Montpellier danse. Salia Sanou « Du désir d’horizons « 

 Une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. dr


Une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. dr

La vie un tout et un pas grand chose…

Avec Du désir d’horizons Salia Sanou approche l’indicible et l’absurde condition de vie d’un camp de réfugiés.

Depuis l’automne 2014, le chorégraphe Salia Sanou et les danseurs de La Termitière, Centre de développement chorégraphique de Ouagadougou, conduisent des ateliers dans le camp de réfugiés maliens de Sag-Nioniogo au Burkina Faso. L’action s’inscrit dans le cadre de Refugies on the move, un programme d’African Artists for Development initié en 2009. La danse y est support de médiation sociale, afin de réduire la violence intra et intercommunautaire, de favoriser le dialogue avec l’extérieur et de redonner estime de soi aux déplacés.

En commençant ces ateliers, Salia Sanou s’interrogeait sur les désirs pour l’avenir « dans ce lieu hors du temps où l’histoire semble s’être arrêtée, les liens aux autres et au monde semblent perdus ». Au centre de cette interrogation, les 35 000 réfugiés qui avaient fui la guerre et le texte Limbes/Limbo, un hommage à Samuel Beckett de l’auteure canadienne Nancy Huston. Le spectacle élaboré avec sept danseurs, certains des interprètes sont issus du camp, n’est pas une illustration du texte ni des réalités des exilés. La danse, porte l’énergie des femmes qui « réinventent chaque jour un peu de vie,  dit le chorégraphe, la musique et le rythme m’apparaissent comme un moyen de retour à la vie, même si… ».

D’abord le silence, et le mouvement du corps, celui d’une femme. Le corps parle de la brutalité violente de la vie. Le corps danse. Il est rejoint, par d’autres corps qui se nouent et se dénouent, se nourrissent d’états vécus, de rires et de douleurs, de tensions et de solidarités. La vie est là, puissante et fragile, sans assurance.

La vie est le risque de chaque instant qui repousse l’idée de futur, de rêve et de projet. Parce qu’ici et maintenant, ouvrir une perspective passe inévitablement par son corps que l’on met en danger.

L’oeuvre de Salia Sanou intègre depuis sa rencontre avec Mathilde Monnier, l’héritage de la danse africaine et de la danse contemporaine. Par la force de son propos, cette création, pousse le chorégraphe burkinabé à une grande liberté d’expression très perceptible sur le plateau.

Salia Sanou s’approprie les codes et les pratiques de la danse contemporaine et les ordonnent en intégrant une dimension narrative qui alterne avec des passages plus abstraits. Cette approche infléchit plusieurs directions de recherche, qui évoquent le concept de comédie musicale, brandissent l’étendard de  la nouvelle danse française des années 80, virent à l’escapade grecque, sans se départir des évidences naturelles africaines qui s’imposent comme préalable.

L’impulsion demeure la base qui dessine les identités spatiales et entraîne dans son  sillage le sentiment de vitesse et d’accélération du temps où la danse tisse une partition avec le texte absurde. L’usage de l’énergie africaine adossée à l’édifice de la danse contemporaine raconte une histoire. Celle d’hommes qui éprouvent, vivent et finalement produisent le monde dans lequel ils vivent. Désirs d’horizons ?

JMDH

Source : La Marseillaise 05/07/2015

Voir aussi : Rubrique Danse, rubrique Festival, rubrique Afrique, Afrique du Sud,

Le mythe au féminin

0f78499f84f6f676ac840dc7d4422a12Le premier rideau s’ouvre sur un autre qui s’ouvre sur un autre…, jusqu’à la chambre  royale. Œdipe au lit regarde sa femme la reine de Thèbes dont il ne sait pas encore qu’elle est sa mère. Au centre, Jocaste savoure son bonheur tout en craignant de le perdre. Il tente de la rassurer. Pour lui, le rapport charnel, la force de l’amour éprouvé, les joies partagées avec leur quatre enfants, sont de ceux qui résistent au temps. La tragédie commence.

La metteuse en scène Gisèle Sallin opère un travail juste, restant fidèle au texte. Simple et subtile, la féminité souvent discrète ou hyper affirmée dans la tragédie antique, dévoile un autre monde, et cette  autre  réalité affirme sa puissance. « La remise en question des dieux et  l’affirmation de la suprématie de l’amour humain sur la fatalité sont plus que nécessaires et font gravement défaut dans le théâtre moderne » souligne Gisèle Sallin.

Nancy Huston conserve les événements déroulés par Sophocle, mais déplace le regard en sortant Jocaste de deux mille ans d’oubli. Dans une toute autre démesure que celle d’Oedipe, on suit le vertige de la reine en tant que  femme, mère, et amante. Le pari de conserver le cadre en déplaçant l’angle de vue fonctionne. Sur scène l’unité de jeu est au rendez-vous. Jocaste Reine donne le pendant à Œdipe Roi  ouvrant sur une approche féminine du mythe ; dans le rapport de Jocaste aux autres, à la liberté, à l’éducation et à la violence des hommes. Jocaste exècre les oracles qui appuient leurs pouvoirs sur la crédulité humaine. A travers le Coryphée qui fait pont avec notre époque, Nancy Huston bouscule aussi le mythe freudien. Pour la petite histoire, le roi de la psychanalyse rebaptisa sa femme Anna Antigone…

Jean-Marie Dinh

Le texte de Nancy Huston vient de paraître chez Actes Sud.