cinquième marche du podium, à en croire le FMI, en ayant au passage rejoint les plus grands exportateurs de pétrole de la planète.
Enfin, il fait tout pour décrocher le fameux siège au Conseil de Sécurité de l’ONU. Et là aussi le Brésil a su jouer collectif. C’est avec cet objectif en tête qu’il dirige depuis 2004 une opération de paix de l’ONU, la MINUSTA à Haïti, ce qui est une première pour un pays d’Amérique Latine, et qu’il a constitué le G4, aux côtés de l’Allemagne, du Japon, et de l’Inde, autant de pays qui, comme lui, entendent pousser la porte jalousement gardée du Conseil de sécurité.

Bref, Lula a donné un sacré coup d’accélérateur : entre 2002 et 2010, « le Brésil est entré dans le sas entre pays émergent et grande puissance. Il peut à juste titre être placé dans le deuxième cercle« , estime Jean-Jacques Kourliandsky. « Il a tendance non plus à se considérer comme une puissance émergente mais émergée », constate Laurent Delcourt.

Alors que son prédécesseur Fernando Henrique Cardoso voulait entrer discrètement dans la mondialisation, Lula a choisi de conduire une diplomatie audacieuse et décomplexée qui a donc porté ses fruits. Mais parfois au risque de se montrer peut-être trop gourmand.

« Risible et ingénu ». Le jugement de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton sur sa proposition de médiation au Proche-Orient est sans appel. L’accueil glacial avec lequel ont été reçues ses tentatives de coups d’éclat – ses interventions dans le conflit israélo-palestinien et dans le dossier du nucléaire iranien – montrent qu' »il a tendance à mettre la charrue avant les bœufs » et qu' »il n’est pas encore assez mûr pour prétendre exercer ce rôle », de l’avis de Laurent Delcourt. A moins qu’il ne témoigne de l’agacement des grandes puissances face à la propension de cet outsider à vouloir jouer dans la cour des grands ?

L’homme politique le plus populaire du monde

N’empêche, même Barack Obama a avoué sa fascination pour Lula : « J’adore ce type ! C’est l’homme politique le plus populaire du monde ! », s’était-il exclamé, à la surprise générale, en marge d’une réunion du G20 en avril 2009.

Il ne fait nul doute qu’une bonne part de ce que le président brésilien a accompli est à mettre sur le compte de sa personnalité. D’abord, il y a cette « bonhommie toute populaire qui l’aide à créer un sentiment de sympathie », souligne Laurent Delcourt. Ensuite, « il a su appliquer sa culture du combat syndical à la gestion des affaires du monde : il a su discerner les conflits, définir son objectif, se chercher des alliés, faire preuve de compromis », ajoute Jean-Jacques Kourliandsky.

Mais derrière le charisme et l’intelligence de l’ouvrier métallurgiste devenu président, il y a aussi une diplomatie très compétente, l’Itamaraty, rappellent les deux chercheurs. C’est l’une des meilleures du monde. Qu’il a d’ailleurs contribué à renforcer en doublant son réseau d’ambassades à force de sillonner la planète.

De quoi conclure que même si l’architecte s’en va, l’échafaudage diplomatique qu’il a bâti saura survivre à l’élection de ce dimanche ?

Il y a fort à parier que personne, quelle que soit la personnalité qui sera élue et a fortiori si c’est sa dauphine Dilma Rousseff, ne reniera un travail aussi titanesque et populaire. La plupart des candidats reconnaissent d’ailleurs autant le bilan positif de Lula sur le plan de la politique extérieure qu’intérieure.

Sarah Halifa-Legrand Nouvelobs.com

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