Loi travail: «Valls, on organise ton pot de départ dans la rue !»

Un manifestant, le 1er mai, à Paris (illustration). Photo Alain Jocard. AFP

Un manifestant, le 1er mai, à Paris (illustration). Photo Alain Jocard. AFP

A l’initiative de la Fondation Copernic, cercle de réflexion critique du libéralisme, des opposants à la loi travail étaient réunis ce dimanche au théâtre Déjazet à Paris. Le plus applaudi : le chercheur Frédéric Lordon.

Un contre-meeting. Quatre jours après celui organisé par le Parti socialiste en défense du projet de loi travail, les opposants les plus à gauche au texte porté par Myriam El Khomri se sont donné rendez-vous ce dimanche après-midi au théâtre Déjazet dans le IIIe arrondissement de Paris, à l’appel de la Fondation Copernic, cercle de réflexion critique du libéralisme. Mot d’ordre : «retrait» du projet de loi passé en force à l’Assemblée et qui arrive lundi en séance au Sénat.

Un meeting sans tête d’affiche médiatique de la gauche du PS : pas de Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), ni d’Olivier Besancenot (Nouveau parti anticapitaliste) ou de Pierre Laurent (le patron du PCF, annoncé, mais finalement retenu à Rome «car il n’a pas trouvé d’avion», a précisé sa remplaçante Marie-Pierre Vieu, présidente du groupe Front de gauche en Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénée, sous les rires de la salle). Les seules figures du jour sont Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !, membre du Front de gauche, le plus à gauche des socialistes Gérard Filoche, et le chercheur Frédéric Lordon, qui, après des interventions à Nuit Debout, sur la place de la République voisine, fait tribune commune avec des politiques.

 

«52 articles scélérats»

«C’est la panique là-haut, ils ont peur, attaque Filoche, débit de mitraillette, sans notes. Ce n’est pas un article […] Les 52 articles sont scélérats». L’ancien inspecteur du travail, membre du PS, insiste sur le «dumping social» que créerait selon lui la loi travail si elle était mise en œuvre : «Tout va être revu, entreprise par entreprise, à la baisse, souligne-t-il. L’ordre public social […], c’est ça qu’ils sont en train de mettre à bas.» Les politiques alternent au micro avec des syndicalistes de différents secteurs (énergie, ferroviaire, chômeurs, la Poste…) qui en appellent à la mobilisation mardi à Paris. Le responsable de Sud Rail regrette les dates de mobilisation trop espacées pour réussir à «paralyser ce pays par la grève reconductible».

La communiste Marie-Pierre Vieu fait siffler le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. Elle se moque ensuite des «violences» des hooligans à Marseille plus importantes que celles des manifestants contre la loi El Khomri. «La loi, jusqu’à présent, protégeait le salarié, lance l’élue PCF du Sud-Ouest. Aujourd’hui, la loi telle qu’elle est prévue ouvre aux pires régressions.» Elle en appelle à «faire tomber le gouvernement» lors du retour de la loi à l’Assemblée début juillet et à construire – vieux refrain de ce côté-ci de la gauche – une «unité politique».

 

«Si les parlementaires PS étaient encore de gauche…»

Porte-parole de la Fondation Copernic, Willy Pelletier n’hésite pas, lui, à qualifier de «gouvernement de droite» celui de François Hollande, avec un «ADN, celui de la trahison, la trahison de tous ceux qui l’ont élu». Le plus inquiétant, selon lui, serait «cette docilité des parlementaires PS, poursuit-il. Ce sont eux qui offensent l’histoire du mouvement ouvrier […]. S’ils étaient encore de gauche, ils devraient tous se révolter. Se mettre en grève avec nous». La salle s’en mêle : «Valls dégage !» envoient quelques personnes parmi la centaine qui s’est déplacée dans le théâtre. «On organise ton pot de départ dans la rue !» conclut Pelletier.

«J’ai le sentiment qu’on n’a pas encore gagné la guerre, mais on a gagné une première bataille, se félicite Clémentine Autain, ravie que des thèmes de gauche se soient invités dans le débat politique français depuis six mois. Ils ont les nerfs, poursuit-elle, même le Premier ministre a le temps de s’occuper de moi en disant que je suis une islamo-gauchiste.» Autain place cette «bataille politique» à «l’échelle européenne» et demande elle aussi à ce que ces forces de gauche anti-gouvernement, «sociales et politiques», se «fédèrent». «Ils n’ont pas de majorité sociale, ils n’ont pas de majorité politique et ils utilisent des méthodes de violence politique pour tuer ce mouvement», accuse Autain. «Il s’agit d’un non pour toute l’œuvre du gouvernement depuis qu’il est au pouvoir», enchaîne Aurélie Trouvé, d’Attac, avant que Danielle Simonnet, du Parti de gauche, reprenne la plaisanterie du jour : «Ça va mieux quand même», dit-elle en référence au gimmick de François Hollande et de ses proches.

 

Loi Hollande-Medef-Bruxelles

Quand elle prononce le nom de Jean-Luc Mélenchon, quelques personnes au fond de la salle grognent. Elle se fait en revanche applaudir quand elle décline les raisons de «se battre […] contre l’inversion de la hiérarchie des normes». Ce projet de loi, «c’est une exigence de Bruxelles», continue Simonnet, un «deal» avec les institutions européennes, selon elle. «Contre la loi Hollande-Medef-Bruxelles, il faut une insoumission générale […] Il faut fédérer un peuple d’insoumis». Au milieu de la salle, une femme lâche un «Oh…» de dépit devant cet appel à soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Un autre s’amuse : «Insoumis à Jean-Luc oui !»

C’est Lordon qui termine ce meeting sur le thème de «l’oligarchie». «Hollande, Valls et Macron sont les esclaves qui s’ignorent d’une pensée morte», le «stalinisme-libéral», dit-il. Le chercheur, nouvelle coqueluche des militants de la gauche radicale, dénonce la «clique éditorialiste», un «capital» qui «prend en otage» l’Europe et «ces sociaux-démocrates qui n’ont plus rien ni de sociaux, ni de démocrates». «La violence, c’est la leur», poursuit Lordon dont le discours du jour est celui qui l’emporte ce dimanche à l’applaudimètre. «Ce pouvoir à peur, affirme-t-il. A force de serrer des écrous, il va finir par les fissurer et les casser pour de bon.» «Ils ne s’arrêteront nulle part, sauf si nous les arrêtons», termine-t-il avant que la salle ne se lève sur un «tous ensemble ! Tous ensemble ! Grève générale !»

 

Source Libération : 12/06/2016

PS : Les partisans du non planchent sur le droit du travail

Au cœur d’une semaine riche en mouvements sociaux, les partisans du non du parti socialiste héraultais se sont retrouvés mercredi pour évoquer les conséquences du projet de constitution européenne sur le droit du travail.

Heureuse coïncidence, c’est la veille du 10 mars que les militants socialistes de Nouveau monde, du Nouveau parti socialiste, et de Forces militantes, trois courants du PS favorable au non, se sont réunis toutes ouies autour de Gérard Filoche pour entendre et faire entendre l’analyse de cet ex inspecteur du travail sur le démantèlement du droit du travail induit par le projet de constitution européenne. Le texte constitutionnel européen présente-t-il une avancée pour les salariés européens ? Pour Gérard Filoche, la réponse est clairement non. Dans un langage accessible, ce membre du comité national du PS en a fait la claire démonstration en partant de la situation sociale française. Devant un parterre de 80 militants particulièrement attentifs, il a d’abord décrit l’avancée du travail des fondations. « On est en train de préparer le terrain au démantèlement du droit du travail qui devrait réellement se mettre en œuvre après les référendums. » a-t-il indiqué en donnant quelques indices d’anticipation comme la mise en application de l’ordonnance signée en juillet 2003 sur la modernisation et la simplification administrative. Celle-ci, donne déjà lieu à la suppression du registre des entreprises dont le caractère obligatoire servait de mémoire dans les négociations entre les salariés et les employeurs.

De même les nouvelles normes de modalité comptable « simplifié » ne laissent plus paraître le détail des cotisations sociales payées par le salarié. Un ensemble de détails qui ne passent pas inaperçus aux yeux d’un inspecteur du travail «  Il est important que les salariés aient connaissance de leurs cotisations. Cela constitue aussi des traces dans les cas de litiges. Par ailleurs, on s’oriente vers une prescription à 3 ans au lieu de 5 ans pour les plaintes liées au droit du travail. La prescription sur le retour compensateur devrait également être raccourcie. Ce qui concerne par exemple toutes les personnes victimes de l’amiante qui n’auront plus de recours possible.


A propos des 35 heures, Gérard Filoche est revenu sur la question brûlante des salaires. Contrairement aux dires du gouvernement, il rappelle qu’allonger le contingent annuel d’heures supplémentaires, revient à baisser les salaires de ceux qui feront ces heures supp’. En effet, lorsque le contingent annuel était de 130 h, chacune des heures en sus du contingent étaient majorées de 100 % Après la loi Larcher, la majoration de 100 % ne surviendra qu’après la 220 éme heure. Donc toutes les heures faites entre 130 h et 220 sont diminuées de 100% de la majoration en usage. La proposition autorisant le rachat d’heures versées au compte épargne-temps, (CET) permet de remettre en cause les congés payés: «
Cela nuit à la santé et à l’emploi. Pire : ces heures rachetées le seront au taux en usage, pas au taux des heures supplémentaires, d’où une deuxième baisse de salaire pour ceux qui seront contraints de subir ce système. En quelque sorte le rachat des heures du CET, c’est l’invention des heures supp’ à taux zéro. » devait ajouter ce partisan du non. «. C’est l’employeur seul qui décide des heures supplémentaires. Ne pas les faire peut être une faute sanctionnable. En aucun cas, ce n’est le salarié qui décide de travailler plus pour gagner plus. »


Dans le même registre Gérard Filoche s’oppose à la clause européenne de l’opt-out sur le temps de travail et à la directive Bolkestein. Qu’il qualifie de directives Dracula «
parce qu’elles craignent la lumière ». La première permet de sortir de la durée encadrée par le code du travail. La seconde institue le déportement de la main d’œuvre en appliquant les principes du pays d’origine et non les principes du pays où l’on travaille et son droit du travail. « Contrairement à ce que l’on peut entendre, il faut avoir conscience que rien n’est acquis sur le recul de ces mesures. Blair et Schröder se sont déjà prononcés pour. Ils font simplement le gros dos en attendant que les citoyens se prononcent sur la constitution.

En tant que membre du bureau national du PS, Gérard Filoche n’a pas manqué de partager ses inquiétudes sur le droit du travail avec le premier secrétaire du parti socialiste. Celui-ci lui a répondu avec le sens de la formule qu’on lui connaît : « Qu’il avait juridiquement raison mais politiquement tort

Jean-Marie DINH