Retraites : un recul social imposé sous haute pression

Avec infographie. Après des mois de forcing du Medef, et avec le concours du gouvernement, les négociations sur l’Arrco et l’Agirc  se soldent par un accord austère allongeant d’un an la durée de cotisation, sous peine d’une décote dissuasive.

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Et maintenant, la retraite à 63 ans ! Au minimum. Et avec des pensions revues à la baisse. Dans la série des reculs enregistrés en matière de droit à retraite depuis une vingtaine d’années, l’« accord de principe » trouvé vendredi entre les organisations patronales et trois syndicats (CFDT, CFTC, CGC) sur les régimes complémentaires Arrco et Agirc est à marquer d’une pierre noire. Après le recul de l’âge légal de départ à 62 ans imposé par la droite en 2010, et l’allongement de la durée de cotisation obligatoire à 43 ans dans le régime de base par Hollande en 2014, c’est une nouvelle vague de mesures austères qui menace le monde du travail. Vendredi soir, la satisfaction était franche du côté patronal, mais aussi chez Manuel Valls qui, selon plusieurs témoignages, n’a pas hésité à exercer des pressions sur des négociateurs syndicaux pour les amener à passer outre leurs réticences et à « s’engager ». Le chef de file de la délégation du Medef, Claude Tendil, jubilait, parlant d’« un accord historique » (une ultime séance de discussion pour finaliser le projet est prévue le 3 octobre). À peine moins enthousiaste, le patron de la CFDT, Laurent Berger, évoquait « un accord équilibré », des « mesures justes ». Tandis que Philippe Pihet, de FO, prononçait un « avis défavorable », dénonçant des efforts déséquilibrés, Éric Aubin, pour la CGT, regrettait « un jour très triste pour les retraités actuels et futurs ». Qu’on en juge.

L’instauration d’un mécanisme ?de décote

La négociation avait un objectif clair, incontesté : trouver les moyens de résorber le déficit croissant des régimes (3 milliards en 2014), plombés par le chômage et la stagnation des salaires. D’emblée, le Medef avait fixé ses conditions : pas de contribution supplémentaire des entreprises. Aux travailleurs de faire tout l’effort. À peu de chose près, il est parvenu à ses fins. Le projet d’accord sanctionne en premier lieu les actuels retraités. Ils subissaient depuis 2013 un « gel » de leurs pensions, par le biais d’une sous-indexation sur les prix : la mesure est reconduite jusqu’en 2018. De plus, la date de revalorisation est décalée d’avril à novembre. Les futurs retraités, eux, sont d’abord impactés par une augmentation du prix d’achat du point (l’Arrco et l’Agirc fonctionnent selon un système de points que l’on achète avec ses cotisations : plus le point est cher, moins la pension est élevée). Résultat : pour une carrière égale, la retraite complémentaire sera demain inférieure de 8,5?% à ce qu’elle serait aujourd’hui, précise la CGT. Mais la mesure phare de l’accord est l’instauration d’un mécanisme de décote. Désormais, pour avoir droit à la complémentaire pleine et entière, il ne suffira plus de remplir les conditions de départ au taux plein dans le régime de base de la Sécurité sociale, c’est-à-dire avoir l’âge légal des 62 ans et le nombre d’annuités requises, soit 41,5 actuellement. Il faudra prolonger encore son activité de 4 trimestres au-delà de ce seuil. Le salarié, qui déciderait malgré tout de partir, subirait un abattement dissuasif, joliment baptisé « coefficient de solidarité », de 10 % sur sa pension, et ce, pendant trois ans. Pour une retraite moyenne de 313 euros à l’Arrco, la ponction représente plus d’un mois de pension par an. L’âge de départ se trouve ainsi, de fait, porté à 63 ans – et même davantage pour ceux, nombreux, qui n’ont pas leur compte d’annuités à 62 ans. Ce système est particulièrement injuste pour « les 56 % de salariés qui, aujourd’hui, ne sont plus en emploi » au moment où ils partent en retraite, et qui ne couperont donc pas à la décote, et « pour les femmes dont la pension est déjà inférieure de 40 % à celle des hommes », pointe la CGT. Seuls les nouveaux retraités exonérés de CSG n’y seraient pas soumis. Pour faire avaler la pilule du malus, un bonus est prévu pour ceux qui travailleront 2 ans de plus que l’âge du taux plein (10 %) ou 3 ans (30 %). « Un tabou est tombé », se glorifie Claude Tendil, car cette « mesure courageuse » va permettre « d’agir sur les comportements ». Traduction : avec ce système, il revient aux salariés d’assurer l’équilibre financier des régimes en acceptant de travailler plus longtemps ou de toucher une pension diminuée. Un « libre choix » (une « retraite à la carte », dit Laurent Berger) qui est en réalité très contraint, et exonère les entreprises de leurs responsabilités.

Le patronat a certes consenti finalement à des hausses limitées de cotisations. Mais au final, le partage de l’effort reste des plus inégal (voir tableau). Cerise sur le gâteau, l’accord prévoit la fusion des deux régimes, et donc la disparition du régime spécifique des cadres (Agirc) qui garantit la reconnaissance de leur statut et de leur rémunération. En guise de contrepartie, le patronat promet une négociation pour définir la vague « notion d’encadrement ».

Yves Housson
Source L’Humanité 19/10/2015
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