Marion Aubert :« Je voulais que rôde une forme de bestialité »

 

Rencontre. L’auteure montpelliéraine Marion Aubert a écrit « Le Brame des Biches » pour Le théâtre du peuple. Actuellement sur les planches du théâtre mythique vosgien.


Marion Aubert, auteure contemporaine et comédienne, est  issue du Conservatoire national de région de Montpellier, dirigé par Ariel Garcia Valdes. Elle est l’une des fondatrices de la Cie Tire pas la nappe dont elle assure la direction artistique avec Marion Guerrero. Elle a écrit une quinzaine de pièces. En dehors de sa compagnie, elle répond aux commandes de différents théâtres ou metteurs en scène. Le directeur du Théâtre du Peuple de Bussang, Pierre Guillois, lui  a commandé sa dernière pièce Le brame des biches * actuellement sur les planches de ce lieu emblématique vosgien.

 

Votre dernier texte est actuellement monté au Théâtre du Peuple de Bussang. Quel  a été le cheminement de cette aventure ?

« A l’origine, c’est une commande de Pierre Guillois, qui dirige ce théâtre depuis 2005. Cela c’est fait de manière intuitive. Il a pensé que je pourrais être touchée par ce lieu et peut-être que le côté irrévérent de mon travail s’adapterait bien à cette forme singulière de théâtre.

Comment est né Le Théâtre du peuple ?

Ce lieu est un cas particulier, que l’on peut considérer comme l’ancêtre du théâtre populaire. Il a vu le jour à la fin du XIXe, à l’initiative de Maurice Pottecher un homme de théâtre issu d’une famille de tisserands qui a construit un théâtre en bois perdu dans la nature pour faire jouer les ouvriers. La tradition s’est poursuivie jusqu’en 1965. Elle a repris en 1976, relancée par le petit-fils de Maurice Pottecher.

Sur quelles bases avez-vous abordé l’écriture du texte ?

J’avais un peu plus de temps. Je me suis beaucoup documentée. C’est un cas à part dans mon travail d’écriture habituellement plus instinctif. L’action se situe à Bussang dans la seconde partie du XIXe. Je me suis intéressée à l’histoire du Théâtre du peuple, aux conditions de vie de l’époque. J’étais dans le féminisme, j’ai lu l’essai de Geneviève Fraisse, Service et servitude qui aborde la relation dissymétrique entre maître et domestique. Je voulais aussi travailler sur l’idée d’un mélodrame que l’on retrouve dans les pièces de Pottecher. Après, tout cela s’est enchevêtré. Au final, la pièce donne une vision assez étrange et baroque de ce qui pouvait se passer à l’époque. Ce n’est pas un spectacle sur la misère au XIXe.

 

Elle compte une multitude de personnages dont deux femmes : Clara l’ouvrière et Mathilde la bourgeoise qui ont le vertige  …

Oui, mais peut-être qu’en définitive tout le monde est pris par le vertige. Clara et Mathilde n’ont pas de prise sur leur vie. Chacune dans leurs conditions, elles n’ont clairement pas le choix. On a l’impression que les hommes l’ont…

Le climat évoque l’homosexualité et flirte aussi avec la cruauté des contes ?

C’est la première fois que j’aborde le thème de l’homosexualité, féminine et masculine, sans parti pris, intuitivement. Cela m’intéresse parce que tout devient confus dans les relations. Dans le texte, on parle de La belle et la bête. J’avais envie de travailler sur la dévoration. Tous les personnages sont un peu des animaux. Je voulais que rôde une forme de bestialité un peu comme dans Le Ruban Blanc de Haneke.

On retrouve votre univers féroce. Gouverner par leurs obsessions les personnages s’affranchissent des codes de la représentation sociale…

Je vais jusqu’au bout et je ne lâche pas jusqu’à ce qu’ils crachent le morceau. Un jour quelqu’un m’a dit que mes personnages avaient leurs instincts sexuels pour condition générale. Cela m’intéresse de faire lutter les fantasmes. Dans Le brame des biches, les rôle s’échangent. Les personnages rêvent que les autres veulent leur place. C’est l’histoire de ces désirs qui met les rôles en jeu. A un moment, les fondamentaux fléchissent. La patronne ploie par la fuite et le patron ploie… sous lui-même.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez vu la pièce à Bussang ?

Traditionnellement, quelques professionnels se mêlent à la pièce. Mais le Théâtre du peuple reste avant tout interprété par des amateurs, ce qui est peu ordinaire. S’ajoute le cadre rural qui n’a rien à voir avec Paris où les CDN. Les acteurs sont souvent beaux où alors ils sont choisis parce qu’ils sont moches. Sur une cinquantaine d’acteurs j’étais heureuse de voir des gens gros et moches. Cela m’a surprise moi-même de mettre imaginer un type de physique pour certains personnages. Sur scène, il y avait plein de gens improbables venus de partout. J’avais l’impression que le monde était mieux représenté. La présence du public m’est apparue comme une figure théâtrale vraiment vivante. Ce qui correspond bien à ma pratique frontale du théâtre.

A Bussang, il est de coutume d’ouvrir les portes sur la nature, est-ce que vous voulez les voir s’ouvrir sur la misère ? interroge le metteur en scène de la pièce. « NON ! » s’écrit chaque après-midi le public ».

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Le brame des Biches jusqu’au 27 aôut au Théâtre du Peuple de Bussang.

La pièce est publiée chez Actes-Sud-Papier n 2011

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