Patrick Boucheron « L’histoire nous aide à résister contre l’idéologie de séparation »

«?On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre.?» Photo Jérôme Bonnet

« On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre. » Photo Jérôme Bonnet

L’historien Patrick Boucheron inaugure ce soir le cycle de conférences gratuites des Chapiteaux.

Professeur à l’université Panthéon-Sorbonne, Patrick Boucheron est entré au collège de France en 2015. Ce médiéviste se préoccupe de rendre audible sa discipline à travers la société d’aujourd’hui. Il aime bouleverser l’ordonnancement des disciplines, recourir à de nouveaux découpages intellectuels pour mieux percevoir le présent, quitte à déranger les traditions épistémologiques les mieux établies.

Vous ouvrez ce soir le cycle de conférences sur le thème  « De l’histoire comme art de résister ».  L’histoire serait un art ?
Je suis médiéviste,  au Moyen-âge on entendait l’art comme une modeste technique, juste un savoir-faire qui renvoyait à un groupe social qui se reconnaissait lui-même dans ce groupe et dans ce savoir-faire. J’aime cette définition, comme l’idée de l’atelier de l’historien qui se rêve artiste. Notre matière première c’est un passé qui ne nous attend pas. Un passé à construire, qui peut inspirer un autre rapport à la vie. Un des historiens qui m’a inspiré, Georges Duby, se présentait comme un travailleur dans l’atelier.

Selon vous, qu’est-ce que résister veut dire ?
Cela n’a rien de martial, de véhément. C’est une manière modeste et obstinée d’opposer une résistance à l’air du temps, à l’arrogance du présent. On ne peut affirmer n’importe quoi si l’histoire résiste comme on pourrait le dire d’un matériau. Après bien-sûr,  je ne méconnais pas ce qu’est historiquement l’histoire. Elle est née de la nécessité de célébrer le pouvoir, c’est un discours d’escorte. C’est pourquoi, ce que j’énonce reste une vision minoritaire.

Comment s’est opérée votre rencontre avec l’histoire ?
Très simplement, ce sont des enseignants qui avaient une certaine manière de dire l’histoire. Cette voix m’a entraîné  et je l’ai suivi. Les livres, je les ai lus après.  Je trouvais ces profs libres. Ils pratiquaient l’art de l’émancipation.

L’histoire comme libération… Comment divulguer ce message aux jeunes pour qui elle renvoie plutôt au passé ?
Tout dépend du rapport que l’on entretient avec le présent et avec la possibilité collective d’imaginer le futur. Si celui-ci nous paraît prometteur et source de progrès, de réalisation, le passé peut  être une ressource de consolation. On peut avoir de l’histoire un usage nostalgique, ce qui entraîne souvent la fonction de conservation de l’histoire. On peut aussi, ce qui est assez fréquent chez les jeunes, avoir le sentiment qu’il faut faire évoluer les choses parce que le futur qui nous est promis n’est pas satisfaisant. Moi je pense qu’à chaque révolte, ce qui encourage à se révolter est un exemple. Le passé rappelle que l’on a pu sortir de certaines conditions. Nous avons actuellement des exemples d’emprunts au passé. Les jeunes pensent aujourd’hui à l’espérance communale. Faire commune, c’est faire résonner une histoire ancienne.

Dans ce rapport au temps, on touche à votre terrain de prédilection, celui de déjouer l’ordre des chronologies pour produire une intelligibilité du présent…
Oui, déjouer les chronologies et les généalogies, désarmer la question des origines qui est une notion démobilisatrice. Cette question des origines est un point d’arrêt. C’est l’endroit où commence la généalogie de l’autorité, mais aussi de la contestation qui ne vaut guère mieux. User de l’histoire pour répéter le roman de la commune ne vaut pas mieux que de répéter le roman des rois. Il n’y a pas de vérité en soi,  pas de vérité absolue. Il n’y a que des vérités que l’historien doit construire pour mieux savoir les défendre, quitte à les défendre contre ses propres enthousiasmes?: il faut accepter que l’on va décevoir.

Où situez-vous les ponts entre histoire et littérature ?
Pour moi, la littérature et l’histoire sont toutes deux des sciences sociales et partagent à ce titre l’art de la description du réel. Dans le choix que j’ai fait pour le Moyen-âge, il y avait cet attrait pour les médiévistes qui sautaient les barrières avec la capacité d’être  sociologues, politistes, anthropologues…

Dans votre livre « Léonard de Vinci et Machiavel »*, vous usez de cette double source, historique et littéraire…
Avec ce livre, j’ai voulu tester la frontière entre histoire et littérature. C’est un essai où j’ai tenté quelque chose qui n’a rien à voir avec le fait de bien écrire. J’avais le souci du récit et lorsque se pose la question de qui ordonnera le récit, cela  devient politique. Ce livre se situe au-delà de la frontière de la confrontation, puisque l’histoire et la littérature ont été rivales pour comprendre le monde. D’une certaine manière, Balzac est un historien et Michelet est un écrivain. Cependant, éprouver les frontières ne signifie pas vouloir les abolir. Je n’écris pas pour déstabiliser. Ma génération a défendu l’histoire. Il a fallu réarmer la notion de réel pour lutter contre les négationnistes.

Ce combat semble aujourd’hui devoir se poursuivre sous de nouvelles formes...
Effectivement, quand on est enseignant, c’est important parce que cela relève de notre responsabilité. Il n’est pas simple de lutter contre la vision complotiste en argumentant et en poussant la réflexion sans jeter le bébé avec l’eau du bain, car certains complots existent.

Dans votre leçon inaugurale au Collège de France vous évoquez à propos de la théorie du pouvoir, donc au-delà de la religion, le christianisme comme une structure anthropologique englobante qui semble particulièrement d’actualité dans le monde  contemporain…
Les structures englobantes sont beaucoup plus robustes qu’on ne se l’imagine et on est beaucoup plus gouvernés qu’on ne le pense. Nous avons construit certaines idées fausses sur le Moyen-âge. On dit des hommes de cette époque qu’ils étaient crédules et obéissants et qu’aujourd’hui nous sommes libres. Mais quand on va chercher des ressources dans le passé pour comprendre le présent, on les trouve plus libres et on se trouve plus dépendants.

La théologisation politique du monde occidental s’oppose-t-elle, comme le prétendent les grands leaders politiques, au fondamentalisme ?
Sur ce point, il ne faut pas tergiverser parce que l’heure est grave. L’idéologie de la séparation se répand partout. On veut nous faire croire que l’identité est ce qui résiste à l’autre. Ce qui veut se confirmer à elle-même.  Etre fidèle à son identité serait être soumis à ses intolérances. Je ne veux pas polémiquer mais lorsque j’entends Wauquiez appeler à « résister » contre le prétendu afflux des réfugiés, je trouve ces propos effrayants. L’histoire nous aide à résister contre la progression des idéologies de la séparation et à dire calmement que nous sommes plus nombreux à ne pas nous sentir menacés par la différence.

Propos recueillis par Jean-Marie Dinh

« Léonard de Vinci et Machiavel », Verdier 2013

Source: La Marseillaise 22/09/2016

Ecouter ; Leçon inaugurale de Patrick Boucheron au Collège de France

Voir aussi : Actualité France, Rubrique, Histoire, rubrique Rencontre, rubrique Débat, rubrique Science, Sciences humaines, Politique, rubrique Société, Citoyenneté

 

La Comédie du Livre donne rendez-vous à l’Italie littéraire

Milena Argus son roman Mal de pierres sera porté au cinéma par N. Garcia.  dr

Milena Argus son roman Mal de pierres sera porté au cinéma par N. Garcia. dr

La 31e Comédie du Livre se déroulera du 27 au 29 mai 2016. L’événement se classe dans le top 5 des manifestations littéraires françaises . Plus de 100 000 visiteurs sont attendus.

Après la littérature Ibérique en 2015, la manifestation confirme l’ancrage méditerranéen de la Métropole en mettant cette  année à l’honneur la littérature italienne. Le plateau d’auteurs invités compte pas moins de 35 écrivains italiens. La disparition de géants mondiaux comme Antonio Tabucci en 2012, ou plus récemment Umberto Ecco démontre la fertilité de la péninsule italienne en matière de monstres de la littérature. C’est-à-dire la capacité de l’Italie à produire des écrivains dont les oeuvres structurent notre imaginaire et notre rapport au monde.

Parmi ceux qui seront présents à Montpellier Claudio Magris héritier de la La Mitteleuropa qui connaît un grand succès public et critique, ou encore Erri De Luca dont les écrits lumineux frappent l’imaginaire autant que ses textes plus engagés. Luviana Castellina ex députée européenne, incarnera  l’une des  grandes consciences politiques en l’Italie tandis que Milena Agus représentera la nouvelle vague littéraire sarde.

Les maisons d’édition réputées pour leur catalogue italien débarquent avec leurs auteurs : Francesca Melandri, Giorgio Vasta, Andréa Bajani, et Ronerto Innocenti pour Gallimard, Stefano Benni, Giorgio Pressburger Valerio Magrelli et Antonella Cilento, pour Actes Sud,  ou encore Paolo Giordano, Marcello Fois, pour les éditions du Seuil. Michela Murgia les Antonio Moresco, Walter Siti et l’historien Giacomo Todeschini pour Verdier. A noter que l’éditeur invité cette année viendra aussi accompagné de talentueux auteurs français tels que Patrick Boucheron, Pierre Bergounioux et David Bosc.

Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle révèle déjà le vaste panorama littéraire italien qui sera offert à travers la vitalité de ses écrivains, y compris dans le domaine  du Roman noir et policier où les auteurs mettent souvent au centre de leurs intrigues les mensonges et les secrets de l’histoire officielle représenté par Maurizio De Giovanni et Luca Poldelmengo (Rivages) ou Giancarlo De Cataldo, l’auteur de Romanzo criminale qui est à la fois écrivain, scénariste et magistrat accompagné de Carlo Bonini (Métailié) et Paola Barbato (Denoël).

Le grand dessinateur Lorenzo Mattoti (Casterman) qui signe l’affiche de cette édition viendra illustrer l’élégance et la pureté du trait très présentes dans la bande dessinée italienne. Pour conclure, on doit se préparer à tout et prendre un peu d’avance sur les lectures.

JMDH

Les préfaces en médiathèques : L’Italie à l’heure des bilans

Massimo Tramonte

Massimo Tramonte

Le réseau des médiathèques de la Métropole propose un avant goût de la 31e Comédie du livre jusqu’au 26 mai 2016. Aujourd’hui à 18h30, au Grand auditorium de la Médiathèque Emile Zola à Montpellier, le maître de conférence Massimo Tramonte donnera une conférence sur le thème :  L’Italie à l’heure des bilans.

L’universitaire entend dresser un bilan réaliste et sans concession. « L’Italie est l’un des pays fondateurs de l’Union européenne et de la zone euro. Malgré cela l’Italie vit depuis de nombreuses années une crise économique, politique et morale dont on ne voit pas l’issue.

Des écrivains comme Roberto Saviano et Giancarlo De Cataldo, entre autres, ont bien décrit dans des ouvrages de fictions construites comme des enquêtes journalistiques, les dérives de l’Italie actuelle.

L’Italie est un pays en déclin avec des inégalités toujours plus importantes où 5% des familles les plus riches détiennent 35% de la richesse du pays et où 20% des plus pauvres s’acheminent vers une pauvreté absolue. Un pays où un jeune de 27 ans, qui a la chance de travailler, gagne en moyenne 26% de moins qu’un jeune de 27 ans en 1993 (données officielles).

Un pays où la distance entre la politique et la réalité du pays est toujours plus grande.  A l’heure des bilans, il faudrait, pour « sauver » l’Italie, comme le disait il y a quelques années l’historien Paul Ginsborg : faire confiance à des éléments fragiles mais toujours présents dans le passé de l’Italie : l’expérience des autonomies locales, l’européisme, les aspirations égalitaires et l’idéal de la paix, toutes choses inscrites dans cette Constitution qu’on voudrait changer en profondeur. »

Le 8 avril Dominique Fernandez présentera son dictionnaire amoureux de l’Italie.

Source : La Marseillaise

Voir aussi : Actualité locale, Rubrique Livre, Lecture, Littérature italienne, Edition, rubrique Montpellier, rubrique Italie,