L’hébergement social à bout de souffle

Photo: Rédouane Anfoussi

C’est un été d’état de crise humanitaire. Hier, les travailleurs sociaux d’une trentaine de départements se sont déclarés en grève pour dénoncer un dispositif d’hébergement d’urgence en inadéquation avec les besoins actuels. Ces personnels en charge de l’urgence sociale se disent confrontés à des situations humaines intolérables : des familles à la rue avec des enfants en bas âge se présentent notamment à eux, mais ils sont dans l’incapacité de leur trouver une solution d’hébergement, toutes les places disponibles ayant déjà été attribuées. Hier après-midi, des travailleurs sociaux se sont rassemblés à Paris, square Boucicaut, où Droit au logement a installé un campement de familles sans abri. Une délégation a également été reçue au secrétariat d’Etat au Logement.

Qu’en est-il des capacités d’hébergement d’urgence ?

Depuis quatre ans, les prises en charge hôtelières de personnes sans abri sont en constante augmentation, preuve de la précarité qui gagne du terrain : 7 507 nuitées quotidiennes en moyenne en juin 2007 en Ile-de-France, 9 207 en 2009 puis 12 443 en 2010 et 12 259 en 2011. La même tendance est observée pour tous les autres mois de l’année. Outre les chambres d’hôtels, qui servent de variables d’ajustement, s’ajoutent évidemment les centres d’hébergement. Au niveau national, le dispositif d’urgence est passé de 90 000 places en 2007 à 115 000 en 2011, selon le secrétariat d’Etat au Logement. Des chiffres que ne conteste pas Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars). Mais les demandes d’hébergement continuent à augmenter «du fait d’un développement des situations de précarité liées à la crise économique», explique-t-il. Pour lui, les effets de la crise économique se font sentir maintenant, avec un temps de retard donc. «Beaucoup de chômeurs arrivent en fin de droits. Les impayés de loyers augmentent et on a plus d’expulsions locatives.» Outre la montée de la précarité, le dispositif d’hébergement est mis sous tension par l’afflux de demandeurs ou de déboutés du droit d’asile, plus nombreux du fait des désordres planétaires.

Pourquoi la crise surgit-elle cet été ?

Le changement de braquet du gouvernement est à l’origine de la crise. Depuis 2007, les associations disposaient d’une marge de manœuvre pour ajuster l’offre d’hébergement aux besoins. En cas de nécessité, elles augmentaient leurs recours à des nuitées d’hôtel et l’Etat donnait des rallonges pour couvrir la dépense. En 2010, les moyens dédiés aux sans-abri se sont ainsi élevés à 1,246 milliard d’euros. En 2011, le gouvernement a serré la vis, ramenant l’enveloppe à 1,206 milliard, en baisse de 40 millions (-3,3%), au prétexte que les crédits avaient beaucoup augmenté depuis 2007 (1,02 milliard à l’époque). L’Etat a aussi décrété la fin des rallonges. Ce qui a créé un blocage chaotique, faute de possibilités d’ajustement du dispositif à coups de nuitées d’hôtel.

Le gouvernement va-t-il rester droit dans ses bottes ?

Lundi, après le Conseil des ministres, début des vacances gouvernementales, le secrétaire d’Etat au Logement, Benoist Apparu, a filé sur le terrain. Il s’est rendu à Vanves (Hauts-de-Seine) dans un hôtel qui sert pour le Samu social de sas d’orientation pour les personnes sans abri. Puis il a rendu visite à une famille relogée au Bourget (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’un dispositif appelé «Solibail» (lire page 4), qui consiste à privilégier le placement dans des logements ordinaires plutôt qu’à l’hôtel. Une solution plus vivable pour les familles, et moins chère pour l’Etat. A ce jour, 1 679 ménages ont bénéficié de ce dispositif. Mais, compte tenu du nombre de familles ou de personnes isolées sollicitant chaque jour le 115, il reste insuffisant. Il n’est pas exclu que le gouvernement finisse par lâcher une petite rallonge, histoire de fluidifier un peu un dispositif trop rigidifié.

Tonino Serafini (Libération)

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