Face aux juges, Mariano Rajoy nie tout lien avec un réseau de corruption

Capture d’une vidéo de l’audition du premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, à l’Audience nationale, à San Fernando de Henares, le 28 juillet. POOL / AP

Capture d’une vidéo de l’audition du premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, à l’Audience nationale, à San Fernando de Henares, le 28 juillet. POOL / AP

« Je ne me suis jamais occupé des affaires économiques du parti », a déclaré le chef du gouvernement espagnol, cité en qualité de témoin au procès de l’affaire d’un vaste réseau de corruption touchant le Parti populaire.

Il ne savait rien, « ne connaissait pas » le principal accusé et « ne s’occupait pas des affaires économiques » du Parti populaire (PP, droite). Le chef du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, entendu, mercredi 26 juillet, en qualité de témoin dans le cadre du procès de l’affaire Gurtel, a nié tout lien avec le vaste réseau de corruption qui éclabousse le PP.

D’abord mal à l’aise, puis se moquant, ironique, des avocats de l’accusation, il a été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises par le président du tribunal. Son témoignage a convaincu les siens. Mais pas les partis de l’opposition, qui ont déclaré, à l’unisson, « ou bien il ment, ou bien il est incompétent ».

Le gouvernement avait tout fait pour éviter l’affront de voir M. Rajoy assis devant les juges, demandant qu’il puisse témoigner par vidéoconférence, ce qui lui a été refusé. D’autres stratagèmes ont finalement été utilisés pour en limiter l’impact médiatique négatif.

Deux semi-remorques, stationnés à dessein face à l’Audience nationale, ont ainsi empêché les photographes et caméras de télévision de capter l’image du chef du gouvernement pénétrant dans le parking du haut tribunal.

Elus véreux, comptes en Suisse

Entré en voiture, contrairement à l’usage, M. Rajoy a pu éviter les dizaines de manifestants criant « ce président est un délinquant » et les journalistes massés derrière des barrières. Dans la salle, il n’a pas eu non plus à croiser les principaux accusés. L’entrepreneur Francisco Correa, cerveau présumé du réseau de corruption, accusé d’exiger des pots-de-vin aux entreprises en échange de l’attribution de contrats publics dans plusieurs villes gouvernées par le PP, puis d’arroser des élus véreux et de financer illégalement des actes de campagnes était absent.

Tout comme Luis Barcenas, l’ancien intendant puis trésorier du PP, gardien présumé d’une comptabilité parallèle, à qui Mariano Rajoy a envoyé un SMS lui disant « Sois fort ! », en 2013, quelques jours après que la presse eut publié que près de 50 millions d’euros avaient transité sur ses comptes en Suisse.

M. Rajoy a aussi évité de s’asseoir avec les autres témoins et accusés : exceptionnellement, une table a été installée à côté du président du tribunal. Tout a été fait pour que les images du témoignage de M. Rajoy ne l’accablent pas. Mais il n’a pas pu éviter les questions embarrassantes des avocats de l’accusation.

En tant que vice-secrétaire d’organisation du PP entre 1990 et 2003, directeur de plusieurs campagnes électorales puis secrétaire général de 2003 à 2004, Mariano Rajoy a dû éclaircir quelles étaient ses relations avec les accusés et que savait-il de leurs agissements entre 1999 et 2005, l’époque jugée depuis octobre. Il a balayé l’essentiel des questions d’une phrase, répétée à l’envi : « Je ne me suis jamais occupé des affaires économiques du parti. » Il a aussi assuré que malgré sa position dans l’organigramme, il n’exerçait, « de fait », presque aucune fonction au sein du PP, car il était alors ministre du gouvernement de José Maria Aznar (1996-2004).

Savait-il que M. Correa a payé son voyage aux Canaries en famille, en 2003 ? « C’est le parti qui l’a payé, de ce que je sais », a-t-il répondu. Que signifiait le SMS envoyé à M. Barcenas dans lequel il disait « nous faisons ce que nous pouvons » ? « Cela veut dire que nous n’avons rien fait qui puisse porter préjudice à un processus judiciaire », a-t-il assuré.

Pourquoi a-t-il rayé M. Correa de la liste des sociétés qui prêtaient habituellement ses services au PP, lorsqu’il en est devenu président, en 2004 ? Parce que l’ancien trésorier entre 1990 et 2008, Alvaro Lapuerta, lui aurait dit que « certains fournisseurs utilisaient le nom du PP…, a répondu M. Rajoy. Je lui ai demandé s’ils faisaient quelque chose d’illégal, il m’a dit qu’il n’avait pas de preuve mais qu’il n’aimait pas ça… Nous avons donc cessé de l’employer. » Chose que M. Lapuerta ne peut confirmer. Agé de 88 ans, il souffre de démence sénile depuis qu’il a fait une mauvaise chute, en 2013, peu après sa mise en examen.

Quant aux « papiers de Barcenas », des documents manuscrits où sont consignés des virements de chefs d’entreprises et des versements à des dirigeants politiques, dont M. Rajoy, semblant accrédité l’existence d’une comptabilité illégale du PP, le chef de l’exécutif a déclaré qu’ils sont « absolument faux. »

L’affaire Gurtel est en grande partie responsable de la perte de 3 millions d’électeurs du PP entre 2011 et 2016, et de la réticence des partis politiques à s’allier avec lui pour garantir la stabilité du gouvernement, en minorité au Parlement.

Le secrétaire général du Parti socialiste espagnol, Pedro Sanchez, a d’ailleurs saisi l’occasion pour demander la démission de Mariano Rajoy, « pour la dignité de la démocratie ».

Sandrine Morel

Source Le Monde 26/07/2017

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Les socialistes espagnols refusent de faciliter la reconduction de Rajoy

mariano-rajoy-y-alicia-sanchez-54354350117-54028874188-960-639Les dirigeants du PSOE comme de Podemos ont tenu samedi 9 juillet deux réunions clés, alors que l’Espagne est toujours sans gouvernement. Les premiers ont prévenu qu’ils ne faciliteraient pas l’investiture du sortant, Mariano Rajoy. Les seconds, eux, commencent à analyser leur défaite avec Pablo Iglesias qui prédit la « normalisation » de Podemos. La droite espère former un gouvernement fin juillet.

cause de la fusillade de Dallas, Barack Obama a écourté d’un jour son séjour en Europe, et annulé son déplacement à Séville. Il se contentera dimanche d’une escale à Madrid pour échanger avec le chef du gouvernement sortant, Mariano Rajoy (PP, droite). Le président des États-Unis a tout de même souhaité maintenir de brefs entretiens avec les trois candidats de l’opposition, Pedro Sánchez (PSOE), Pablo Iglesias (Podemos) et Albert Rivera (Ciudadanos), qui devraient se dérouler à l’aéroport militaire de Torrejón de Ardoz, non loin de Madrid, juste avant son envol, en milieu d’après-midi, pour Washington.

Barack Obama a sans doute préféré rester prudent, face à la crise politique espagnole ouverte par les législatives du 20 décembre 2015. Si Mariano Rajoy semble le mieux placé, depuis les générales du 26 juin, pour présider le prochain exécutif, les incertitudes sont encore nombreuses. Certains s’interrogent déjà, dans la presse espagnole, sur la probabilité de la tenue de troisièmes législatives consécutives, en novembre 2016.

Dans un discours très attendu – il était resté silencieux depuis 13 jours –, Pedro Sánchez a prévenu samedi lors d’un comité fédéral du PSOE que son parti voterait contre l’investiture de Rajoy. Et qu’il n’était pas question que les 85 députés socialistes s’abstiennent, pour faciliter la formation d’un gouvernement minoritaire emmené par le PP. « Rajoy ne peut pas exiger notre soutien. Nous sommes l’alternative au PP, nous ne pouvons pas être la solution. Qu’il se trouve d’autres alliés », a lancé le leader socialiste. « Pour que l’on puisse construire une opposition, il faut qu’il y ait un gouvernement, a-t-il poursuivi. Que Rajoy se mette à travailler pour de bon, et qu’il soit à la hauteur des responsabilités […] Qu’il ne compte pas avec les socialistes. »

Le PP est sorti vainqueur des législatives de juin, avec 137 sièges (33 % des voix). Des quatre principaux partis, il est le seul à avoir amélioré son score, en voix comme en pourcentage, par rapport aux législatives de décembre 2015. S’il scelle une alliance avec Ciudadanos le parti de centre-droit (32 sièges, 13 %), il ne manquerait au PP que sept sièges pour former une majorité absolue au sein du Congrès des députés (qui compte 350 sièges). Mariano Rajoy mise sur l’abstention à la dernière minute de certains socialistes, prêts à se sacrifier pour sortir l’Espagne de la crise politique, et empêcher le retour aux urnes. Certaines figures de la vieille garde socialiste, comme l’ex-chef du gouvernement Felipe González, ou l’ex-président du parlement européen Josep Borrell, ont ainsi plaidé pour une abstention « sous conditions » du PSOE, pour débloquer la crise politique.

Mais le discours de Sánchez, samedi, complique le scénario d’une investiture rapide de Rajoy dès le vendredi 27 juillet, comme le PP l’espère. Aux yeux de la plupart des barons locaux du PSOE, les résultats du 26 juin ont confirmé le statut de Sánchez comme principale figure de l’opposition au PP. Il n’est donc pas possible de commencer ce travail d’opposition en facilitant l’investiture de Rajoy. Au sein du parti socialiste, ils ne sont qu’une minorité, emmenée par le chef des socialistes catalans Miquel Iceta, à exhorter le PSOE à ne pas se cantonner à l’opposition, et tenter de former, coûte que coûte, une majorité alternative au PP, avec Ciudadanos et la coalition Unidos Podemos.

Les socialistes ont l’impression d’avoir beaucoup travaillé à former une majorité, après les législatives du 20 décembre, à l’inverse du PP, qui s’est tenu à l’écart des négociations. Et c’est le parti de Mariano Rajoy qui s’est trouvé conforté dans les urnes. Cette fois, Sánchez exhorte donc Rajoy à se mouiller davantage. Cette stratégie du « non » à Rajoy n’est pas sans risques, juge samedi un éditorialiste d’El País (quotidien qui a fait campagne, au printemps, pour une grande coalition PP-PSOE-Ciudadanos) : « Cette monosyllabe sans équivoque, entrouvre, même si cela paraît invraisemblable, l’hypothèse de troisièmes législatives. Et oblige surtout Rajoy, pour empêcher une répétition du scrutin, à travailler sur l’anathème qu’il a lancé contre les nationalistes. »

Si les socialistes maintenaient, d’ici fin juillet, leur abstention, Rajoy n’aurait d’autre choix que d’aller chercher des voix du côté de certains partis régionalistes, comme les Basques du PNV (cinq députés). Cela pourrait prendre du temps. Madrid est censé envoyer à Bruxelles une première version de ses budgets pour l’année 2017 d’ici fin août. Il faudrait donc un accord d’ici fin juillet. En réaction au discours de Sánchez, Rajoy a déclaré samedi que « répéter les élections serait une folie », et promis qu’il réalisera « tous les efforts dont il est capable » pour former un gouvernement « le plus rapidement possible ».

Ludovic Lamant

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Source Médiapart 09/07/2016

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