Crise financière et émeutes de Londres : des signaux d’alarme

Le mouvement du Caire

C’est le choc des images : celles de Londres en proie aux pires émeutes de mémoire de Londonien, et celles de la Bourse et de ces visages atterrés de traders sous le choc. Qu’est-ce que ces deux scènes sans rapport apparent nous disent sur notre monde ?

La crise financière et la violence urbaine : le rapprochement est hasardeux, et pourtant, inévitable, ne serait-ce que parce que ces deux sujets se disputent la une des journaux sans qu’il soit aisé de les analyser à chaud.

Le rapprochement, pourtant, s’impose, car réduire les émeutes de Londres, comme le font de nombreux politiciens et journalistes britanniques, à de simples actes criminels, sans prendre en considération le contexte économique et social dans lequel elles se produisent, relève de l’aveuglement. Même si les scènes de pillage, la dégradation gratuite, et la violence sans but évident brouillent le sens et facilitent les analyses réductrices, comme en France en 2005, lors de l’explosion des banlieues.
« Observez et pleurez pour notre avenir »

C’est dans le Daily Telegraph, le vieux quotidien conservateur, pourtant, qu’à côté des éditoriaux « law and order », on trouve cette analyse de Mary Riddell, chroniqueuse du journal :

« Ce n’est pas une coïncidence si les pires violences que Londres a connues en plusieurs décennies se déroulent dans un contexte d’économie mondiale en train de s’effondrer.

Bien que l’épicentre de l’actuelle crise soit dans la zone euro, les gouvernements britanniques successifs se sont employés à cultiver la pauvreté, les inégalités, et l’inhumanité qui sont aujourd’hui exacerbées avec la crise financière.

L’absence de croissance de la Grande-Bretagne n’est pas un sujet de discussion ni même un argument pour accabler George Osborne [le chancelier de l’échiquier ou ministre de l’Economie et des Finances britannique, ndlr], pas plus que notre force de non-travail sans formation, démotivée et sous-éduquée, n’est une variable d’ajustement de notre bilan national.

Observez les équipes de casseurs à l’action dans les rues de nos villes, et pleurez pour notre avenir. La génération perdue s’entraîne pour la guerre. »

Excessif ? Réaction trop émotionnelle sous le coup des images des bâtiments en flamme et de l’« anarchie » qui monte, comme le titrent plusieurs quotidiens ? Toujours plus d’austérité ?

La crise sociale a bon dos pour justifier des pillages insensés, répondent les apôtres de la répression et du « Kärcher » pour régler les problèmes. Mais la répression suffirait-elle pour résoudre la question du chômage massif (en Grande-Bretagne comme dans les quartiers défavorisés de France, comme en Espagne ou en Grèce), l’absence de perspective, des budgets sociaux décroissants, de l’insécurité ?

C’est là que la crise financière et la panique actuelle entrent en jeu. La crise financière, centrée sur la question de la dette et des équilibres budgétaires, pousse tous les gouvernements européens à plus d’austérité, à des réductions de dépenses publiques, à rogner et à diluer le modèle de société bâti dans l’après-guerre.

Comme l’ont joliment exprimé les « indignados » de Madrid, « nous ne sommes pas contre le système, c’est le système qui est anti-nous »…

Ces politiques, présentées comme inévitables pour « rassurer les marchés » et mettre fin à l’« esclavage » de la dette et du déficit, sont perçues par une part croissante de la population, en Europe, comme le prix payé par les pauvres pour un système qui est devenu fou, celui de la finance-reine.

En 2008-2009, les citoyens ont assisté au sauvetage des banques qui avaient participé au système et avaient manqué d’y laisser leur peau ; en 2011, c’est à eux qu’on présente l’addition.

Les émeutes de Londres ne sont pas directement liées aux derniers épisodes de la crise financière, qu’il s’agisse des soubresauts de la zone euro ou de la dégradation de la note de la dette américaine… Mais elles font assurément partie du paysage social d’une Europe ultra-libéralisée et paupérisée (c’est en particulier vrai en Grande-Bretagne après les périodes choc de Thatcher et Blair), en train de subir des électrochocs (Irlande, Portugal, Grèce…) peut-être insupportables.

Les dirigeants politiques européens actuels, concentrés sur l’objectif prioritaire de sauver ce qui peut l’être du système monétaire et de leur crédit, comme ceux qui aspirent à diriger leurs pays demain, auraient tort de négliger les signaux qui sont envoyés par les populations. Sous la forme éminemment sympathique des « indignados » de Madrid, ou sous celle, sinistre, des émeutiers de Londres.

Pierre Haski Rue 89

 

Voir aussi Rubrique, Grande Bretagne, Nouvelle envolée du chômage chez les jeunes Espagne, Spanish révolution, Irlande les irlandais sanctionnent leur gouvernement libéral, Portugal, Crise de la dette démission du socialiste Josè Socrates, rubrique UE, Nouvelles donnes pour les mouvement sociaux, Extension du domaine de la régression,

rubrique Mouvement sociaux, Relle democratie revue de presse et Manifeste Montpellier : une ambiance électrique en ville, rubrique Société jeunesse, Jeunes esclaves modernes, rubrique Education La force de la liberté s’engouffre dans la ville, Lien externe en France reelledemocratie.com

Politique immigration, Allemagne, Le modèle multiculturel selon Merkel, L’Italie : l’avant-garde de la xénophobie, France, Le corpus nationaliste de Sarkozy, La piètre image de la France, Grande Bretagne David Cameron veut limiter l’arrivée d’étrangers, UE Jusqu’à quand la politique migratoire de l’Union européenne, va-t-elle s’appuyer sur les dictatures du sud de la Méditerranée ?,

Une sévère cure d’austérité pour les Britanniques

cameron

Pour éviter la faillite publique, le gouvernement britannique a annoncé mercredi des mesures d’austérité drastiques. Les prestations sociales seront réduites et près d’un demi-million de postes seront supprimés dans le service public.  Les commentateurs jugent cette politique dure, injuste et extrêmement dangereuse pour l’économie.

The Guardian – Royaume-Uni

Les coupes mettent la relance en péril

Avec le programme d’austérité, le chancelier de l’Echiquier George Osborne mise tout sur une seule carte, écrit le quotidien de centre-gauche The Guardian, qui estime toutefois que ce jeu pourrait mal se terminer avec l’économie : « Osborne a besoin que suffisamment de gens avalent la petite histoire de la coalition, selon laquelle le Labour aurait ruiné l’économie et créé un déficit auquel la seule réponse serait une cure d’austérité, prescrite de façon relativement équitable. D’après les sondages, c’est l’opinion qui domine aujourd’hui. Mais sur la durée, l’opinion publique se basera sur la perspective d’une véritable relance économique ces quatre prochaines années, afin qu’Osborne ou son successeur soit en mesure de déclarer en octobre 2014 que le remède a été efficace, et qu’une période favorable – et une réélection en 2015 – se profilent. … Ce programme d’austérité est l’œuvre d’un parieur. Un Chancelier ne peut pas retrancher 81 milliards de livres de l’économie, à l’image d’Osborne, sans porter atteinte au pays. Ce sera un pays différent dorénavant. » (21.10.2010)

Aamulehti – Finlande

Du sang, de la sueur et des larmes

En procédant aux plus lourdes coupes budgétaires depuis la Seconde Guerre mondiale, le Premier ministre britannique David Cameron s’inscrit dans la lignée de Winston Churchill, écrit le quotidien Aamulehti. Mais le risque d’échec est grand : « Alors que la Grande-Bretagne luttait pour son existence au début de la Seconde Guerre mondiale, le Premier ministre de l’époque, le conservateur Winston Churchill, ne mâchait pas ses mots dans son premier discours en tant que dirigeant du gouvernement de guerre, à un moment extrêmement difficile. ‘Je n’ai rien d’autre à vous offrir que du sang, du labeur, de la sueur et des larmes’, déclarait-il dans son célèbre discours à la nation. En d’autres termes, il fallait accepter de nombreux sacrifices pour pouvoir espérer un avenir meilleur. … Les détails du programme d’austérité seront fortement contestés, dans la rue comme au Parlement. Mais ce qui importe, c’est l’influence qu’il aura sur l’avenir britannique. Même si l’opération est un succès, le patient y survivra-t-il ou laissera-t-il sa peau sur le billard ? C’est un pari dangereux, pour lequel le gouvernement Cameron a décidé de prendre tous les risques. » (21.10.2010)

Politiken – Danemark

Ne pas oublier le secteur financier

Après l’annonce du gouvernement britannique d’un programme d’austérité qui prévoit notamment des coupes dans les dépenses sociales, le quotidien progressiste Politiken espère des mesures tout aussi strictes pour le secteur financier : « La coalition libérale-conservatrice veut soumettre l’Etat-providence britannique à une cure d’austérité dramatique ; elle veut davantage épargner que stimuler. La reine aussi doit épargner, mais ce sont surtout le système social, l’Etat-providence, ainsi que les services publics, qui sont touchés. Avec pour résultat les plus grandes coupes budgétaires jamais imposées au secteur public depuis la Seconde Guerre mondiale. Si les Britanniques doivent avaler cette couleuvre, il faudra que le secteur financier, indubitablement à l’origine de la crise, soit plus fortement réfréné et contraint à assumer ses responsabilités. » (21.10.2010)

De Volkskrant – Pays-Bas

Cameron doit offrir des perspectives

Avec ses lourdes mesures d’austérité, le Premier ministre britannique David Cameron suit un cap bien plus rigoureux que ce à quoi s’attendait beaucoup de monde, estime le quotidien de centre-gauche De Volkskrant. Mais contrairement à l’ex-Premier ministre Margaret « Thatcher, qui voulait surtout briser le pouvoir des syndicats, Cameron tente de prêter à sa thérapie de choc une dimension idéaliste. A ses yeux, cette thérapie n’est pas seulement une amère nécessité économique, mais aussi une mesure qui va dans le sens de son projet de ‘Big Society’, où il est naturel que certaines tâches n’incombent plus à l’Etat mais aux citoyens, ceux-ci disposant ainsi d’un plus grand pouvoir de contrôle. Ce n’est pas une idée inintéressante, mais ce n’est pas non plus la panacée. Pour créer une base sociale suffisante acceptable pour ces lourdes atteintes, le Premier ministre devra offrir des perspectives nouvelles et plus claires. » (21.10.2010)