Jacques Allaire : « On ne considère pas la normalité comme normale »

«Je veux seulement que vous m’aimiez» avec la troupe de La Bulle Bleue.  Photo dr

«Je veux seulement que vous m’aimiez» avec la troupe de La Bulle Bleue. Photo dr

Démarche artistique. Le metteur en scène évoque son travail sur Fassbinder avec les comédiens en situation de handicap de La Bulle Bleue.

Prenez garde à Fassbinder !  Première création d’un travail au long court mené par trois  metteurs en scène avec une compagnie professionnelles en situation de handicap. A découvrir au chai de la Bulle Bleue jusqu’au 1er décembre.

« Je veux seulement que vous m’aimiez», un titre évocateur ; celui du spectacle de Jacques Allaire que l’on peut voir dès aujourd’hui jusqu’au 1er décembre à la Bulle Bleue, premier volet d’un projet théâtral à suivre autour de  l’oeuvre de  Fassbinder,  joué par une compagnie professionnelle en situation de handicap. Mené sur trois ans à l’initiative Bruno Geslin la démarche artistique associe deux autres metteurs en scène. Jacques Allaire grand navigateur du théâtre de l’émotion et infatigable artisan de l’esthétique de la résistance et l’indisciplinée et ludique Evelyne Didi dont le parcours ne s’est jamais éloigné de la part noble du spectacle vivant.

« On se connaît professionnellement, précise Jacques Allaire, mais nous n’avions pas de liens amicaux. Nous avons en revanche une vision partagée de l’importance du geste artistique dans la société, de l’incidence du temps présent… Des questions liées à la Bulle Bleue. On ne considère pas la normalité  comme normale.» Pour cet artiste qui assure lui-même les scénographies, et conçoit ses créations avec l’exigence nécessaire au « théâtre de l’émotion », il n’a pas été question un instant de renoncer à la recherche ou à l’invention.

« La majorité des acteurs préparent toujours la phrase d’après, jusqu’à produire l’inverse de ce qui est attendu. Avec des acteurs en situation de handicap, il n’y a pas de multiple praticable. L’endroit où la chose se situe est un cailloux. Une vertu unique, sans posture, et sans retour où l’homme se soumet à la rencontre de son possible.»

A partir d’une série d’entretien de Fassbinder sur le cinéma, qu’il a décortiqué avec les douze acteurs durant quinze jours, Jacques Allaire a créé des situations « une horlogerie de mouvements »  et produit un texte, une reconstruction sous forme de dialogue sur mesure, pour chacun des comédiens.

« Fassbinder puise son inspiration dans le réel. Lorsqu’il parle du cinéma il évoque des films qui parlent de la vie ou il s’en sert pour parler de la vie : Est-ce qu’une vie commune est possible ? Comment vit-on avec la société, avec sa famille, avec son amant, en couple ? Comment éprouve-t-on la solitude ? Il est mort à 37 ans et sa production artistique théâtrale et cinématographique est énorme. Il travaillait en permanence sans faire de différence entre ce qu’il vivait artistiquement et sa propre vie. Son corps, son espace ne faisait qu’un

Appréhender l’univers de Fassbinder, par son positionnement politique, son travail sur les marges, ses personnages confrontés à la violence de part leurs différences, sa militance poétique permanente, s’articule et s’applique au projet mené par la Bulle Bleue avec une vraie troupe singulière et professionnelle qui joue dans un vrai théâtre.

« Je ne souffre pas comme eux, mais nous avons des choses en commun, confie Jacque Allaire, J’aime leurs différences. Je la respecte. Je n’ai pas été aimable, je voulais que chaque chose renvoie à une pensée. Je leur ai dit, il n’y a rien que vous ne pouvez faire. Si vous souffrez on arrête, mais je ne veux pas de justification. Je ne cherchais rien ou simplement ce qui est juste. On est parvenu à une présence absolue, quelque chose qui relève de la spiritualité, une totalité de forces concentrées

 JMDH

Au Chai de La Bulle Bleue, jusqu’au 1er decembre 2017, 285 rue du Mas de Prunet à Montpellier Village Les Bouisses. Resa : 04 67 20 94 94.

 

La genèse du projet conduit à La Bulle Bleue

 En 2014, le metteur en scène Bruno Geslin propose au Centre Dramatique National de Montpellier de programmer la pièce Un homme qui dort – d’après l’oeuvre de Georges Perec – au Chai du Mas de Prunet, au sein de La Bulle Bleue, une compagnie de théâtre professionnelle  permanente constitué de 13 comédiens en situation de handicap.

En amont de cette programmation, Bruno Geslin et Nicolas Fayol avaient travaillé avec les comédiens de la Bulle Bleue sur l’univers de Pérec. Au regard de la richesse de ce premier travail, La Bulle Bleue a proposé à La Grande Mêlée sous la direction de Bruno Geslin d’être compagnie associée de 2016 à 2018. Le projet s’est construit avec les équipes, sensibles au travail de création en cohérence avec la démarche artistique de La Bulle Bleue.

Bruno Geslin a invité Jacques Allaire et Evelyne Didi, à s’associer au projet Prenez garde à Fassbinder !  S’il font appel  à des processus différents, les trois  metteurs en scène partagent une approche commune du théâtre. Le projet se développe sur trois ans. Chacun des trois artistes associés travaille avec les comédiens de La Bulle Bleue sur l’oeuvre de Rainer Werner Fassbinder à raison d’une ou deux semaines par trimestre.

Dans le cadre du projet Prenez garde à Fassbinder ! et en association avec La Grande Mêlée, trois spectacles seront créés dans les mois à venir : Je veux seulement que vous m’aimiez, écrit et mis en scène par Jacques Allaire ( du 15 novembre au 1er décembre 2017), Carte blanche à Evelyne Didi (juin 2018) et Le Bouc, librement adapté et mis en scène par Bruno Geslin (octobre 2018).

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Approfondir l’univers singulier de Fassbinder à La Bulle Bleue

Mise en relief de l’univers de Fassbinder à La Bulle Bleue. Photo dr

Mise en relief de l’univers de Fassbinder à La Bulle Bleue. Photo dr

Les Petits Chaos s’inscrivent dans un parcours captivant et sensible avec La Bulle Bleue qui travaille avec des professionnels en situation de handicap en collaboration avec le metteur en scène Bruno Geslin.

L’univers de Rainer Werner Fassbinder est approfondi et mis en relief dans Les Petits Chaos #3*, troisième étape publique du projet Prenez garde à Fassbinder?! débute aujourd’hui au Mas de Prunet. Fasciné par les figures fortes, incandescentes, vertigineuses, du réalisateur Rainer Werner Fassbinder, Bruno Geslin donne à voir et à entendre des personnalités exigeantes en travaillant avec les acteurs de La Bulle Bleue.

Entre cinéma et théâtre, le metteur en scène mène une réflexion autour des thèmes de l’intimité, du corps, du désir, de la sexualité, de la singularité et de l’identité. Il a développé à travers ses spectacles l’approche problématique du corps et de sa représentation.

Ce projet associe trois metteurs en scène afin d’appréhender de différentes manières l’univers foisonnant de Fassbinder, et d’inventer une équation ouverte pour le collectif. Les metteurs en scène Evelyne Didi et Jacques Allaire sont associés au projet. Le projet se développe sur trois ans. Chacun des trois artistes associés travaille avec les comédiens de La Bulle Bleue sur une des pièces de Rainer Werner Fassbinder.

À l’issue des trois ans, trois créations seront proposées et joueront chacune deux à trois semaines consécutives au sein du Chai du Mas de Prunet, nouveau lieu de fabrique artistique et culturelle de Montpellier?: Je veux seulement que vous m’aimiez, adapté, écrit et mis en scène par Jacques Allaire (novembre 2017). Carte blanche à Evelyne Didi (juin 2018). Le Bouc, adapté et mis en scène par Bruno Geslin (octobre 2018).

* Les Petits Chaos #3 au Mas de Prunet du 7 au 17 juin lecture performance, tournage, projection plein air, mini kino; drive-in, musique live,gastronomie.

Source : La Marseillaise 07/06/2017

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Théâtre Sète : Création de Jacque allaire quand le monde adulte dévore la jeunesse

L’adolescence portée sur scène comme une tragédie de la modernité. Photo marc Ginot L'utilisation de l'article, la reproduction, la diffusion est interdite - LMRS - Marc Ginot

Le dernier contingent de Jacques Allaire inspiré du roman de Julien Rudefoucauld les 3 et 4 décembre au Théâtre de Sète

Le dernier Contingent, est une création de Jacques Allaire donnée ce soir sur la scène nationale de Sète et du bassin de Thau qui produit le spectacle fidèle à sa démarche d’accompagner dans la durée des artistes hors du commun. Singulier, radical, impliqué et impliquant, Jacques Allaire poursuit une démarche totale où il entretient une querelle avec le monde dans la perspective de construire une oeuvre morale et plastique. Il offrira ce soir une libre interprétation du roman de l’auteur contemporain Julien Rudefoucauld.

« J’ai rencontré ce roman par hasard sur la table des nouveautés de la rentrée littéraire 2012. Je ne connaissais pas l’auteur. La photo de couverture, sur laquelle on voit deux adolescents sweat-capuche trônant sur un tronc d’arbre au bord d’une rivière m’a captivé. Cette image médiocre, simple, pas belle, m’a donné la sensation d’un réel sincère. Je ne comprenais pas le rapport entre la photo et le titre confie le metteur en scène. A la lecture j’ai été surpris comme on peut l’être lors d’une averse par la violence des grêlons. Surpris par le langage, contemporain, jeune, mais aussi par la structure, le niveau d’ellipse et de dramaturgie, par la qualité d’interactions des figures et le récit d’aventure

 

Une modernité ultra libérale

Le roman évoque le destin de six adolescents en perdition : massacrés par la famille, la société, les institutions. Il ouvre le rideau sur la guerre invisible que l’époque mène contre ses propres enfants.

« Lorsque j’étais adolescent la vie n’était pas un profit, l’existence ne se faisait pas à crédit, développe Jacques Allaire peu d’années me séparent de mes enfants, peu de temps depuis que la modernité ultra libérale, hyper normative et sans spiritualité s’est mise en marche. Profitant de chaque espace pour le coloniser, le mettre au pas avec violence si besoin, prenant toujours les apparences de la libre circulation, elle transforme la pensée en technicité, la liberté en libéralité.

J’ai senti une résonance avec mon spectacle Les Damnés de la terre. Depuis la colonisation, la France fonctionne toujours sur une structure raciale et raciste qu’elle refuse de reconnaître.

Avec ce qui se passe aujourd’hui, je ne peux qu’y penser. Les attentats relèvent d’une forme de nihilisme. Si on abandonne les jeunes sans espoir à leur sort sans éducation en les déconsidérant par l’économie, la déchéance sociale et en les privant de nationalité leur vie n’a plus de valeur. A partir de là on peut les attraper par n’importe quel type d’idéologie, révolutionnaire, religieuse ou fasciste. Les jeunes subissent nos angoisses et ne peuvent vivre leur désir. Plutôt que de leur imposer l’obéissance, nous devrions faire le constat de notre incompétence« .

 

Spectacle et vertige

Jacques Allaire fabrique ses spectacles à partir de croquis en s’émancipant de la narration linéaire. « Je ne sais pas dessiner, mes dessins naissent du subconscient de la lecture et tout obéit aux dessins. Mes préoccupations ont lu le livre en produisant des sensations. Mon esprit s’est mis à discuter avec le texte. Ca devient la vie, ça devient le réel. Je construis un espace fantasmatique où la nature sauvage enfermée reprend ses droits « .

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 03/12/2015

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Spectres du monde moderne

b788bcfa03f1c0b57f04633ce244aa44Théâtre Jean Vilar. J. Allaire porte à la scène Les Damnés de la terre.

« Le bien-être et le progrès de l’Europe ont été bâtis avec la sueur et les cadavres des Nègres, des Arabes, des Indiens et des Jaunes. Cela nous décidons de ne plus l’oublier.» Jacques Allaire s’empare des textes de Frantz Fanon qu’il porte à la scène en reprenant le titre de son ouvrage testamentaire Les Damnés de la terre. Psychiatre noir, penseur éclairé et révolté contre le racisme colonial, Fanon est né en Martinique en 1927. Il combat pour la France libre puis au FLN avant d’être expulsé d’Algérie en 1957 et de mourir à 36 ans d’une leucémie.

J. Allaire trouve sa matière dans le constat cru que fait l’auteur. Pas de construction gigogne comme dans Les Négres de Genet auquel on pense pour la charge de la dénonciation. L’approche de la scène se veut frontale et sans ambiguïté. Les acteurs dont on ne distingue pas la couleur de peau livrent une langue nue et percutante. Le drame joué sur la scène s’inscrit dans l’espace dantesque d’une divine comédie sans paradis. Un va et vient incessant du purgatoire – hôpital – à l’enfer – prison, camp de réfugiés…

Les tableaux qui s’enchaînent, comme dans un cauchemar, dessinent l’enfermement physique et mental dans lequel on relaie les populations dominées. Les zombies déracinés et misérables d’hier et d’aujourd’hui nous arrivent par le jeu de la représentation mais restent et se retournent en fin de partie pour inscrire quelque chose d’humain dans nos bien légères consciences. Allaire s’attaque au théâtre lui-même et à la condition de spectateur. La guerre d’Algérie offre un moyen détourné pour parler de problèmes actuels, ce qui explique la véhémence des débats sur sa mémoire. Serait-ce la non-digestion du passé colonial qui grippe la société multiculturelle française. Le racisme serait-il le problème des autres, des coloniaux, du passé ?

JMDH

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