Alexis Corbière : «Le nom d’insoumis » s’est imposé dans le vocabulaire politique»

A Paris, le 27 juin. Photo Laurent Troude pour Libération

A Paris, le 27 juin. Photo Laurent Troude pour Libération

La France insoumise se réunit à partir de ce jeudi à Marseille, terre d’élection de Jean-Luc Mélenchon. A cette occasion, «Libé» a interrogé le député de Seine-Saint-Denis, figure centrale du mouvement.

L’heure de la rentrée a sonné pour La France insoumise, réunie à partir de ce jeudi et pendant quatre jours à Marseille, terre d’élection de Jean-Luc Mélenchon. A cette occasion, Libération a interrogé le député de Seine-Saint-Denis, figure centrale du mouvement. Outre l’avenir des insoumis, il revient sur le «grand succès» de la campagne «de l’aveu même de nos adversaires», sur les premiers mois du «social killer» Macron aux «sourires permanents» et sur les polémiques à propos du Venezuela ou de Neymar.

C’est la fin des vacances, un nouveau cycle s’ouvre. Mais d’abord, retour en arrière : quel est le bilan de La France insoumise depuis sa création en février 2016 ?

La France insoumise rassemble désormais plus de 500 000 personnes autour de sa plateforme numérique. Force ouverte, populaire, rassembleuse, écologique, sociale et pour une VIe République, elle est tournée vers l’action concrète. Elle s’est constituée initialement en soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, avec un score de presque 20% à l’arrivée, c’est-à-dire dans le même étiage qu’Emmanuel Macron. La campagne, de l’aveu même de nos adversaires même les plus hostiles, fut un grand succès, mêlant intelligence et inventivité.

Cette dynamique ne s’est pas arrêtée au soir du premier tour. A l’occasion des élections législatives, les candidats de La France insoumise ont été présents dans la quasi-totalité des circonscriptions, et ils ont accédé au second tour dans près d’une centaine d’entre elles. Au final, nous avons fait entrer à l’Assemblée nationale un groupe parlementaire original qui a fait entendre une voix forte et une alternative sérieuse. Enfin, le nom d’«insoumis», devenu très populaire, s’est imposé dans le vocabulaire politique en tant que nouvelle sensibilité politique.

Bien sûr, à cette heure, nous aurions souhaité gouverner le pays pour répondre aux immenses défis qui sont devant lui. Mais ces deux campagnes ont permis de faire naître un large mouvement populaire qui dirigera un jour ce pays.

Aujourd’hui, le mouvement va devoir se développer. Est-ce que vous savez comment ? La France insoumise va-t-elle devenir un parti ? Une direction va-t-elle être nommée ou élue ?

Comme c’était le cas pour rédiger notre programme ou lors d’autres étapes de notre existence, toutes les décisions seront débattues par celles et ceux qui sont inscrits sur la plateforme LaFranceinsoumise.fr et dans les 5 000 groupes d’appui. C’est pourquoi d’ailleurs nous avons lancé une «boîte à idées» il y a quelques semaines, afin que les insoumis s’expriment. Cela permet actuellement aux signataires de proposer des pistes autour de 4 axes : Quelles campagnes pour le mouvement ? Quelles méthodes d’action ? Quels outils ? Quelle organisation ? C’est un débat passionnant qui s’ouvre, bien loin du caractère desséché de La République en marche (LRM), devenu simple chambre d’enregistrement du gouvernement, ou de la décomposition morbide des partis traditionnels… Nos décisions seront actées lors d’une convention nationale l’automne prochain.

Sur le plan personnel, vous avez pris de la place. On vous voit beaucoup dans les médias… Est-ce qu’on peut dire que vous avez grandi politiquement ?

Qu’importe ma personne. C’est notre mouvement qui a progressé politiquement, et nous avons tous grandi avec. Cette belle croissance est le fruit de raisons politiques. C’est notre diagnostic initial sur la décomposition de la VRépublique et la crise des partis, qui en constitue les piliers, qui était juste. Nous avons compris mieux que d’autres la force du «dégagisme» qui allait s’exprimer durant cette campagne et qui a broyé tous les prétendus vainqueurs annoncés d’avance. Nous avons également analysé que les primaires du PS, dans lesquelles certains voulaient nous entraîner de force ou en nous injuriant, ne pouvaient que produire un étouffoir populaire, allant vers l’échec quel que soit le candidat qui les emportait.

Pour ma part, avec d’autres comme Manuel Bompard, notre directeur de campagne, ou Charlotte Girard, qui a dirigé la rédaction du programme, je me suis mis au service de cette orientation et cette stratégie, sous la conduite de notre collectif, dans mon rôle de porte-parole. D’autres nombreux visages sont apparus durant cette campagne, et notamment ceux de nouveaux jeunes députés talentueux comme Mathilde Panot, Danièle Obono, Adrien Quatennens, Ugo Bernalicis, Caroline Fiat ou Bastien Lachaud. Ces personnalités sont venues rejoindre sur le front médiatique ceux qui étaient déjà identifiés comme Danielle Simonnet, Eric Coquerel, Leila Chaibi, Liêm Hoang-Ngoc, Clémentine Autain ou Raquel Garrido. A quoi s’est ajouté désormais l’ami François Ruffin… J’en oublie beaucoup d’autres aussi rayonnants, j’espère qu’ils ne m’en voudront pas.

Notons enfin que nous sommes la seule force à avoir fait émerger autant de femmes, ce qui est remarquable. Je suis très fier de cet élargissement. J’ai souvent subi durant cette campagne des propos persifleurs de journalistes : «A La France insoumise, il n’y a personne à part Mélenchon.» Qui peut répéter de telles sottises à présent ?

Cet été, votre mouvement a été la cible de plusieurs critiques au sujet des événements au Venezuela. Certains vous ont accusés de garder le silence, d’autres de soutenir le président Maduro. Comment expliquez-vous les critiques et quelle est votre position vis-à-vis de Maduro ?

Ce harcèlement pour nourrir un minable «Mélenchon bashing» est ridicule. Avec d’autres membres de La France insoumise, nous passons notre temps depuis le début du mois d’août à parler du Venezuela mais on nous répète de façon mécanique, sans nous écouter, que nous gardons le silence. Absurde.

La situation difficile du pays vient essentiellement de la lourde chute du baril du pétrole qui a entraîné des difficultés sociales réelles, malgré l’œuvre sociale considérable (lutte pour l’éducation, pour la santé, le logement, etc.) accomplie depuis 1999 sous l’impulsion de Hugo Chávez. Sous sa présidence, l’argent du pétrole ne servait pas à acheter des joueurs de football ! Or une partie de l’opposition de droite, voire d’extrême droite, n’a jamais accepté que les plus modestes soient enfin considérées. Elle avait déjà initié un coup d’Etat contre Chávez en 2002. Elle a choisi depuis l’élection de Maduro une stratégie de la tension en utilisant les difficultés sociales, en multipliant les manifestations violentes et les actes d’intimidation pour renverser le gouvernement.

Ces tentatives de déstabilisation sont bien sûr soutenues de l’extérieur. Les folles déclarations de Donald Trump, président des Etats-Unis, qui va jusqu’à évoquer une possible option militaire contre Caracas, sont la preuve de l’implication des officines de la Maison Blanche. Et c’est ce même Trump, celui qui banalise les manifestations néonazies, que le président Macron a invité le 14 Juillet. Sidérant.

Pour ma part, je condamne toutes les violences et je suis pour une solution pacifique et démocratique pour résoudre la tension actuelle. Et comme toujours, la solution c’est le peuple. C’est seulement par des élections démocratiques qu’une solution allant vers l’apaisement pourra être trouvée. Je note d’ailleurs que l’opposition a annoncé vouloir participer aux prochaines élections régionales. Laissons le peuple vénézuélien faire son choix !

Pendant ce temps, dans un silence médiatique assourdissant, l’Arabie Saoudite mène une guerre infâme au Yémen, qui a déjà fait plus de 15 000 morts parmi les populations civiles pour la seule année 2016 et menace 7 millions de personnes de famine. Mais dans la mesure où les Etats-Unis soutiennent les Saoudiens, nul n’en parle. Je ne suis donc pas dupe des indignations à géométrie variable de certains.

La rentrée de La France insoumise se déroule à Marseille, dans la circonscription de Jean-Luc Mélenchon, c’est votre nouveau camp de base ?

Notre camp de base réel est l’Hexagone. La France insoumise est partout chez elle. Marseille est une ville magnifique, envoûtante sur le plan politique, où les quartiers populaires sont encore au centre de la ville. Le peuple est au cœur de la cité, où il se fait entendre par ses éclats de voix et sa passion de justice et d’égalité. Ici, tout est politique et source de débats. Cela peut être le laboratoire de notre projet. On a parfois l’impression qu’un Marseillais est toujours un insoumis, quel que soit son vote ensuite. Les idées que nous défendons y sont comme un poisson dans l’eau… Elles se fondent dans l’ensemble pour le rendre plus agréable !

Quel est votre regard sur les premiers mois de Macron ? Est-ce qu’il y a des choses qui vous ont surprises ?

Cet homme, malgré ses sourires permanents, est un «social killer» à la communication très verrouillée. Son fanatisme économique me surprend parfois tellement, il est la reproduction fainéante de solutions qui ont échoué partout. Il semble entouré de suprémacistes libéraux revanchards, biberonnés à la fraction la plus dure du Medef, qui veulent punir les milieux populaires. La mesquine suppression de 5 euros des APL pour 6,8 millions de Français les plus modestes, parallèlement à la volonté de réduire l’ISF pour les ultra-riches en leur rendant 2,5 milliards d’euros, en est un exemple désolant. Je n’oublie pas aussi l’augmentation de la CSG qui va pénaliser 60% des retraités. Mais surtout, il veut casser le code du travail, patiemment construit par des décennies de luttes sociales et des victoires électorales, et qui protège 18 millions de salariés et d’employeurs !

Le dessein macronien c’est La République en marche… arrière ! Il veut ubériser la société française, faciliter les licenciements même abusifs, précariser les salariés, affaiblir les instances de représentation des personnels, inverser la hiérarchie des normes sociales, etc. Alors que la précarité se répand dans le pays, il veut la généraliser davantage. Nous verrons les contours précis de ses méfaits le 31 août. Mais il faut craindre le pire. C’est pourquoi nous donnons rendez-vous le 23 septembre et que nous manifesterons le 12 à l’appel des organisations syndicales. Le pouvoir macroniste, malgré son arrogance de façade, est une réalité très faible. Ses idées sont minoritaires dans la société. Il n’a pas de base sociale réellement solide pour mener sa politique. Macron a été essentiellement élu dans un rejet du FN, et non une adhésion à ses propositions. Son aplomb repose sur un pouvoir présidentiel d’ordre monarchique et des institutions godillotes. Mais il n’est pas sûr que les 310 députés En marche soient prêts à affronter une contestation populaire.

Beaucoup prédisent une rentrée optimiste de l’économie française : merci François Hollande ou c’est déjà l’effet Macron ?

Arrêtez vos plaisanteries de mauvais goût. Le chômage a touché 1 million de personnes supplémentaires sous le quinquennat de François Hollande, le nombre de pauvres aussi a augmenté. Dire merci à cette politique et ceux qui l’ont impulsé serait indécent. Monsieur Macron était alors secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie. Il en est aussi responsable. Aucune des décisions prises par le gouvernement précédent et actuel n’a le moindre effet positif pour l’emploi. Ils n’ont aucun grand projet économique pour notre pays et tournent le dos à toute bifurcation écologique. En Europe, toutes les études attestent que la prétendue reprise économique que vous évoquez profite essentiellement aux actionnaires. Et la France reste le plus gros pourvoyeur de dividendes. Il n’y a vraiment pas de quoi être optimiste sans intervention populaire pour changer tout cela.

Comment imaginez-vous le mois de septembre avec les nombreuses manifestations d’opposition à la loi travail ? Quel est l’objectif de La France insoumise ?

Nous jouerons notre rôle de force utile au peuple, en faisant connaître les dangers contenus dans la réforme du code du travail. Nous mènerons un travail d’éducation populaire dans le pays pour informer les nôtres, dans les quartiers et les lieux de travail. Nous utiliserons également l’hémicycle de l’Assemblée nationale pour nous faire entendre. Le mois de septembre doit être celui du grand refus populaire à la régression macroniste.

Dès le mois de juin, votre mouvement a réussi à se faire remarquer à l’Assemblée nationale avec des nouvelles têtes et vous avez clamé à plusieurs reprises que La France insoumise était la première force d’opposition. C’est un enjeu ?

La question ne se pose pas ainsi. Comme Jean-Luc Mélenchon l’a dit à la tribune de l’Assemblée nationale, nous ne sommes pas seulement une force d’opposition à la politique du gouvernement. C’est un projet trop mince pour nous. Notre ambition dépasse cela. Nous sommes une force d’alternative au pouvoir en place, pour mener demain ce pays vers les choix écologiques indispensables et le partage des richesses nécessaire. Il faut nous préparer à diriger ce pays… et cela ici et maintenant, en refusant les mauvais coups du gouvernement.

Est-ce qu’on peut imaginer des rapprochements entre votre mouvement, le PCF, les écolos et le PS ?

La France insoumise se veut un mouvement ouvert et accueillant. Toutes celles et ceux qui veulent participer à sa construction sont les bienvenus. Mais il ne peut être question de revenir à une forme de cartel : la campagne de La France insoumise a montré l’aspiration à une forme nouvelle et souple et son refus du vieux monde politique en crise. Ensuite, nous pouvons mener des actions communes avec tous ceux qui veulent défendre le peuple face à l’oligarchie. Des additions ponctuelles peuvent avoir lieu comme notre saisie commune du Conseil constitutionnel sur les ordonnances. Mais la base de toute clarté est le refus de la politique de Macron. Or le groupe des députés PS s’est très largement abstenu ou même a voté pour la confiance au gouvernement.

Certains, à gauche, souhaitent organiser des états généraux de la gauche d’ici à la fin de l’année, ça vous tente ?

Je respecte cette démarche mais je ne la partage pas. La France insoumise ne s’inscrit pas dans une démarche de reconstruction de «la gauche», ni de recomposition avec des forces qui se décomposent. Elle souhaite être l’outil du peuple français dans sa mobilisation pour apporter des solutions concrètes aux urgences sociales et écologiques auxquelles il est confronté. La question n’est donc pas pour moi de mettre son énergie dans un nouveau round de discussions à l’intérieur d’un espace qui ne veut plus dire grand-chose, avec des formules épuisées déjà utilisées sans succès, mais de la projeter dans la société pour aider à la mise en mouvement populaire. Notre responsabilité est d’agréger, pas de créer une confusion qui désagrège. Notre perspective reste de gagner les élections, pas de constituer une minorité un peu plus garnie.

Lors de la signature du brésilien Neymar au PSG, vous êtes montés au créneau pour dénoncer les chiffres de son transfert. Depuis, vous avez vu ses débuts et ses premiers dribbles et buts ?

Que Monsieur Neymar soit un joueur de ballon de grand talent ne fait pas de doute. Mais faut-il applaudir les sommes délirantes qui circulent dans le football, notamment quand elles proviennent d’un pays où les droits de l’homme ne sont pas respectés comme au Qatar ? Là-bas, les femmes sont méprisées, les travailleurs mal traités et l’esclavage est encore une réalité, malgré les déclarations des rois du pétrole. Aucun des dribbles de Neymar ou de qui que ce soit ne me fera perdre ma conscience humaniste. Enfin, je continue de penser qu’une société où les sportifs (même talentueux) sont 10 000 fois mieux payés que ses savants, ses ouvriers, ses agriculteurs, ses enseignants, ses infirmières, ses poètes… est une société malade.

La beauté du geste sportif ne peut tout justifier. Les petits maillots floqués «Neymar» qui se vendent 140 euros pièce ont un prix de fabrication réel de 6 euros par des ouvriers mal payés ! Ils sont vendus 20 fois plus chers ! Cet univers nouveau du «fric foot» n’est qu’une parabole de la mondialisation libérale : concentration de richesse d’un côté, pauvreté de l’autre. Et pour faire accepter ces injustices, on fabrique des idoles, hommes-sandwichs modernes, puissants émetteurs idéologiques dont la mission réelle est de faire admirer les milliardaires par les plus modestes. La star brésilienne du ballon rond peut faire vibrer les stades par ses jeux de jambes et ses tatouages irréprochables, le système dont elle est la vitrine n’a pas d’avenir positif à proposer. L’amour du sport doit passer par sa définanciarisation. C’est cela que je dénonce.

Rachid Laïreche

Source Libération 24/08/2017

Jean-Luc Mélenchon : « Convaincre les masses d’entrer dans le combat »

Jean-Luc Mélecnhon dans les locaux de la Marseillaise. Photos LM

Ecologie, Europe, candidature unique… Entretien avec Jean-Luc Mélenchon, le candidat de la France insoumise à la Présidentielle.

Colonne vertébrale du projet, la planification écologique est un sujet qui a progressé dans la société depuis 2012. Cependant, elle fait toujours débat à gauche ?

En préambule, je voudrais dire que si nous avons une dette à l’égard du mouvement écologique, c’est l’entrée en lice de notre famille politique qui a modifié la façon avec laquelle le sujet a pénétré le débat en France. A partir du moment notamment où les organisations de salariés ont pris conscience de cet enjeu vital pour la survie de l’humanité. Au point que, en mars 2012, nous avons pu organiser une première réunion des entreprises en lutte avec des solutions écologiques pour sortir de leur crise et renforcer l’emploi. Pas assez remarqué à l’époque, cet événement a été, pour moi, fondateur. A partir de là, toutes les luttes sociales, surtout les luttes industrielles, ont pris un axe nouveau, intégrant le paramètre de la responsabilité écologique de la production. Cela a permis de décloisonner socialement la préoccupation écologique.

Et du point de vue idéologique ?

Les choses ont été aussi spectaculaires pour tout une partie du courant progressiste qui avait, pendant de nombreuses décennies, confondu le développement des forces productives avec le progrès. Nous avons élargi le champ de la critique intellectuelle au contenu de la technique que nous avions tendance à juger spontanément bonne. Cela ne veut pas dire que nous pensons que la technique est dangereuse pour l’avenir. Au contraire, la transition écologique se présente d’abord comme un défi technique pour l’outil de production industriel. Pour mettre des parcs d’éoliennes en mer, couler des hydroliennes, en se cantonnant à la partie maritime du projet, c’est de la métallurgie, de la sidérurgie, ce sont des navires de service à construire et ce sont des milliers d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers… à mettre en mouvement.

Sur le plan idéologique, c’est l’intuition fondamentale du communisme qui est vérifiée par le défi de la crise écologique : il y a des biens communs et leur destruction détruit l’humanité elle-même. De même pour l’intuition républicaine -?nous sommes bien tous semblables puisque nous dépendons tous du même écosystème?- ou encore l’intuition socialiste qui est qu’on ne s’en sortira pas autrement que tous ensemble.

Il y a donc dans la situation que nous vivons, une vérification des fondamentaux de notre regard sur le monde. Ce qui est extraordinaire et doit être pris avec enthousiasme même si, sur le fond, c’est une catastrophe qui menace la civilisation elle-même. Ce que j’ai donc à dire à mes amis, c’est « reconsidérez la situation non pas à partir de la lettre de ce qu’ont été nos idées durant plusieurs décennies, mais de partir de l’esprit qu’elles portaient. Et vous verrez alors que vous êtes écologistes ».

Et le nucléaire qui ne fait pas non plus consensus ?

Il faut continuer à chercher à convaincre, mais en même temps il faut savoir trancher. Dans le Front de gauche, nous étions partisans d’un référendum car la question traversait toutes nos familles politiques. Depuis, il y a eu Fukushima et je considère que même si pendant 40 ans, voire plus, les salariés du nucléaire ont réussi à nous garantir un haut niveau de sécurité, ce n’est plus le cas. Non seulement parce que leur situation a été précarisée de manière dangereuse, mais parce que les installations ont vieilli et que le grand carénage coûterait plus cher que le passage aux énergies alternatives. J’estime de plus que le danger est particulier en France parce que nous ne sommes pas indépendants au niveau de la fourniture, l’uranium, et parce que les installations ont été implantées dans des endroits névralgiques qui créent des situations de sur-danger. Donc, ma décision est prise. On arrêtera les réacteurs qui doivent être arrêtés, ceux qui arrivent en fin de vie à 40 ans pendant le prochain quinquennat et on sortira du nucléaire aussi vite que possible. Mon appel est un appel à la mobilisation générale des ingénieurs, des techniciens et de la population. Le problème des emplois ne se posera pas, le recyclage de la totalité des gens qui travaillent pour le nucléaire se fera dans le démontage de ce nucléaire qui prendra au moins 20 ans, et dans les nouvelles énergies.

Un mot sur Nexcis que vous aviez soutenu à Rousset durant son conflit avec EDF ?

C’est le résultat de l’hyper-concentration de la décision dans EDF. Cela aboutit à des aberrations telles que l’investissement sur Hinckley Point qui est antinational et va peut-être couler EDF à cause du poids qu’il fait peser ; mais cela développe aussi une logique technicienne amie des seuls très grands projets. C’est ce que l’on a vu avec Nexcis. Les panneaux qu’elle produisait auraient permis, en équipant la tour CMA CGM à Marseille, de la rendre autonome et d’alimenter le quartier. Mais EDF a gelé le projet et coulé une chaîne de production. Je m’engage bien sûr à ce que cette chaîne de production soit immédiatement relancée à échelle industrielle.

Vous avez mentionné l’Europe et la nécessité d’un plan B comme le point insurmontable avec Benoît Hamon. Lors de la réunion sur la finance organisée par le PCF, Pascal Cherki a dit que ce rapport de force pouvait être mis en place grâce à la capacité de blocage de la France qui refusera de signer le Ceta. Qu’en pensez-vous ?

Il est vain de croire que la seule capacité de blocage constitue une énergie positive. D’autant qu’il ne s’agit pas que de bloquer mais de sortir des traités, de tous les traités constitutifs de l’actuelle union européenne. Je ne me réfère pas à ce que dit Pascal Cherki, au demeurant fort sympathique, mais à la réalité. Et cette réalité est que c’est le président Hollande qui est le penseur de l’Europe politique pour le PS. Il a clairement fixé sa trajectoire : l’Europe peut se refonder par la défense et la création d’un gouvernement économique de la zone euro, un budget de la zone euro et un parlement de la zone euro. Vous remarquez le mot qui manque : celui de Banque centrale européenne ! Une proposition qui date de juillet 2015 et qu’a fait sienne Benoît Hamon. Cette réalité n’a strictement rien à voir avec l’idée qu’on se fait de la négociation pour refonder l’Europe. Pour nous, elle part de l’impératif de l’harmonisation sociale et fiscale. C’est le point de départ, pas celui d’arrivée. Je ne peux pas avoir pour projet européen l’Europe de la défense qui est l’Europe de la guerre, et l’Europe du fric qui est l’Europe de l’euro.

Moyennant des discussions, la divergence pourrait, peut-être, déboucher sur des clarifications, et éventuellement des visions communes. Mais quand on commence ces discussions à 60 jours du premier tour, il y a peu de chances qu’on arrive d’une part à tomber d’accord, d’autre part à convaincre. Il est d’autres sujets dont je ne disconviens pas qu’en discutant, on aurait pu surmonter les divergences. Mais en 60 jours, personne n’est capable d’écrire un programme commun. Je voudrais rappeler que le premier programme commun qui a quand même donné quelques résultats en 1981, a été négocié pendant trente ans à l’initiative des communistes, et que la phase d’écriture a duré un an et demi. Pas parce que c’était des personnes tatillonnes mais parce qu’il s’agit de sujets sérieux. Et les Français sont lassés des accords d’appareils avec des formules creuses qui laissent des chèques en blanc à ceux qui ensuite exercent le pouvoir dans le cadre de la monarchie présidentielle.

Ces deux sujets montrent les différences d’analyse à gauche, gauche à laquelle vous ne faites que rarement référence même si vous répétez souvent votre respect des partis. Est-ce que vous ne croyez plus à la pertinence du clivage gauche-droite ?

Depuis le premier jour, pour reprendre l’expression de Jean Jaurès, il n’y a qu’une seule question : celle de la souveraineté politique du peuple. Il y a ceux qui pensent que ce peuple est le seul souverain et ceux qui croient que des lois permanentes -?d’économie, de marché…?- sont en dernière instance plus fortes que la volonté du peuple. Quant aux fondamentaux, ce clivage gauche-droite n’est donc pas dépassable, il a une dignité, une légitimité… Et il traverse notre histoire depuis les premiers jours de la grande révolution de 1789.

Concernant la forme actuelle, les étiquettes de vision du monde… Dire que François Hollande a eu un gouvernement de gauche, c’est s’empêcher de penser. Le PS à l’instar de toute la social-démocratie européenne, a plié avec des mots pour empêcher de penser. On a appelé politique de gauche une politique de l’offre qui consiste à dire produisez le moins cher possible, n’importe quoi, n’importe comment du moment qu’on arrive à le vendre alors que c’était traditionnellement la politique de la droite. Et la politique de la gauche a toujours été de partir de la demande, c’est à dire des besoins populaires, des besoins du grand nombre, des 99 % comme dirait Pierre Laurent.

La confusion de l’étiquette est destructrice parce que les gens en viennent à confondre ce que nous proposons avec ce que sont en train de faire les gouvernants et parce que cela assigne à une dispute qui nous marginalise. Si on arrive en disant il y a une fausse et une vraie gauche, les gens voient que nous nous sommes nous-mêmes rangés à un bout de l’arc et nous perdons ensuite notre temps à essayer de convaincre que nous ne sommes pas les extrêmes.
Je n’ai jamais récusé l’étiquette de gauche, mais je pars de l’idée que pour me faire comprendre j’ai intérêt à ne pas commencer à marcher avec l’étiquette devant. Parce qu’elle est source de confusion plutôt que de clarification… C’est mon propos à cette étape. Mais demain, lorsque nous aurons clarifié le champ politique, je n’ai pas d’inconvénient à ce qu’on me qualifie de gauche. Mais attention, notre action n’est pas avant-gardiste, c’est d’une action populaire de masse. Il s’agit de convaincre la masse d’entrer dans le combat, pas simplement se convaincre entre nous qu’on a psalmodié les bonnes formules.

Et cela est pensé jusque dans la forme. Quand je fais la France insoumise, je m’inspire de l’idéal fondateur du Front de gauche qui n’était pas de faire un cartel de partis mais de mettre en mouvement des millions de gens s’appropriant une idée. Et à la sortie de la prochaine élection, quelle que soit l’issue, la formation d’un mouvement sera posée, avec des bases qui ne sont pas des accords de sommets, mais des bases de masse.

Vous évoquez le peu de temps d’ici le 1er tour pour conclure un accord avec Benoît Hamon. Mais n’avez-vous pas le sentiment de peut-être rater une occasion historique pour la gauche ? N’était-il pas possible d’envisager un accord certes imparfait mais permettant de l’emporter, pour l’améliorer ensuite durant le quinquennat ?

Vous voulez parler de la candidature unique ? Je suis d’accord, si c’est la mienne. Et c’est pareil pour Benoît Hamon. Donc nous pouvons passer 60 jours à essayer de nous refiler le mistigri de la division. Mais lui et moi, en responsabilité, avons estimé que ce n’est pas ce qu’il fallait faire. Que 50% des Français ne savent toujours pas pour qui ils vont voter et qu’il suffit de gagner un quart de ces 50% pour l’emporter. Alors, que chacun y aille ! La situation va s’éclaircir et elle est en train de le faire. J’ai bien fait de maintenir la clarté d’un positionnement politique. Mon appel, quand je demandais des garanties, n’a pas été entendu. Ce n’était pas des garanties exagérées, ni des mises au pied du mur. C’était de dire qu’on ne pouvait pas faire une majorité de gouvernement pour défaire ce qui a été fait avec le précédent avec les gens qui l’ont fait. Tout le monde comprend ça, sauf les états-majors.

Le PS a une caractéristique : il a deux candidats. Quand on entend M. Delanoe ou le président de l’Assemblée appeler à voter pour Macron, on assiste là à un phénomène majeur. Il y a une recomposition politique aussi grâce à l’existence du pôle fort, dynamique et populaire que nous incarnons. La partie va se jouer là. Donc je dis à mes amis que cela ne sert à rien de ressasser. Personne n’est capable de me dire qu’il faut une candidature unique. J’en ai parlé avec Pierre Laurent. Je lui ai demandé s’il était sur la position de la candidature unique. Il m’a répondu que non. Pourquoi ferait-on cela ? On m’a cassé les pieds durant des mois sur la pluralité des candidatures à gauche. On va se retrouver à trois?: Nathalie Artaud, le candidat PS et moi. C’est moins qu’en 2012. Et qui a perdu la moitié de ses voix ? Pas nous. Nous sommes à notre niveau de 2012, un petit peu plus haut même. Qui peut penser qu’il suffirait qu’on se saute au cou pour qu’aussitôt les gens suivent ? Ce n’est pas le message que je porte. Les gens me disent : « ne viens pas me voir avec un accord d’appareil ! ».

J’ai aussi entendu des choses invraisemblables sur mon ego. Vous croyez que mon ego est engagé ? Cela n’a pas de sens. Je ne suis pas en train de commencer une carrière à mon âge, je suis en train de bâtir un mouvement. J’ai eu l’honneur d’être le candidat du Front de gauche en 2012 et je le suis toujours. Toutes ses composantes soutiennent ma candidature. Donc ce n’est pas ma personne qui est en cause, c’est ce que nous construisons. Celui qui baissera pavillon, baissera en même temps le niveau de ses exigences et de ses ambitions. Et notre peuple n’est pas prêt à cela.

Propos recueillis par Angélique Schaller et Sébastien Madau

Source : La Marseillaise 11 mars 2017

Voir aussi : Actualité France : Rubrique Politique10 omissions, flous et mensonges de François Fillon, Emmanuel Macron, le candidat attrape-tout, Rubrique Economie, rubrique Société, Emploi, Pauvreté,

Mélenchon et l’imbroglio

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Par · 3 décembre 2015

Jean-Luc Mélenchon vient de publier une note courageuse sur son blog[1]. Il y décrit ce qu’il appelle l’état d’imbroglio permanent qui règne au sein du « Front de Gauche ». Il y déplore le manque de lisibilité des listes de la gauche « réelle », listes qui sont éparpillées entre des alliances avec EELV, avec le PC et qui parfois se font contre et EELV et le PCF. Il dénonce là une situation où, pour reprendre ses mots : « l’imbroglio est partout. Et surtout au pire endroit, c’est-à-dire face au suffrage universel. Les élections régionales nous voient arriver dans une cohue illisible nationalement. »

De l’autoroute à l’impasse

 

Il y constate donc, mais est-ce une surprise, l’attitude sectaire et purement électoraliste du PCF au sein du « Front de Gauche ». On se souvient de l’attitude de Pierre Laurent, le secrétaire du PCF qui, lors de la crise grecque de l’été dernier, avait apporté sa caution à l’accord honteux que signa Tsipras alors même que Mélenchon, et l’ensemble des dirigeants du Parti de Gauche dénonçaient ce dit accord, dont on mesure aujourd’hui toute la nocivité [2] .

Cet accord a sacrifié non seulement la démocratie mais aussi l’économie grecque sans aucune contrepartie[3]. Il ajoute alors : « Au final, le tableau est affligeant. Impossible d’aller dans une émission de télé ou de radio en étant capable de dire comment s’appellent nos listes puisqu’autant de « territoires », autant de noms plus poétiques les uns que les autres, choisis sans concertation entre régions. Localement, l’annexion des listes par la couleur de la tête de liste est faite sans vergogne par la presse locale… ».

Sur ce constat, il y a peu à ajouter. Alors qu’une autoroute s’ouvrait devant la gauche radicale du fait des reniements successifs du P « S », de la politique à la fois austéritaire et autoritaire du gouvernement, de son mépris affiché pour les classes populaires que ne masque même plus une certaine condescendance, cette même gauche radicale s’embourbe dans les impasses du calcul à courte vue des avantages électoraux immédiats. Comme il l’ajoute peu après, la constitution des listes :

 « … fut une foire d’empoigne locale, un chantage permanent à la division de la part de partenaires obnubilés par la tête de liste, sans la moindre coordination nationale pour essayer d’équilibrer la représentation de chacun. Pour affronter une élection forcément nationale, puisque les nouvelles régions n’ont aucune homogénéité locale, rien de plus ridicule que cette façon de laisser la ligne nationale résulter des arrangements, amitiés et détestations, locaux ». Tout est dit, et bien dit. Ce constat est sans appel. Les grands principes ont été mis à la poubelle au nom du banquet des ambitions personnelles.

Lucidité et courage

 

Il faut de la lucidité accompagnée d’un certain courage, et même un courage certain, à un dirigeant politique pour dresser ce constat avant même le premier tour d’une élection. Et on sait que de lucidité et de courage, Jean-Luc Mélenchon n’en manque pas. Ce texte est tout à son honneur. Mais, il devrait réfléchir à la cause première de ce désastre qui ajoute l’incohérence aux tares de l’illisibilité de la position politique.

Le « Front de Gauche » n’a pas de cohérence idéologique, écartelé qu’il est entre un Parti Communiste qui ne rêve plus de succès mais uniquement de préservation de ses positions acquises, un Parti de Gauche (PG) au discours certes radical mais à la ligne des plus floue, et divers groupuscules.

Surtout, en tant que dirigeant du PG, il porte une responsabilité évidente dans le retard pris par l’élaboration interne de ce parti sur des sujets décisifs comme la souveraineté, l’Euro et la question des frontières. Je le dis sans amertume mais avec un immense regret. Jean-Luc Mélenchon est un homme courageux, mais il est à chaque fois en retard d’un combat, d’une guerre. Il publie un (bon) livre sur l’Allemagne[4], mais un livre qui aurait dû être écrit au plus tard en 2013 et qui ne sort qu’en 2015. Il affirme à l’été 2015, devant l’évidence de l’action de l’Eurogroupe et de la BCE contre la Grèce, qu’entre l’Euro et la souveraineté, il choisirait la souveraineté. Que ne l’a-t-il dit avec force, quitte à prendre le risque d’une rupture sur le fond avec le PCF, en 2012 ou 2013. Car, ce constat est fait dans l’urgence. Il est probable que sa décision personnelle était déjà prise. Mais, une décision personnelle ne vaut que quand elle se traduit en des gestes politiques forts. Or, ces gestes ont manqué dans la période cruciale qui s’est écoulée de l’élection présidentielle de 2012 au printemps 2015.

Ici encore, on peut trouver quelques excuses et « bonnes » raisons. Jean-Luc Mélenchon n’est pas un autocrate, et il a dû composer avec un parti lui-même divisé. Pourtant, force est de constater que du temps, du temps précieux, a été perdu de l’été 2013, alors que le cours que prenait la politique de François Hollande était clair, jusqu’au printemps de cette année. J’ai attiré, sur ce carnet, à plusieurs occasions l’attention de mes lecteurs sur l’illisibilité des positions du Front de Gauche et du Parti de Gauche. Que l’on se souvienne de la lettre ouverte que j’adressais en juillet 2014 à Jean-Luc Mélenchon, et où je pointais les maux qu’il dénonce aujourd’hui[5].

Alors, assurément, il y a de la lucidité et du courage dans le dernier texte de Mélenchon, mais cette lucidité et ce courage de donnent lieu à aucun sursaut.`

Le temps perdu ne se rattrape guère…

 

Un retard important a donc été pris. Ce retard fait qu’un autre parti, le Front National pour le nommer, a pu et a su profiter de l’espace politique que le Front de Gauche et le Parti de Gauche lui ont abandonné. On ne voit pas ce qui, aujourd’hui, marquerait un changement radical par rapport à ce funeste abandon du terrain de la souveraineté et le Parti de Gauche n’a toujours pas le courage de dire qu’il s’est trompé et que le trop fameux « plan B » devrait être en réalité le plan « A ».

Aujourd’hui, le Front National a progressé par rapport à ce qu’il était lors de l’élection présidentielle de 2012. Rappelons qu’à l’époque la candidature de Jean-Luc Mélenchon avait un moment donnée l’illusion de pouvoir faire de lui le « troisième homme » de la politique française. Il serait cruel d’épiloguer sur l’écart qui séparera la gauche radicale du Front National lors des élections régionales. Et cela, Jean-Luc Mélenchon le sait. En politique aussi, la nature a horreur du vide.

[1] http://melenchon.fr/2015/12/02/front-de-gauche-letat-dimbroglio-permanent/

[2] Voir l’entretien accordé par Zoé Konstantopoulou, « Le gouvernement grec a

sacrifié la démocratie » in Ballast, le 11 novembre 2015, http://www.revue-ballast.fr/zoe-konstantopoulou/

[3] Godin R., « Grèce : l’économie s’est effondrée au troisième trimestre » in La Tribune, 27 novembre 2015, http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-l-economie-s-est-effondree-au-troisieme-trimestre-530994.html

[4] http://russeurope.hypotheses.org/3803

[5] « Lettre Ouverte à Jean-Luc Mélenchon », note publiée sur Russeurope, le 31 juillet 2014, http://russeurope.hypotheses.org/2606

Source : Blog RussEurope 03/12/2015

Voir aussi : Rubrique : Politique, Opinion,

La Place Beauvau face à la colère des « sans étiquette »

 Une urne à Toulouse en mars 2010. Une urne à Toulouse en mars 2010. | AFP Remy Gabalda

Une urne à Toulouse en mars 2010. Une urne à Toulouse en mars 2010. | AFP Remy Gabalda

Le ministère de l’intérieur voulait de la nuance, il se retrouve face à de nombreux candidats en colère. Depuis la publication des listes inscrites aux municipales le 11 mars, les préfectures doivent répondre à de nombreux courriers et coups de téléphone de candidats énervés par la couleur politique qui leur a été attribuée. « Le traitement des demandes est en cours et l’essentiel de la vague est passée. Mais on se doutait qu’avec le changement de règles, il y aurait une hausse des réclamations », confie un conseiller Place Beauvau.

Depuis la modification des règles électorales introduite par les lois organique et ordinaire du 17 mai 2013, le mode de scrutin des villes de 1 000 à 3 500 habitants est calqué sur ce qui était en vigueur pour les communes de plus de 3 500 habitants. 6 559 communes sont concernées par ce changement, qui oblige les listes candidates à respecter la parité mais aussi à déposer en préfecture une déclaration de candidature où il leur est demandé d’inscrire leur couleur politique ou nuance politique, en choisissant dans une liste qui va de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par l’Union de la gauche. Cette obligation avait déjà provoqué la colère de Jacques Pélissard, président de l’Association des maires de France, qui avait écrit à Manuel Valls« Le nuançage des candidats (…) permet d’apporter à nos concitoyens un éclairage et une information lisible sur les résultats issus des urnes », lui avait répondu le ministre de l’intérieur, qui évoquait une pratique ancienne.

DES DIZAINES D’E-MAILS COURROUCÉS

La colère vient des attributions « de force » des préfectures, qui classent des listes lorsque celles-ci n’ont pas donné leur nuance ou s’en sont attribué une « de mauvaise foi ». Le Monde a ainsi reçu des dizaines de courriels et de coups de fil de candidats courroucés par la couleur politique qui leur avait été attribuée dans nos pages sur les résultats à venir. Exemples :

« Nous avons remarqué que vous présentez notre liste sous l’étiquette Divers droite. Or, notre liste est composée de citoyens et citoyennes de tous horizons politiques sans adhésion à quelque parti politique. »« Il s’agit avant tout d’une liste citoyenne, avec certes une tête de liste Front de gauche, mais avec également des colistiers de sensibilités différentes et aussi des non encartés ! »

LES EXPLICATIONS DU MINISTÈRE

La Place Beauvau reconnaît des « approximations ». « Sur les 9 734 communes concernées par cette règle, il y a forcément des approximations. Les candidats qui ne sont pas contents ont jusqu’à vendredi soir pour déposer un recours en préfecture », tempère le ministère de l’intérieur, qui dit ne pas centraliser toutes les demandes de modification et est donc incapable de donner le nombre total de réclamations mais admet une « modification quantitative » des recours par rapport à 2008.

Avec 6 559 communes supplémentaires concernées par la règle, les préfectures, qui sont en première ligne sur ce sujet, semblent parfois débordées. Il leur a fallu d’abord reclasser certaines listes. Et le ministère de citer l’exemple d’un député UMP dont la liste a été classée UMP alors qu’il souhaitait être « Divers ». « Les préfectures peuvent faire ce travail car elles connaissent bien les politiques locaux », défend l’intérieur.

Ensuite, les préfectures doivent aussi attribuer une nuance aux listes qui n’ont pas souhaité en donner ou qui ont eu peur de se retrouver aux côtés du Parti pirate ou du Parti d’en rire dans la nuance « Divers ». Sauf que ce travail de classement paraît plus compliqué, voire hasardeux, quand le candidat et ses colistiers sont peu connus par les services de la préfecture. « Dans ce travail, il y a une inégalité des préfectures. Dans certaines, des agents gardent une bonne mémoire locale de la politique. Dans d’autres moins… », admet le ministère, qui explique que cette mémoire politique locale a beaucoup perdu avec la «  fin des renseignements généraux ». Vérifier les couleurs politiques demande aussi du personnel et les suppressions de poste en préfecture ont pu rendre ce travail plus compliqué. « En tout cas, ne voyez aucune malice à ces reclassements », conclut la place Beauvau.

Matthieu Goar et Manon Rescan

Source Le Monde 18/03/2014

 

LES ACCUSATIONS POLITIQUES DE JEAN-LUC MÉLENCHON

imagesPlus que de la malice, Jean-Luc Mélenchon accuse Manuel Valls de « bidouilles » pour « camoufler la défaite à venir du PS ». Sur son blog, le coprésident du Parti de gauche estime que le ministre a manipulé les nuances pour que certaines listes socialistes soient classées « Union de la gauche » et celles du Front de gauche soient éparpillées entre « liste Front de gauche », « liste Parti de gauche », « liste Communiste », « liste Divers gauche », etc. A Montauban, la liste FDG-EELV-NPA est nuancée liste « DVG » (Divers gauche) alors qu’à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), la liste de la maire Front de gauche est classée liste « Front de gauche », selon M. Mélenchon.

Dans sa circulaire du 15 janvier qui établit les nuances, le ministère de l’intérieur a décidé de classer « Front de gauche » les listes investies par le Parti de gauche et le PC. Ce qui exclut de cette appellation les listes seulement investies par le parti de Jean-Luc Mélenchon. La Place Beauvau estime que M. Mélenchon accuse le « thermomètre » mais que le ministère n’est pas responsable des situations politiques et des alliances dans les communes.

Voir aussi : Rubrique Politique, Science Politique, rubrique Actualité France, On LineMunicipales : des couacs dans l’étiquetage des « sans étiquettes »

L’écosocialisme pour horizon au PG

Le Parti de gauche organisait, le week-end dernier, ses assises pour l’écosocialisme. Une journée ? de débats pour refonder la gauche en tenant compte des bifurcations du monde.

Construire une nouvelle doctrine pour le XXIe? siècle, c’est le but que s’était fixé le Parti de gauche pour ses assises pour l’écosocialisme, qui se sont tenues à Paris samedi. 700 personnes sur place et 15?000 sur Internet pour suivre les débats?: un succès pour le PG. Si ses membres constituent la grande majorité de l’audience, on peut aussi y croiser en nombre des associatifs, les équipes du journal satirique Fakir, et même… quelques militants écologistes.

Imaginer «?un nouveau projet politique, creuset pour sortir de la crise, et construire un monde meilleur?», selon le titre de l’introduction de la longue journée d’échanges par Corinne Morel-Darleux, secrétaire nationale à l’écologie du PG, c’est bien le but réaffirmé par la plupart des intervenants, parmi lesquels la figure de l’altermondialisme Susan George, le philosophe Henri Pena-Ruiz ou l’économiste Jean-Marie Harribey. Thèmes abordés?: «?Marxisme et écologie, un mélange détonant???», «?Objection de croissance, socialisme gourmand et buen vivir?», ou encore pour présenter des expériences mises en œuvre, en Amérique latine, éternelle source d’inspiration de Jean-Luc Mélenchon et de ses partisans.

On se souvient que le thème de la «?planification écologique?» avait pris une importance majeure dans le programme de l’ancien candidat du Front de gauche. Il s’agit désormais de refondre en une seule les deux doctrines, socialiste et écologiste.

La gauche veut instaurer une règle verte

D’ailleurs, estime Myriam Martin, de la Gauche anticapitaliste, qui vient de quitter le NPA pour rejoindre le Front de gauche, «?on ne peut pas distinguer l’écologie du social. Le capitalisme vert, ça n’existe pas?». Il s’agit alors de prendre en compte la finitude des ressources naturelles. Pour le PG, elle rend impossible la croissance comme objectif indépassable. L’écologie rejoindrait là le socialisme?: le capitalisme veut redistribuer les fruits de la croissance, l’écosocialisme clame que «?la décroissance n’est pas une option, c’est une nécessité?» (Mélenchon) et que c’est donc «?le gâteau qu’il faut partager?». Le Parti de gauche se propose alors d’instaurer une règle verte?: ne pas produire et ne pas consommer plus que ce que la planète est capable de régénérer. Une bataille morale à mener pour François Delapierre, pour «?faire prévaloir la valeur d’usage sur la valeur d’échange?». Pour autant, on ne trouve ici nulle trace de l’écologisme romantique?: quitte à décevoir la poignée de militants de la «?cause animale présents?» dans l’auditoire, Jean-Luc Mélenchon affirme?: «?Nous ne défendons pas la nature, nous défendons l’écosystème humain?!?»

L’écosocialisme, un virage politique pour une gauche souvent accrochée au consumérisme comme une huître polluée au Esherichia coli à son rocher?? Le coprésident du PG ne cachait pas ses sources d’inspiration écolos dans une interview à Libération?: «?Les verts sont les fondateurs (…). Mon évolution témoigne de leur succès. Mais ils sont la préhistoire de l’écologie politique. Désormais, nous sommes en avance sur le plan programmatique.?» Le projet est ambitieux?: repositionner le centre de gravité de la gauche?: «?Une base existe, sur la base de l’écosocialisme?», qui permettrait de rassembler écologistes, une partie des socialistes et Front de gauche, selon Jean-Luc Mélenchon. Mais c’est sauter des étapes?: la première se joue à l’intérieur du Front de gauche, où, sur des sujets comme la sortie du nucléaire ou l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, des divergences existent, notamment avec le PCF.

Adrien Rouchaleou
Source L’Humanité 3/12/12