Les jeunes journalistes sont contraints de s’adapter dans une presse en pleine crise

Carte blanche ou presque ! dessin Loic

La profession se porte mal, mais il n’y a jamais eu autant de candidats à l’entrée des écoles de journalisme. Ce sont 931 étudiants qui ont passé, en 2009, l’écrit du Centre de formation des journalistes (CFJ) de Paris (+ 11 %) pour un nombre stable de… 45 places. A l’Ecole de journalisme de Lille (ESJ), ils étaient 900 pour 44 places (+ 7 %).

« C’est un métier qui fait toujours rêver », constate Pierre-Savary, directeur des études à l’ESJ. Pourtant, les étudiants sont conscients des difficultés pour entrer dans la profession. »Les formations se sont aussi multipliées : 70 écoles, dont 13 reconnues par la profession. Les résultats d’une étude réalisée par Christine Leteinturier de l’Institut français de presse (IFP) et financée par l’Agence nationale de la recherche (ANR), montre que la précarité n’a jamais été si élevée. En 2008, parmi les nouveaux titulaires de la carte de presse entrant dans la profession, les contrats à durée indéterminée n’étaient que 41 % (69 % en 1998 et 72 % en 1990). Si la proportion de pigistes reste stable (23 % des nouveaux entrants en 2008), la part des contrats à durée déterminée (CDD) grandit (29 %). Des titulaires de contrats en alternance ont fait leur apparition (7 %). Et 16 % des nouveaux journalistes n’ont pas demandé le renouvellement de leur carte en 2009.

Les stages non rémunérés sont une pratique de plus en plus fréquente dans l’audiovisuel, la presse quotidienne nationale et les médias numériques. Au mieux, le stagiaire sera « dédommagé » : il touchera environ 400 euros pour un mois de travail. Au pire, il recevra des avantages en nature ou rien du tout. « Difficile de dire que je suis exploité car je suis volontaire, reconnaît un stagiaire qui enchaîne les stages et travaille actuellement dans un média Internet. Je produis pratiquement un papier tous les jours, je reste tard le soir. On m’a tellement répété que les places sont chères et qu’il faut faire ses preuves que je me donne à fond. » A France 3, sur 31 étudiants en CDD de fin d’études pris à l’été 2009, 9 ont vu leur contrat reconduit en mai 2010 après une course d’obstacles. Au point qu’ils ont été surpris d’être nommés les « Koh Lanta ». Même les écoles les plus cotées ont du mal à garantir à leurs étudiants un CDD de fin d’études dans un média prestigieux.

Il y a dix ans, nous avions une dizaine de stages de fin d’études en presse quotidienne nationale, témoigne Pierre Savary, de l’ESJ. Cette année, nous en aurons trois ou quatre. »pour Remy Rieffel, directeur du mastère de journalisme de l’Institut français de presse, « la presse quotidienne régionale joue souvent le jeu ». Pour d’autres supports, il avoue se trouver face à un « dilemme ». Lorsque nos étudiants se voient proposer un stage non rémunéré dans un média intéressant, si nous acceptons, nous entrons dans un cercle vicieux. Si nous refusons, nous les privons d’une opportunité. »

Des journalistes autoentrepreneurs sont apparus. Etienne Thierry, 36 ans, a quitté en 2009 après un plan social. Il propose des piges à diverses publications. En prospectant sur Internet, il a trouvé un portail prêt à lui acheter deux articles par mois contre 600 euros. Mais il doit présenter des factures et prendre le statut d’autoentrepreneur. « En dix jours, j’ai créé mon autoentreprise, raconte-t-il. Je découvre ce statut avec lequel je ne suis pas très à l’aise. » En principe, ce statut créé en 2009 ne s’adresse pas aux journalistes. La commission de la carte des journalistes refuse de la délivrer aux rédacteurs exerçant sous ce statut jugeant que deux critères essentiels ne sont pas remplis : ils ne sont pas salariés d’une entreprise de presse et mélangent souvent dans leur activité journalisme et communication.

« Si l’employeur n’est plus éditeur, cela signifie que le journaliste perd son statut et les garanties qui vont avec Eric Marquis, vice-président de la commission. Si la loi accorde au pigiste des garanties comparables à celles d’un salarié, ce n’est pas le cas pour l’autoentrepreneur. Le statut offre des avantages : la liberté, selon certains, et des charges sociales moins élevées. D’autres y voient des inconvénients. « En termes de précarité, c’est catastrophique. Je suis soumis à la pression tarifaire du client », témoigne un rédacteur travaillant pour l’Internet. Il est vrai que le prix du feuillet (1 500 signes) varie considérablement : autour de 100 euros sur le papier, il peut tomber à 30 euros pour des médias Web.

Xavier Ternisien (Le Monde)

Propos hors antenne de Sarkozy: trois journalistes entendus par la police

Trois journalistes convoqués après une plainte de France 3 concernant la diffusion sur internet de propos tenus hors antenne par Nicolas Sarkozy, sont arrivés ce matin dans les locaux de la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) à Paris pour y être entendus.Augustin Scalbert du site Rue89, Joseph Tual et  Karine Azzopardi de France 3, sont arrivés vers 9H10 devant le siège de la BRDP, accompagnés par une cinquantaine de journalistes venus manifester leur solidarité.
Peu avant, les représentants syndicaux de France Télévisions avaient dénoncé cette convocation « extrêmement grave » et « une tentative de mise au pas des journalistes que nous n’accepterons pas ».  Pierre Haski, directeur du site Rue89, rappelant pour sa part aux manifestants « nous sommes là pour défendre le droit à l’information » et jugeant les images diffusées sur internet d’éléments « parfaitement légitimes et intéressants d’information ».

Les trois journalistes ont été escortés par leurs confrères jusqu’à l’immeuble de la BRDP situé rue du Château des Rentiers (XIIIème) aux cris de « liberté d’information » certains brandissant des cassettes vidéo. Cette convocation fait suite à une plainte déposée le 8 juillet par France 3 pour « vol, recel et contrefaçon » après la diffusion sur internet, en particulier sur Rue89, d’une vidéo montrant Nicolas Sarkozy hors antenne, avant un passage au journal « 19/20 » le 30 juin.

Sur cette vidéo, qui avait été visionnée à plusieurs centaines de milliers de reprises, M. Sarkozy semblait irrité parce qu’un technicien de France 3 ne lui avait pas rendu son salut avant l’interview. Il avait également demandé au journaliste de France 3 Gérard Leclerc combien de temps il était resté « au placard ».

France 3 avait immédiatement lancé une enquête interne et « condamné avec la plus grande fermeté le piratage des images tournées pendant la mise en place de l’édition spéciale du 19/20 ». « Je suis serein, je ne suis ni un voleur, ni un contrefacteur, ni un receleur, je suis un journaliste du service public qui informe le public », a déclaré à son arrivée Joseph Tual.

Le postulat de la presse libre revu et corrigé

propagandeLe duo Herman/Chomsky pose un regard critique sur le fonctionnement des médias aux Etats-Unis.

Après La Fabrique de l’opinion publique qui s’attachait au système de l’information aux Etats-Unis, l’économiste Edward S. Herman spécialiste des réglementations financières relevant des conflits d’intérêts et le linguiste Noam Chomsky connu pour sa critique de la politique étrangère américaine renouvellent leur collaboration avec La fabrication du consentement. En s’appuyant sur des faits précis, les deux chercheurs posent cette fois leur grille de lecture critique sur la propagande médiatique dans la démocratie américaine. Et démontrent, dans cet ouvrage de référence, comment le postulat démocratique de la liberté de la presse qui figure dans le premier amendement de la constitution des Etats-Unis est détourné de sa vocation initiale.

Les 650 pages de ce livre très documenté présentent une critique sans complaisance qui permet de comprendre par quel processus le pouvoir de l’argent sélectionne les informations. Et notamment de mesurer l’impact de la propagande médiatique sur les croyances et les codes comportementaux des citoyens. Herman et Chomsky montrent comment les messages et les symboles qui ont vocation à distraire et à informer, transmettent des codes et des croyances. Et dénoncent ce processus qui intègre en profondeur les structures sociales en favorisant le pouvoir politique néo-libéral et les grands acteurs industriels et financiers. La critique des auteurs n’affirme pas que les médias puissent se résumer à des organes de propagandes mais que cette fonction en est une caractéristique centrale.

L’impact de la publicité

Le constat n’est pas nouveau. Mais la collusion d’intérêts entre les grands groupes financiers et l’industrie des médias comme le mouvement de concentration qui a suivi, ont considérablement réduit la garantie d’une information permettant aux citoyens de conserver leur capacité critique. A partir d’une multitude d’exemples comparatifs relatifs à la politique intérieure, comme à la politique internationale, Chomsky révèle comment les médias désignent les victimes dignes ou indignes d’intérêt. Il soulignent que les démocraties adoptent les modèles de propagande observée dans les Etats totalitaires.

Un autre aspect du livre met en évidence l’impact de la publicité sur le contenu. Dans la mesure où les grands médias généralistes dépendent essentiellement des revenus de la publicité pour survivre, le modèle de fonctionnement de la presse suggère que l’intérêt des publicitaires ou des institutions prévaut sur le récit de l’information. En conséquence, si les thèmes abordés dans le contenu, s’avèrent contraires aux intérêts des commanditaires et divergent par rapport à leur vision du monde, ils sont à écarter. Le modèle de fonctionnement des médias décrit dans le premier chapitre s’avère éclairant sur la marge de manœuvre des journalistes et les choix éditoriaux. Une des caractéristiques essentielles de la propagande consiste à ne pas révéler les intentions réelles de l’autorité pour laquelle elle agit. Dans un souci de clarification, les auteurs précisent que les mécanismes laissant sporadiquement apparaître des faits dérangeants sont infiniment plus crédibles et efficaces qu’un système de censure officielle.

Jean-Marie Dinh

fab-consent

édition Agone 28 euros

« En exagérant un peu, dans les États totalitaires, c’est le pouvoir à la tête de l’État qui décide de la ligne du parti. Et chacun doit alors y adhérer et s’y soumettre. C’est différent dans les sociétés démocratiques. La ligne du parti n’est jamais énoncée comme telle, elle est sous-entendue. C’est dans ces présupposés qu’il pourra y avoir un débat passionné, mais qui se limitera à ce cadre précis. Dans les sociétés démocratiques, la ligne est comme l’air qu’on respire, elle est sous-entendue… Du coup elle donne l’impression qu’il y a un débat très vigoureux. C’est très efficace comme système et ça marche beaucoup mieux que dans les systèmes totalitaires. »

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